Publié le 17 Oct 2018 - 09:53
LES MEDIAS AU AFRIQUE

Une vie de combat et de soumission

 

Intitulé ‘’Les médias en Afrique depuis les indépendances : bilan, enjeux et perspectives’’, le livre écrit par d’éminents intellectuels sous la direction du politologue Ndiaga Loum et de l’ancien directeur du Cesti Ibrahima Sarr, retrace le parcours de la presse, surtout celle sénégalaise depuis 1960.

 

A chaque époque son média. A chaque époque ses histoires, ses hommes et ses défis. Témoins vivants de l’histoire du Sénégal, d’Afrique et du monde, les médias ont, de tout temps, joué un rôle capital dans l’évolution des sociétés. Cela ressort nettement du livre collectif intitulé ‘’Les médias en Afrique depuis les indépendances : bilan, enjeux et perspectives’’. A la lumière des différentes contributions constituant cet ouvrage, l’on pourrait valablement s’interroger sur la neutralité de ces médias vis-à-vis des différentes chapelles politiques, dans le jeu de conquête et d’exercice du pouvoir politique. L’on retient, avec les auteurs, deux tendances majeures : d’une part, des organes publics obligatoirement ou volontairement couchés ; d’autre part, des organes privés systématiquement hostiles au pouvoir. Senghor, Diouf et Wade en ont fait les frais ou tiré les profits. Pour Macky Sall, c’est le grand silence des rédacteurs.

Les médias sous Senghor, Wade et Diouf

Comme à l’accoutumée, Abdoulaye Wade fascine et attire les intellectuels. Sa gouvernance occupe une bonne place dans les diatribes du politologue Ndiaga Loum et de l’ancien directeur du Cesti Ibrahima Sarr. Le moins que l’on puisse dire est que ces derniers, dans leur contribution commune sur le journalisme et la politique au Sénégal, n’ont pas du tout ménagé l’ancien président et ses courtisans. Pourtant, à son arrivée à la magistrature suprême, des actes forts ont été posés dans le sens d’apaiser les relations entre presse et pouvoir. Il en va ainsi, selon les auteurs, de la nomination d’un des fondateurs du groupe Sud Communication, Chérif El Walid Sèye comme conseiller, la promesse à Babacar Touré du rapatriement de sa chaine de télévision Lci installée à Paris, la fin des chroniques dithyrambiques au ‘’Soleil’’… Etait-ce une volonté de normaliser ou de ‘’corrompre’’ la presse ? Pas de doute pour MM. Loum et Sarr : ‘’Lorsque Wade faisait sa promesse à Babacar Touré, il n’avait pas idée du refus de la culture de soumission très ancré dans la presse privée sénégalaise.’’

Ainsi, la lune de miel vira rapidement en une longue lune de fiel qui finira par avoir raison de la première alternance. Comment en est-on arrivé-là ? Le déclic, si l’on en croit les co-auteurs, serait le livre d’Abdou Latif Coulibaly ‘’Wade, un opposant au pouvoir ou l’alternance piégée’’. C’était un tournant décisif dans la guerre froide entre le pouvoir libéral et les médias. Wade se braque et opte pour une stratégie axée sur l’instrumentalisation des médias d’Etat (‘’Soleil’’, malgré les résistances des journalistes, télé avec une soumission volontaire aux désidératas du prince). Il y a aussi la création de plusieurs ‘’journaux du palais au service d’une excroissance monarchique dans les marges de la République’’, renseignent Loum et Sarr.

Il n’empêche, Abdoulaye Wade tombe en 2012. Quelques mois seulement auparavant, le 3 juillet 2011, rapportent-ils, son fils Karim, comme le condamné à mort qui livre ses dernières volontés, accusait : ‘’Jamais, dans l’histoire du Sénégal, un homme n’a reçu autant de coups, de propos diffamatoires et outrageants. (…) Qu’on perde un marché public, une position, une faveur, un privilège, un titre, une fonction, aussitôt l’on me rend responsable… ? Qu’un ministre soit limogé, il prétend que son départ est la conséquence immédiate de son refus d’un prétendu projet de dévolution monarchique du pouvoir. Lorsqu’il pleut un peu trop à Dakar, je suis indexé ; lorsque le vent emporte le toit d’une maison à Pikine, je suis pointé du doigt ; lorsqu’un train déraille à Thiès, j’y suis pour quelque chose ; lorsqu’un accident survient sur la route, je suis vilipendé (…). Conformément à nos valeurs, je leur accorde mon pardon.’’ Bien entendu, dans l’entendement de Karim, la presse, si elle n’est pas auteure, est forcément complice, puisque servant de relais à ses accusateurs.

Sous Senghor, les rapports n’allaient guère mieux. Ndiaga Loum et Ibrahima Sarr informent : ‘’L’ancien président, réputé être homme de culture et grand intellectuel, avait la hantise des médias indépendants. Avec son régime, ils ont étouffé et écrasé toute velléité de mettre en place de tels médias au Sénégal.’’ Comme à l’époque de Wade, la presse souffre sous Senghor. Et les exemples ne manquent pas pour l’illustrer : ‘’Un journaliste limogé pour avoir couvert une grève des transporteurs, un autre pour avoir signé une pétition...’’

Toutefois, malgré ce climat souvent hostile, des journalistes ont toujours bravé les interdits pour exercer leur métier avec hargne, détermination et passion : ‘’Lettre fermée’’, ‘’Le politicien’’, ‘’Promotion’’... sont cités comme exemples par les auteurs. ‘’Les titres dits indépendants se sont heurtés à une politique coercitive symbolisée par la censure, les interdictions de publier, les peines de prison ou pécuniaires. Malgré son humanisme, Senghor s’est illustré par une conception restrictive de la liberté de la presse. Il est resté hermétique à toute critique contre le pouvoir’’, soulignent I. Sarr et Nd. Loum.

Malgré l’embellie des premières années ayant conduit à l’avènement de plusieurs journaux dont les quatre mousquetaires ‘’Le Cafard libéré’’, ‘’Le Témoin’’, ‘’Sud quotidien’’, ‘’Walf quotidien’’… les choses tournent vite au vinaigre. Le 10 janvier 1989, Abdou Diouf se lâche en Conseil des ministres : ‘’La tendance d’une certaine presse à verser dans la diffamation, l’intoxication, la déstabilisation morale de la nation et le discrédit des institutions.’’

C’est dire que la presse privée au Sénégal a rarement été en odeur de sainteté avec les pouvoirs qui se sont succédé à la tête de l’Etat.

Qu’est devenue cette presse critique sous le règne du président Sall ? Sarr et Loum se sont contentés de poser des questions. Parmi elles : ‘’Quelles leçons le pouvoir actuel a-t-il tirées des relations controversées entre Wade et une partie de la presse ?’’

‘’L’influence politique ne va jamais sans l’influence médiatique’’

Malgré les heurts, pouvoirs politiques et médias ont souvent cheminé ensemble. Les grandes aventures politiques, d’après Tidiane Dioh, se sont toujours adossées sur un important soutien médiatique. ‘’Pour la France comme pour toute grande ou moyenne puissance qui émerge et veut accroitre son influence, l’influence politique ne va jamais sans l’influence médiatique. Pour dominer le monde, il faut savoir faire résonner sa voix. Et pour cela, il faut de puissants relais médiatiques’’, affirme Tidiane dans sa contribution intitulée : ‘’Grandeur et décadence de l’empire médiatique français’’. Le rayonnement médiatique français a ainsi, selon lui, prévalu, d’abord sous la colonisation pour servir la politique coloniale de la France, ensuite après les indépendances pour perpétuer l’influence. Ceci est valable dans tous les pays sous influence française, particulièrement en Afrique de l’Ouest.

Sur un tout autre registre, Fatoumata Bernadette Sonko, dans ‘’Forums radiophoniques au Sénégal entre leurres et lueurs démocratiques’’, est revenue amplement sur la révolution du paysage médiatique dans les années 1990. ‘’Avant le printemps de la presse, dit-elle, les médias se limitaient à un journal gouvernemental assorti d’une radio et d’une télévision étatiques. L’émergence des médias privés a brisé ce monopole charriant un nouveau discours critique, diversifié et rompant avec des décennies de griotisme journalistique’’.

Le ‘’Wax sa xalaat’’, un merveilleux outil démocratique confisqué par les politiques

Cette libération de la presse s’est accompagnée d’une libération de la parole, démontre Mme Sonko qui explique : ‘’D’une part, les programmes en wolof commencent à occuper une bonne place dans la presse audiovisuelle ; ce qui n’est pas sans conséquence dans un pays où le taux d’analphabétisme touche 54,6 % de la population’’, analyse la formatrice au Cesti. Qui ajoute : ‘’L’avènement des radios privées a permis aux auditeurs de découvrir une autre façon de faire la radio avec l’inclusion d’une bonne partie de la population, à travers les émissions interactives. Ainsi est brisé le monopole qu’avaient les experts, politiques, syndicaux, acteurs sociaux ou autres chiens de garde. Le citoyen ordinaire peut accéder à l’antenne, prendre la parole sur des sujets variés et divers, sans intermédiaire, sans qualification, en direct et en wolof.’’ C’est le fameux ‘’Wax sa xalaat’’ qui a eu un succès retentissant. L’un des pionniers de ces émissions interactives, Ndiaya Diop, confie à Bernadette que ‘’ces émissions ont été d’un apport décisif dans l’avènement de l’alternance en 2000 et ont révélé la soif d’expression des populations et surtout leur volonté de changement pour exploiter d’autres horizons. Les populations ont appris à démystifier la parole trompeuse des autorités et surtout à leur rappeler les nombreuses promesses non tenues pour améliorer leurs conditions de vie’’.

Mais si l’on se fie aux témoignages du doyen, c’est comme si, de nos jours, le ‘’Wax sa xalaat’’ a perdu de son lustre. ‘’Il a été dévoyé et certains acteurs l’ont confisqué pour en faire des plages de propagande’’. Bernadette rappelle ainsi comment certains ont pu s’accaparer l’antenne au détriment du plus grand nombre. Il cite : Mamadou Médor, Gor gui si Yoff,  Diouf normal, Diouf Niokhobaye, Diop Italie, Ndamal Kajoor ou les défunts Ndiaye Pai et Monsieur Dème. La professeure de sociologie de la communication au Cesti de renchérir : ‘’La même tendance continue depuis 2012, avec de nouveaux auditeurs : Mar Américain, Bathi Ciss, Djiby Sow, Baol-Baol, Ferrailleur, Seynabou Seck…’’

L’impact d’Internet dans la pratique du journalisme

Dans sa contribution, Mamadou Ndiaye a mis l’accent sur l’impact de l’Internet dans la pratique du journalisme. ‘’Evolution ou révolution’’ ? Telle est la question que se pose le directeur adjoint des Etudes au Cesti. Citant des auteurs dont  Julia Cagé, il s’interroge : ‘’La production de l’information est-elle menacée à l’ère d’Internet ?’’ L’information diffusée par les médias sur Internet relève, à l’en croire, essentiellement du copier-coller. ‘’Cette pratique récurrente tend à dévaloriser le travail du journaliste qui est, selon Julia Cagé, une espèce en voie de disparition qu’il faut sauver’’, rapporte M. Ndiaye. Pour lui, Internet a ainsi apporté des bouleversements profonds dans la pratique du métier de journaliste. ‘’Ce qui induit, estime-t-il, des changements profonds sur les plans économique, juridique, organisationnel…’’.

Toutefois, le web n’est pas qu’apporteur de problèmes ; il donne également des solutions aux journalistes qui s’en servent dans le cadre de leur travail. D’après les résultats de son enquête, l’écrasante majorité des journalistes interrogés disent utiliser Internet : réseau sociaux, mail, sites d’information… d’une part, pour suivre l’actu, d’autre part, pour faire des recherches. Il est également question, dans le livre ‘’Des modèles de (dé) concentration de la propriété médiatique en Afrique’’ par Henri Assogba, ‘’D’ouverture démocratique et vivre ensemble. Discours médiatique sur l’ethnie au Cameroun’’ par Alexie Tcheuyap, ‘’Objectivité et journalisme : perspectives postcoloniales’’ par Jean Cavallin…

MOR AMAR

Section: