Publié le 9 Mar 2018 - 06:44
LEGISLATION SUR EGALITE GENRE DEPUIS 2010

Ces incongruités politiques bloquantes

 

Il existe une volonté politique dans la lutte pour l’égalité des genres au Sénégal, depuis quelques années. Mais vu les quelques succès dans l’océan de revendications des femmes, la situation semble mitigée en apparence. Pour EnQuête, la sociologue et membre du Mouvement citoyen, Docteur Selly Ba, dissèque les bons et mauvais côtés de la législation en la matière.

 

Un bref exposé des motifs et quatre articles. Dans sa forme, elle est presque lapidaire, pas plus de deux minutes de lecture, mais son impact est réel. La loi n°2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité dans les institutions électives a fait passer le Sénégal plusieurs étapes de la lutte pour l’égalité de genre. Cinq ans plus tôt, 2005, une Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre (Sneeg) a été mise en œuvre. Malgré son importance capitale, la sociologue Dr Selly Ba pense que ce qu’on appelle trivialement la loi sur la parité n’est ‘‘pas la pierre angulaire de la lutte pour l’égalité Homme-Femme, mais fait partie des dispositifs qui permettent d’atteindre l’égalité au sens large du terme’’.

Les relents électoralistes dont Wade sera accusé par une partie de l’opinion, le soupçonnant de vouloir draguer une bonne partie du vote féminin, n’y changera rien, puisqu’un an plus tard, le 16 juin 2011, le décret d’application n°2011-819 marqua l’effectivité de la loi. Sept ans plus tard, avec 41,8% de représentativité féminine dans son Assemblée, le Sénégal figure à la 9e place du classement mondial de l’union interparlementaire juste devant un pays comme la Norvège connue pour ses réformes en la matière, et devant la France (14e), les Pays-Bas (26e), les USA (100e), la Côte d’Ivoire (158e) ou le Mali (163e). Le Rwanda avec 61,3% de représentation féminine trône sur le monde.

Mais ce classement est anecdotique, 7 ans après le passage de la loi. Le Conseil économique social et environnemental (Cese), qui n’est pas pris en compte dans ce classement, aurait fortement fait régresser le Sénégal s’il avait été paramétré : 23 femmes ont été nommées au Conseil, qui compte 120 membres. Quant aux municipalités, le Sénégal ne compte que 13 femmes maires sur environ 600, dont aucune n’est édile de ville. L’actuel gouvernement n’est manifestement pas adepte de la pédagogie par l’exemple. Seules 8 femmes figurent dans le gouvernement Dionne II, presque 4 fois moins que leurs homologues masculins (31).

Renoncement à la politique de parité ? Si la sociologue Dr Selly Ba pense que ‘‘l’Etat du Sénégal a fait des progrès appréciables dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes, conformément à ses engagements internationaux’’, il n’en demeure pas moins que ‘‘la non-harmonisation de la loi sur la Parité avec les dispositifs juridiques internes des institutions qu’elle vise (Assemblée nationale, Cese, Hcct, Conseils municipaux)’’, le ‘‘mode de répartition des sièges’’, et la ‘‘faible présence des femmes dans les organes de décision de partis politiques’’, contribuent à rendre bancale toute politique paritaire.

Selon le rapport sur les inégalités de genre 2017 du Forum économique mondial, l’année écoulée a marqué la régression, après une décennie de progrès lents mais constants. Des avancées substantielles ont été enregistrées dans la sphère politique qui partait de très loin, mais à leur rythme. 99 ans sont encore requis pour que les femmes y prennent toute leur place. Quant à l’économie, il va falloir encore attendre : elle ne verrait potentiellement le jour qu’en 2234. Ce qui pose en filigrane un autre problème, pense Dr Selly Ba, car au-delà de la parité numérique homme-femme, c’est bien l’intégration paritaire effective aux postes de responsabilités qui doit être la finalité de toutes les réformes.

‘‘S’il y a l’égalité au sens large du terme, à savoir le partage équitable des postes, se posera la question de savoir quels types postes sont affectés aux hommes et aux femmes. Est-ce des postes stratégiques ou secondaires ? Car pour l’égalité, le partage du pouvoir doit être égalitaire, fondement de la démocratie participative. En effet, cette dernière est une forme de partage et d'exercice du pouvoir, fondée sur le renforcement de la participation des citoyennes à la prise de décision politique’’, soutient-elle.  

 ‘‘Le problème, c’est l’engagement des autorités...’’

La finalité est toute simple pour ce phénomène qui agite les sphères dans toutes les sociétés contemporaines. ‘‘La recherche de la parité entre hommes et femmes a pour objectif de lutter contre les inégalités engendrées par des déséquilibres constatés entre les deux sexes (le plus en faveur des hommes) dans les instances de prise de décision’’, explique Selly Ba. Si la loi sur la parité dans les institutions électives est une avancée politique, le pendant social du combat féminin a aussi connu quelques avancées avec Macky Sall. Le Président Macky Sall a pris l’initiative, après une année d’exercice au pouvoir, en la soumettant à l’Assemblée. Malgré les interférences avec la visite du président américain Barack Obama, le moment est décisif. Pour marquer le coup, c’est l’égérie du régime, Aminata Touré alors ministre de la Justice qui, le vendredi 28 juin 2013, défendra avec succès le projet de loi, portant modification de la loi n°03/2013 modifiant la loi n° 61-10 du 07 mars 1961 déterminant la nationalité.

Non seulement les femmes peuvent transmettre la nationalité à leurs enfants nés, mais également à leurs conjoints de nationalité étrangère,  alors que cette prérogative de la transmission était exclusivement réservée à l’homme sénégalais. ‘‘Maintenant, c’est encore une autre conquête pour la femme sénégalaise. Parce que notre combat est d’arriver à éradiquer dans notre pays toute forme de ségrégation entre les hommes et les femmes’’, avait déclaré le président du groupe parlementaire de la majorité Moustapha Diakhaté. Ainsi, en dehors du droit à la représentation égale (parité), il y a le droit à la propriété, le traitement salarial égal, l’égal accès à la terre, à l’éducation, etc. qui viennent compléter les acquis des femmes dans la bataille pour l’égalité.

 Si la sociologue pense qu’il ‘‘y a la volonté politique’’ des dirigeants, c’est la perception de la question et son articulation dans le système sénégalais qui posent le plus de difficultés. ‘‘Le problème, c’est l’engagement des autorités sur les questions d’égalité dû à une mauvaise compréhension du concept/approche genre, mais aussi, à un problème d’opérationnalité de ces questions dans nos politiques publiques’’, explique-t-elle.

Législation sociale (IVG) : la question qui fâche

Pour le moment, les réformes paritaires phares au Sénégal concernent essentiellement la représentativité dans des questions d’ordre politique ou institutionnel. Les décideurs évitent soigneusement d’aborder certains problèmes sociologiques sensibles qui rebutent une large partie de l’opinion. Depuis quelques années, la pratique de l’interruption volontaire de grossesse ou l’avortement médicalisé est défendue par plusieurs Ong face aux statistiques alarmantes des avortements clandestins. Selly Ba estime que le débat autour de cette question est bel et bien politique et non sociologique. ‘‘L’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est politique. Tout est politique car la politique, selon nous, c’est la manière de gérer, d’organiser notre pays, notre communauté. Donc, l’IVG est un combat politique’’, défend-elle.

D’après un rapport de l’Agence américaine ‘‘Guttmacher Institute’’ publié en avril 2015, 51 500 avortements ont été provoqués en 2012, soit un taux de 17 avortements pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans. Les résultats ont révélé que la plupart des avortements ont été pratiqués clandestinement et dans des environnements non médicalisés, nécessitant une intervention médicale. La sociologue estime que les lenteurs administratives et les pesanteurs sociales retardent une législation salvatrice pour les victimes de certains phénomènes sociaux.

‘‘Le Sénégal a ratifié plusieurs chartes relatives aux droits des femmes et à leur santé sexuelle, dont la Protocole de Maputo en 2003, qui impose aux Etats de garantir le droit à l’avortement médicalisé en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la santé de la mère. Un comité avait été mis en place par le ministère de la Santé pour travailler sur un projet de loi sur la légalisation de l’avortement médicalisé, mais, n’est pas encore adopté par le conseil des ministres. Le Gouvernement ne s’est pas encore prononcé clairement sur son soutien à cette réforme qui connaît toujours les réticences des autorités religieuses’’, regrette-t-elle.

OUSMANE LAYE DIOP

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