Publié le 11 Jan 2018 - 02:31
LENTEUR ET MAUVAISE QUALITE DES ROUTES AU SENEGAL

Exigences de l’Etat et réserves du secteur privé

 

Hier au Centre international de conférence Abdou Diouf de Diamniadio s’est tenu un forum sénégalo japonais sur ‘’l’infrastructure de qualité’’. EnQuête a saisi ce prétexte pour recueillir les préoccupations des acteurs du BTP. Les spécialistes se sont prononcés sur les raisons des nombreuses failles notées dans la réalisation de certaines infrastructures. Le président de la République est quant à lui revenu sur ses exigences dans la réalisation de ses grands projets.

 

Construire des infrastructures, c’est bien. Mais il est encore mieux d’en construire de ‘’haute qualité’’. Des ponts qui s’affaissent avec leurs lots de dégâts matériels. Des routes à peine inaugurées qui se dégradent, emportant avec elles des milliards F CFA, des ‘’IDEI’’, entendez infrastructures à délai d’exécution indéterminé… Voilà quelques phénomènes, courants au Sénégal, qui interpellent plus d’un. Particulièrement autorités et entreprises. A chacun sa part de responsabilité. Tous conviennent qu’il est ‘’impératif’’ de renverser la tendance.

Venu présider, hier au Centre international de conférence Abdou Diouf (Cicad), une ‘’conférence sur l’infrastructure de haute qualité’’, le président de la République Macky Sall déclare : ‘’Pour relever les défis du développement, il nous faut des infrastructures de haute qualité. C'est-à-dire des infrastructures intelligentes, intégrées, adaptées, modernes et aptes à soutenir la productivité, à entretenir la croissance et à favoriser l’inclusion et la solidarité’’. Ce qui, selon le Président Sall, interroge ‘’nos capacités à réaliser des infrastructures conformes aux meilleurs standards internationaux, dans le respect des normes environnementales et sociales les plus exigeantes’’. Le secteur privé sénégalais regorge-t-il de telles capacités pour réaliser le rêve du Président ? Evidemment, si l’on en croit quelques représentants des entreprises de Bâtiments et travaux publics que nous avons interrogés à l’occasion de cette conférence organisée dans le cadre de la coopération entre le Sénégal et le Japon. Un des spécialistes d’estimer qu’il y a certes l’expertise requise au Sénégal, mais cela ne suffit pas pour faire de bonnes routes, de belles infrastructures. ‘’C’est l’Etat qui, dans le cahier des charges, définit le type de routes qu’il veut. Vous savez, il existe des routes de 100 millions F CFA le kilomètre, comme il y a des routes qui ne coûtent pas moins de 300 millions le kilomètre. C’est l’Etat qui choisit.’’

Mais est-ce qu’une entreprise digne de ce nom doit accepter d’exécuter un cahier des charges qui n’offre pas le minimum de garantie à l’infrastructure ? La réponse du spécialiste est catégorique : ‘’Nous, on ne le fait pas. Une entreprise sérieuse ne l’accepte pas’’. On se fait alors plus précis en citant l’exemple de la route Kaolack-Fatick qui opposait l’Etat à l’entreprise Jean Lefebvre. Il explique : ‘’Dans cette infrastructure, je pense qu’il s’est agi plutôt de problèmes techniques. Cela peut incomber aux deux parties. C’est facile de mettre tout sur le dos de l’entreprise. Mais il arrive parfois, dans un appel d’offres, qu’on reçoive un cahier des charges volumineux et on a juste un mois pour répondre. Sinon on est forclos. Comprenez qu’il est difficile dans ces conditions de procéder à toutes les vérifications. C’est alors sur le terrain que l’entreprise se rend compte qu’il existe des aspects qui n’ont pas été pris en considération. Mais retenez qu’aucune entreprise digne de ce nom n’accepte pas de mettre en œuvre un marché sans assurer les conditions minimales de bonne exécution’’, se répète t-il.

‘’Une entreprise digne de ce nom n’accepte pas d’exécuter un marché dont le cahier des charges n’offre pas un minimum de garantie’’

Mais le mal des grands travaux au Sénégal ne se limite pas seulement à un problème de qualité.  Il y a aussi la lancinante question du délai d’exécution de ces travaux. C’est là un véritable talon d’Achille pour les gouvernements, tenaillés par les échéances électorales. Macky Sall, conscient que sa réélection dépendra en partie du bilan qu’il présentera, reste formel. ‘’Une infrastructure de qualité est aussi une infrastructure solide qui réponde aux normes, notamment environnementales.  Mais aussi compétitive et livrée dans des délais particulièrement raisonnables’’. Cela est ‘’fondamental’’, persiste-t-il. Toutefois, le problème n’est pas aussi simple de l’avis de nos consultants. Pendant que l’Etat livre ses exigences, le privé national se noie dans les retards de paiement. Un représentant du BTP nous souffle : ‘’Quand il y a retard, c’est surtout dû à l’Etat qui paie tardivement ses factures. Si vous faites attention, ce sont surtout les projets financés par l’Etat sur fonds propres qui traînent. Parce que souvent, le gouvernement ne paie pas à temps les entreprises. C’est là un véritable problème pour ces dernières. Et cela impacte négativement sur la durée et accroît le coût de l’infrastructure. Parce que les banques appliquent des pénalités. Les grandes entreprises peuvent tenir jusqu’à cinq mois, mais au-delà, elles se retrouvent dans des difficultés. Et les banques ne lui font plus confiance’’. Outre ce facteur, les retards peuvent aussi s’expliquer, selon toujours nos interlocuteurs, par les obligations de l’Etat en matière de procédure d’une part, d’autre part par la libération des impenses.

‘’L’Etat ne paie pas à temps, ce qui crée beaucoup de difficultés aux entreprises’’

Des défis à relever tout comme ceux listés par le président de la République dans son allocution. Debout au présidium, Macky Sall dixit : ‘’Pour parvenir à réaliser des infrastructures de qualité, nous devons également relever les défis de la planification, du choix des technologies, de la maîtrise des délais de réalisation, de l’optimisation des coûts, mais aussi et surtout de l’entretien et de la maintenance’’. Le forum, d’après lui, constitue un cadre approprié pour ‘’réfléchir sur les défis liés à la mise en place et à la gestion d’un réseau d’infrastructures de qualité’’. A ce propos, le chef de l’Etat appelle Sénégalais et Africains à ‘’s’inspirer du savoir-faire japonais dans la conduite des infrastructures’’. ‘’J’exhorte le secteur privé à saisir les opportunités offertes par la coopération entre les deux pays’’, dit-il s’adressant aux nationaux.

Ces derniers, tenus par la réserve, s’accordent avec le Président sur ce coup. ‘’Nous pouvons beaucoup apprendre des Japonais. Surtout par rapport à l’organisation. Ce sont des gens hyper organisés. Et ce sont des choses à copier. En plus, ils sont très avancés sur le plan de la technologie’’. Toutefois, renchérit l’un des experts, ‘’en définitive, tout est question d’homme. On peut fréquenter les meilleures écoles du monde et ne rien avoir dans le cerveau. Tout est question d’homme et de comportement’’.

Par rapport à l’avenir du secteur privé en général, des entreprises du BTP en particulier, nos interlocuteurs expriment tout leur espoir du fait des chantiers d’envergure lancés par le gouvernement. Ils estiment que l’argument selon lequel ils ne sont pas impliqués ne tient pas la route. ‘’Même dans le TER, il y a des entreprises sénégalaises qui assurent les travaux de génie civil. Souvent on cite Eiffage comme étranger, ce qui n’est pas vrai. Et il y a d’autres privés sénégalais qui sont dans le TER. En vérité, le principal problème, ce n’est pas l’implication des entreprises nationales, mais surtout les paiements tardifs. Sinon, dans l’ensemble, ça va, mais ça peut aller mieux.’’

Le président du Conseil national du patronat, qui s’est prononcé au nom du secteur privé national lors de la cérémonie d’ouverture, a quant à lui axé son propos sur la présence au Sénégal d’une expertise avérée. ‘’La réalisation d’infrastructures de haute qualité avec des entreprises performantes est une exigence. Au Sénégal, les entreprises ont déjà démontré leur capacité à réaliser des infrastructures durables, fiables et résilientes. Que ce soit des ponts, échangeurs ou routes de dernière génération’’, affirme-t-il, non sans demander aux deux Etats de ‘’définir les bases de toute alliance, mutuellement avantageuse, sur les plans technique et financier’’. Il a par ailleurs salué les multiples initiatives de l’Etat allant dans le sens de booster le développement du Sénégal.

 

PETROLE ET GAZ

Les convictions de Macky Sall

Le président de la République s’est fait une conviction forte à propos de l’exploitation du pétrole et du gaz sénégalais. Au-delà du débat passionnant en cours sur les gisements, les entreprises attributaires entre autres, il suggère la ‘’maîtrise’’ du secteur pour en tirer le maximum de profits. Il dit : ‘’Le Sénégal va être dans quelques années un pays producteur de pétrole et de gaz. Pour disposer de façon optimale de ces ressources, il va falloir maitriser leurs conditions d’exploitation et de transformation’’. Sans cela, estime t-il, tout souhait de bénéficier de manière optimale des ressources du sous-sol risque d’être vain. ‘’Pour un pays qui ne parvient pas à maîtriser ces conditions. Il est inutile d’épiloguer sur les intérêts qu’il pourra en tirer. Ce sera minime. Il est donc vital que nous puissions, par le conseil et l’expertise des autres, maîtriser ces conditions d’exploitation des ressources de notre sous-sol’’. Là également, il fait appel particulièrement aux Nippons. ‘’Nous avons besoin des conseils et de l’ingénierie des entreprises japonaises.’’

Déjà les deux pays, main dans la main, entreprennent la mise en œuvre de grands projets structurants tels que le pont de la Falémé, la réhabilitation du corridor Dakar-Bamako, ainsi que la réalisation de l’usine de dessalement de l’eau de mer pour 135 milliards, a expliqué pour sa part le ministre en charge des Infrastructures Abdoulaye Daouda Diallo. Quant au ministre japonais, il a insisté sur les opportunités offertes par son pays. Il a proposé au Sénégal un partenariat gagnant-gagnant pour la réalisation des projets d’envergure, la formation des ressources humaines et le transfert de technologie. Le ministre nippon en charge du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme, Takao Makino, est à la tête d’une forte délégation, composée notamment de 22 entreprises à l’assaut du marché sénégalais.

M. Amar

 

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