Publié le 27 Feb 2019 - 22:09
LENDEMAIN DE DEFAITE A MBACKE

La mouvance présidentielle s’étripe pour Touba

 

Après que la coalition Idy2019 s’est imposée dans la capitale du mouridisme et le département de Mbacké, certains membres de Benno Bokk Yaakaar digèrent mal cette défaite.

 

Tous les chemins mènent à Touba. Toutes les convoitises de la classe politique également, les jubilations d’Idy2019, mais surtout les frustrations incoercibles de la majorité présidentielle. Dans la soirée de lundi (avant-hier), suivant le scrutin du 24 février et la ‘‘défaite’’ de la coalition Benno Bokk Yaakaar (Bby), des responsables de la majorité se sont laissé emporter par leur désarroi sur des publications vidéos parues sur la toile.

Il y a d’abord cette réaction sanguine du néo-responsable de Bby à Pikine, Moustapha Cissé Lô.  ‘‘Parlez-moi de Dakar où j’ai gagné mon bureau, mon centre et la région. Et j’étais à Pikine. Il faut me parler de ça. Arrête de me parler de Touba. Je m’en fous de Touba’’, a littéralement éructé le vice-président de l’Assemblée nationale et président du Parlement de la Cedeao, à la question de la presse sur l’issue du vote à Touba.

Il y a également cette sortie revancharde teintée de chantage politique et d’ethnicisme du directeur général de la société de transport public Dakar Dem Dikk, Moussa Diop. Après avoir fait les yeux doux à Touba, la mouvance présidentielle a été étalée par la coalition Idy2019 dans cette localité tant convoitée.

‘‘Arrêtons d’en faire le centre du monde, de dire que ça se passe à Touba. On y a tenu un référendum, ils y ont fait perdre Macky Sall. Les législatives, ils ont tout saboté et nous les avons laissé faire, car le président Macky Sall n’a même pas fait de recours. Pour cette présidentielle, et toutes les espérances qu’on y a placées, on voit ce que ça a donné. Je n’ai qu’une envie depuis mon réveil, c’est d’aller louer un bulldozer pour défaire Ila Touba (autoroute) et en faire Ila Fouta’’, s’est lâché ce dernier, même s’il a affirmé n’avoir parlé que dans une logique purement politicienne. Devant un concert de réprobations unanimes, Me Diop s’est rétracté et a parlé d’humour, mais le mal était déjà fait. ‘‘Dangereuse déclaration, véritable énormité qui signale comment une certaine élite menace le vivre-ensemble’’, a réagi le représentant de la Raddho pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Alioune Tine, alors que le Dg du journal ‘‘Le Soleil’’, proche du pouvoir, Yakham Mbaye, demandait qu’il soit démis de ses fonctions.

La cause de toutes ces saillies verbales est due au succès électoral du candidat de la coalition Idy2019. Le positionnement d’Idrissa Seck grâce à son entremetteur et influent protecteur Serigne Moussa Nawell, ainsi que sa rhétorique fortement teintée de la doctrine mouride pendant la campagne ont fait leur effet. La ville sainte tombe dans son escarcelle et, par-delà le département qui l’abrite, Mbacké, à 57,62 %, soit 129 724 voix. Un score qui double pratiquement celui de son suivant direct et adversaire Macky Sall qui engrange 67 745 suffrages dans ce département de la région de Diourbel, troisième poids électoral du pays. Sans compter les plus de 10 % cumulés du reste de l’opposition.

La mésaventure du Premier ministre Boun Dionne, houspillé jeudi dernier à la résidence Khadimou Rassoul, en prélude à la visite annoncée, puis annulée de Macky Sall, présageait de cet insuccès. Dans la ville, le Mouvement populaire de Fadel Mbaye, l’un des soutiens de Macky dans la ville, attribue cette déroute au fait que les responsables choisis par la mouvance présidentielle ‘‘ont joué sur deux tableaux’’. Il a cité le maire de Touba, Abdou Lahat Ka, ainsi qu’Abdou Lahat Seck, Modou Mbacké Dolli, Serigne Abdou Lahat Gaindé Fatma, Makhtar Diop et Allé Sylla comme fautifs.

La majorité embarrassée

L’embarras est perceptible dans le camp présidentiel où les responsables tentent de circonscrire un début d’incendie qui est la dernière chose dont ils ont besoin, vu le contexte. Au soir du scrutin, pourtant, le secrétaire général et porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, semblait avoir accepté la défaite dans la ville sainte, sur le plateau de la 7Tv, dès que les premières tendances ont été rendues publiques. ‘‘Il n’y a aucun soubassement politique dans les réalisations du président à Touba. C’est la deuxième ville du Sénégal et par égard pour Serigne Touba, tout ce qu’on y fait n’est pas assez.

Cette autoroute ne s’arrête pas à Touba, mais c’est une dorsale pour ceux qui se rendent dans le Ranérou Ferlo et sera un énorme raccourci pour la destination malienne’’, avait-il déclaré avant la sortie malencontreuse des deux ‘’apéristes’’. Dans la matinée d’hier, le porte-parole adjoint de l’Apr, Abdou Mbow, était manifestement pris entre le désir de mitiger les effets de ces propos, tout en dégageant la responsabilité du parti. ‘‘Un responsable politique peut, dans la colère, dire quelque chose. Mais il faudrait qu’on arrête, au Sénégal, de dramatiser certaines situations, certains propos, parce que, souvent, c’est sous le coup de la colère que la personne parle ou bien de l’émotion (...) Le président de la République Macky Sall est un républicain et toutes infrastructures qui ont été réalisées, c’est pour le Sénégal et les Sénégalais’’, a-t-il réagi hier.

Si c’est des ‘‘apéristes’’ qui se sont prononcés jusque-là, certains de leurs alliés ne sont pas en reste, non plus. En marge de la sortie de Moussa Diop, le chroniqueur Birima, sur la Tfm, membre actif du Parti socialiste, s’en est violemment pris à Moustapha Cissé Lô. ‘‘On ne va pas accepter qu’il pénalise Macky Sall. On ne va pas accepter qu’il jette tout notre dur labeur par terre. Que ce soit la dernière fois que Cissé Lô adresse des propos aussi irrespectueux aux petits-fils de Serigne Touba. La prochaine fois, je m’en chargerai moi-même’’, s’est-il désolidarisé.

Discours de Bby similaire à Ziguinchor

Si cette localité du centre du Sénégal cristallise les frustrations de la majorité présidentielle, il est intéressant de relever que ce discours, qui frise le marchandage politicien, n’est pas nouveau. Thérèse Faye s’y est déjà essayée durant la campagne, mais sa sortie est passée dans l’épaisseur du trait. C’est surtout dans le Sud où Bby s’y est mal prise. La communication de la majorité présidentielle enchaîne les bourdes dans sa tentative de conquête et de recherche de suffrages. Juste avant le scrutin, Moustapha Cissé Lô, encore, invité de ‘’La matinale’’ sur la Rfm, s’était emporté contre le candidat Ousmane Sonko dans une maladresse verbale qui l’a poussé à le confondre au mouvement irrédentiste dans la zone.

‘‘Les Sénégalais aiment la nouveauté sans vérifier le background. Nul ne peut dire d’où vient Sonko et où il va. Il a réuni tous les rebelles de Casamance hier pour partager un repas avec eux’’, a-t-il déclaré. Dans cette partie du pays comprenant des mouvements sécessionnistes, où un silence des armes est noté depuis quelques années, l’indignation générale s’en est suivie, sur les réseaux sociaux notamment, où les internautes promettaient une sanction électorale à la hauteur de l’affront. Pour compliquer la donne, au dixième jour de campagne, c’est au tour du candidat de Bby, Macky Sall lui-même, d’user de  proposition qui n’a certainement pas dû plaire à ses spin-doctor.

A Bignona, le candidat sortant d’avancer devant la foule : ‘‘Si vous voulez que la Casamance intègre carrément le Sénégal, dans le cadre du développement, il faut voter la coalition Benno Bokk Yaakaar ; 450 milliards, c’est la somme que j’ai injectée, en 7 ans, en Casamance.’’ Une phrase qui sonne comme une conditionnalité et dont le détournement sur les réseaux sociaux a été au désavantage de Bby. On sait tous ce qu’il en est advenu ce dimanche. Ousmane Sonko, pour son coup d’essai présidentiel, a fait perdre les trois départements de Ziguinchor à la coalition Bby. Toutes choses qui font que la mouvance présidentielle a déjà concédé cinq départements, cassant une dynamique de rouleau compresseur enclenché depuis le référendum de 2016 et auquel résiste Touba depuis.

Reste à savoir si Macky Sall, qui a fait des pieds et des mains pour s’attirer les grâces de la ville sainte, ira à Canossa. 

OUSMANE LAYE DIOP

 

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