Publié le 3 Jul 2018 - 01:51
LENDEMAIN DE VERDICT DE LA COURS DE JUSTICE DE LA CEDEAO SUR L’AFFAIRE KHALIFA SALL

La bataille de l’opinion engagée

 

Après le rendu de la décision de la Cour de justice de la Cedeao, la bataille de l’opinion fait rage entre les pro-Khalifa qui n’en demandent pas moins une libération de leur leader, et l’Etat du Sénégal selon qui, il ne peut y avoir aucun impact sur la procédure en cours.

 

Qui de l’Etat du Sénégal ou des conseils du maire de Dakar a le droit avec lui, suite à la décision rendue par la Cour de justice de la Cedeao ? Difficile de le dire dans un contexte où chacun des deux camps tire la couverture à lui. Pendant que les pro-Khalifa Sall crient victoire, les conseils de l’Etat du Sénégal soutiennent que la décision de la Cour de justice de la Cedeao n’aura aucun impact sur la procédure en cours. Selon le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, du point de vue strictement juridique et judiciaire, ce verdict ne remet pas substantiellement la quintessence de la décision déjà rendue par les juridictions internes. ‘’La Cour de justice de la Cedeao reconnaît qu’elle ne peut pas remettre en cause les lois nationales ou les décisions rendues par les juridictions internes. Il n’y a d’autant plus d’impact que la procédure suit son cours au Sénégal’’, a laissé entendre Ismaëla Madior Fall samedi dernier sur les plateaux de la Rts.

Cet argumentaire est vite balayé d’un revers de main par le directeur de cabinet adjoint du maire de Dakar. Selon Babacar Thioye Ba, à partir du moment où la Cour de justice de la Cedeao considère que toute la procédure qui a abouti à la condamnation de Khalifa Sall et ses co-prévenus est entachée de violations très graves, la conséquence est qu’elle doit être purement et simplement annulée. ‘’Ça, les avocats de l’Etat et le ministre de la Justice le savent, mais ils ne le diront pas. Parce qu’au total, c’est un camouflet qu’ils ont reçu à Abuja. Ils essaient de camoufler ce cinglant désaveu par des dénégations et des arguties juridiques qui n’ont aucune valeur’’, lâche le collaborateur de Khalifa Sall.

Peu convaincu par cette posture, le ministre Ismaëla Madior Fall minimise et estime que, dans beaucoup de parties du monde, pour que les cours internationales ou les cours communautaires se prononcent, il faut qu’il y ait l’épuisement des voies de recours. ‘’Le paradoxe du système de la Cedeao est que la cour peut se prononcer alors qu’il n’y a même pas épuisement des voies de recours internes. Et justement parce qu’il n’y a pas d’épuisement de voies de recours internes que la procédure suit son cours et la Cour d’appel va se prononcer, le 9 juillet prochain’’, déclare-t-il. Il ajoute, à cet effet, que la cour de la Cedeao reconnait qu’elle n’est ni une juridiction de deuxième degré ni de troisième degré. Certes, elle dégage des principes dont les juridictions nationales peuvent s’inspirer, mais ses décisions ne remettent pas en cause celles rendues par les juridictions nationales. Mieux, appuient les avocats de l’Etat dans un communiqué sorti à cet effet, cette décision ne concerne pas le fond de l'affaire et ne remet nullement en cause l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux décisions rendues par le Tribunal de grande instance hors classe de Dakar, le 2 février 2018 sur les exceptions et le 30 mars 2018 sur le fond, ainsi que celles prononcées par la Chambre d'accusation et la Cour suprême.

Seulement, relève le Dircab adjoint du maire de Dakar, soit le Garde des Sceaux et les avocats de l’Etat ont oublié le droit, soit ils sont de mauvaise foi. Car, dire que cette décision n’affecte pas l’autorité de la chose jugée, c’est, selon lui, une caractéristique de mauvaise foi. ‘’Dans cette affaire, il n’y a pas d’autorité de la chose jugée qui suppose que l’affaire arrive à son terme - est jugée à tous les niveaux de juridiction et que toutes les voies de recours soient exercées. Nous avons une décision du tribunal correctionnel statuant en premier ressort et un appel a été introduit par les avocats de Khalifa Sall et de ses co-prévenus contre cette décision. De ce point de vue, l’Etat est tenu d’exécuter la décision de la Cedeao’’, fulmine Babacar Thioye Ba.

Ce dernier rappelle, dans la foulée, que c’est aux Etats de tirer les conséquences et les effets de droit des décisions que prend la Cour de justice de la Cedeao. Cela, d’autant que le Sénégal est membre fondateur de la Cedeao, a signé et ratifié le traité de la Cedeao ainsi que tous les actes additionnels. ‘’Sinon, soutient-il, comment on peut considérer que ses décisions ne s’appliquent pas et en même temps aller à Abuja avec l’argent du contribuable, se défendre, perdre et finalement se rétracter’’.

‘’Ça, c’est assez grave dans un Etat de droit. Nous considérons que le ministre de la Justice devait, dans ce cas, coordonner assez rapidement et sans délai la libération de Khalifa Sall pour se conformer aux effets de la décision de la Cour de justice de la Cedeao. A défaut, des sanctions peuvent s’abattre sur l’Etat du Sénégal. Mais toutes les personnes qui sont investies des pouvoirs de faire exécuter cette décision, si elles ne le font pas, peuvent être poursuivies’’, avertit-il.  

ASSANE MBAYE

 

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