Publié le 27 Oct 2013 - 12:46
LES PREMIERS MINISTRES SOUS TOUTES LES COUTURES

Tampons, fusibles, porte-serviettes, rebelles ou calculateurs

 

La fonction de Premier ministre a toujours été stratégique. Chef du gouvernement, c’est être le Premier des ministres, et surtout, incarner une confiance émanant du président de la République. Les écoliers ont leur gomme pour effacer ; les chefs d’Etat ont des chefs de gouvernement, pour d’abord, traduire en actes leur volonté mais, surtout de servir de «bouc émissaire». Les décisions qui fondent sa nomination tiennent soit en sa qualité politique ou administrative, soit en l’affectif ou alors à un simple déplacement de pièces sur l’échiquier.

Aux premières heures des années qui ont suivi l’indépendance, la fonction était «naturelle». Mamadou Dia a ainsi été président du conseil des ministres jusqu’en décembre 1962. Président ? C’est pour affaiblir la fonction tout en la responsabilisant, en faire le bras armé de l’exécutif que la transition s’est opérée. Huit ans durant, le président Senghor va faire macérer le poste. Car c’en est un avant tout. Dès qu’un président de la République est élu, la première question qui affleure est le nom de son Premier ministre. Au fil des années, la question va devenir centrale car entre 1962 et 1970, le président Senghor est à la fois chef de l’Etat et chef du gouvernement.

Sous le régime socialiste, la même situation sera vécue quand Abdou Diouf décide de supprimer le poste (voir par ailleurs). Le trait commun à tous les Premiers ministres est qu’ils ont bénéficié de la confiance du chef. L’affectif le plus déterminant a été la gouvernance du Premier ministre Habib Thiam. De 1981 à 1983, c’est l’ami du président Diouf qui dirige le gouvernement.  Dans «Par Devoir et par Amitié», les journalistes Mamadou Ndiaye et Mamoudou Ibra Kane expliquent la fusion entre les deux hommes, amis depuis l’Ecole nationale de la France d’outre-mer (ENFOM) à la fin des années 50.  Un PM sert à quelque chose et un ami sert avant tout de paravent pour quelqu’un qui doit faire face aux barons de l’ancienne UPS devenue PS.

En 1983, pour «faire respirer» sa gouvernance, et marquer son empreinte, Abdou Diouf fait quitter Habib Thiam la Primature au profit de Moustapha Niasse qui n’y restera que quelques jours, pour élaborer la loi qui va supprimer le poste. Il n’oubliera pas…

Mais Habib Thiam est un athlète, ancien champion de France des 200 mètres. Après les années de braise et la montée en puissance du Pds, le président Diouf fait de nouveau appel à lui pour «gérer» un certain  ministre d’Etat nommé Me Abdoulaye Wade. Ainsi, entre 1991 et 1998, le natif de Dagana sera le chef du Gouvernement.

Affectif ? Plutôt du pragmatisme du côté de Diouf qui voit, avec l’entrée de son principal opposant dans le gouvernement, quasiment deux PM à ses côtés, alors que le secrétaire général du Pds, Me Wade, est entouré de figures comme Idrissa Seck, Me Ousmane Ngom ou encore Mme Aminata Tall. Les conseils des ministres sont alors houleux et le président Diouf trouve en Habib Thiam la personne idéale pour minorer les velléités de Me Wade. Les piques ne manquent pas en ces mardis de conseil des ministres. Le paroxysme de leur confrontation sera atteint avec l’affectation de la gestion du Fonds de Promotion Economique (FPE). Habib Thiam tient la barre, résiste, et permet à son ami de président de se maintenir au-dessus de la mêlée. Mais la rue gronde. Il faut refaire le casting. C’est alors que survient ce que d’aucuns considèrent comme un des actes majeurs du renouvellement de la classe politique. Mais avec quelles conséquences ? Abdou Diouf, naturellement conseillé par Ousmane Tanor Dieng, décide de confier la Primature à son ministre du Budget, Mamadou Lamine Loum. Qui appelle Moustapha Niasse en voyage à Paris pour le «consulter». Celui qui était alors ministre des Affaires étrangères va claquer la porte du Ps. Ego et agendas personnels. Mais là, Mamadou Lamine Loum découvre que sa fonction ne sera pas faite que de gestion des comptes de l’Etat.

Abdou Diouf et Macky Sall ont été les seuls à occuper la fonction avant de présider aux destinées du Sénégal et toujours les chefs d’Etat au Sénégal ont eu à subir les conséquences des choix des numéros deux. Si Moustapha Niasse a été par deux fois Premier ministre (le président Wade le nomme le 20 mars 2000 après la défaite du Ps), il deviendra l’un des plus féroces adversaires. Ainsi que le deviendront Macky Sall et Idrissa Seck. «Bouffeur» de Premiers ministres, Me Wade détient un record : six chefs de gouvernement en douze ans de pouvoir, soit un tous les deux ans en moyenne. Moustapha Niasse, Mme Mame Madior Boye (la première femme à ce poste), Idrissa Seck, Macky Sall, Cheikh Aguibou Soumaré, Souleymane Ndéné Ndiaye ont tous «servi» à la Primature sous Me Wade, mais toujours sous la pression obsédante du «Pape» du Sopi. Qui les usera à souhait. Sous lui, comme d'ailleurs sous Diouf, le Premier ministre ne sert qu'à endosser les fautes et carences du ''Prince''. Fusible naturel, il est d'abord là pour éviter qu'on arrive au Président. C'est d'ailleurs là une des raisons qui ont fait qu'Abdoul Mbaye a été limogé. On lui a reproché de ne pas assez... prêter son flanc au Président Macky Sall. A l'Alliance pour la République, c'était une des critiques émises de façon récurrente qui ont poussé le Président à convoquer Abdoul Mbaye au Palais pour lui signifier son limogeage.

L'actuel Premier ministre, la seconde femme du Sénégal à être nommée à ce poste, devra imprimer des marques bien solides si elle veut rester à la barque un bon moment et battre le record de Mame Madior Boye à qui elle ressemble beaucoup. Cette dernière avait été nommée le 3 mars 2001, avant d'être remercié le 4 novembre 2002, du fait du naufrage du Joola. Elle n'avait pas fait deux ans à la tête du gouvernement. Comme Aminata Touré, Mame Madior Boye venait aussi du  Département de la Justice.
 

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