Publié le 22 Feb 2014 - 19:17
LETTRE OUVERTE A SON EXCELLENCE, MACKY SALL, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU SENEGAL

«Le 23 juin 2011 ou la Révolte du Peuple contre la modification du mode de scrutin.»

 

Monsieur le Président de la République, 

Il vous souvient, sans doute, encore, que le projet de révision constitutionnelle visant l’élection au premier tour avec 25% des suffrages d’un ticket Président/Vice-président de la République avait provoqué, le 23 juin 2011, la révolte du peuple. 

Il ne fait pas de doute que si ce projet de modification du mode de scrutin  avait était adopté par l’Assemblée nationale, vous ne seriez pas aujourd’hui destinataire de cette missive car votre prédécesseur, ayant obtenu 34, 82 % des suffrages à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle du 26 février 2012, exercerait encore la charge de Président de la République.

Le 25 mars 2012, le peuple sénégalais, pour la liberté, la démocratie, la justice, l’avènement renforcé du progrès et de l’Etat de droit vous plaçait dans un élan irrésistible et enthousiaste, à la tête du pays. 

Le Sénégal, au contraire de bien d’autres Etats en Afrique, a acquis une certaine maturité démocratique. Mais la démocratie n’est jamais un acquis. De ce point de vue, elle doit constamment s’adapter à de nouvelles exigences émergentes au nombre desquelles compte sans conteste le renforcement du système électoral.

A la suite de l’adoption du nouveau code général des collectivités locales, il nous a fallu entamer les travaux de la revue du code électoral, cette autre implication de l’Acte III de la décentralisation, pour saisir que la démocratie sénégalaise traverse une crise de croissance.

En effet, les propositions de la classe politique sur le mode de scrutin pour les élections départementales et municipales, en particulier celles formulées par la Majorité présidentielle, laisse croire que les calculs politiciens ont été privilégiés et ont pris le dessus sur toute autre considération.

Or le mode de scrutin, étant un enjeu primordial dans l’édification et le fonctionnement d’un système démocratique, commande qu’il ne soit nullement sous-tendu par des logiques partisanes.

Vouloir que les départements et les villes soient administrés par des conseillers élus au scrutin majoritaire des communes constitutives, est un recul démocratique.

Aux termes de l’article 102 de la Constitution, les collectivités locales constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Elles s'administrent librement par des assemblées élues. Cette disposition est confirmée par la loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités locales en vertu des dispositions de l’article premier.

Par ailleurs, les principes fondamentaux de la libre administration et du suffrage universel  direct, inspirés de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 sont réitérés successivement aux articles 20 et 92 de la loi n°2013-10.

Excellence Monsieur le Président de la République, nous vous adjurons d’écouter le peuple car de votre silence naîtront les prémices d’un recul démocratique.

Allez-vous cautionner que l’on prenne prétexte de la réforme de la décentralisation  pour instituer un mode de scrutin qui en plus de son caractère rétrograde n’est nullement conforme ni à la loi fondamentale, ni au code général des collectivités locales? 

Notre conviction est que les acquis démocratiques doivent être consolidés. Dès lors, il  apparaît impérieux de préserver le système électoral adopté jusque-là par notre pays. Ce système mixte mériterait tout au plus des correctifs au niveau de la clé de répartition des sièges à affecter aux scrutins majoritaire et proportionnel, et qui fait ressortir un déséquilibre manifeste au regard de la composition actuelle et passée de l’Assemblée nationale et des assemblées locales. 

Dans le système en vigueur, aux élections législatives, une liste de candidats qui obtient moins de cinquante pour cent (50%) des suffrages pourrait se retrouver avec plus de soixante quinze pour cent (75%) des sièges de député.

Aux élections locales, une liste de candidats arrivée en tête avec dix pour cent (10%) des suffrages obtient de facto cinquante-cinq pour cent (55%) des sièges de conseiller. Alors que les autres listes qui totalisent quatre-vingt-dix pour cent (90%) des suffrages se partagent les quarante-cinq (45%) des sièges restants. 

A la lumière de ces constats, il convient de revoir notre système électoral pour le rendre plus juste.

Il apparaît judicieux d’instaurer un système mixte dans lequel les deux cinquièmes (2/5) des membres composant l’Assemblée Nationale seraient élus au scrutin majoritaire à deux tours et les trois cinquièmes (3/5) des députés seraient élus à la proportionnelle intégrale sur des listes nationales.

Egalement, ce système devrait être appliqué aux élections départementales et municipales pour les deux cinquièmes (2/5) au scrutin de liste majoritaire à un tour et pour les trois cinquièmes (3/5) au scrutin proportionnel.

Il convient de rappeler que cette proposition avait fait l’objet d’un consensus lors des travaux de revue du code électoral en 2005.

Monsieur le Président, le Devoir de Responsabilité vous impose en tant qu’inspirateur de l’Acte III de la décentralisation de ne pas laisser la logique partisane dévoyer cette grande réforme.

Par ailleurs, vous avez, conformément à vos attributions constitutionnelles, institué par décret n°2013-730 du 28 mai 2013 la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) dont la mission est de : « mener selon une méthode inclusive et participative la concertation nationale sur la réforme des institutions ; et de formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique. »

Ainsi avez-vous voulu traduire l’engagement du candidat Macky Sall à mettre en œuvre les dispositions contenues dans la Charte de gouvernance démocratique lequel a été acté par le Comité National de Pilotage (CNP) des Assises nationales en séance extraordinaire le samedi 03 mars 2012.

Vous venez de recevoir la commande : le rapport et l’avant-projet de constitution. Par conséquent, il vous reviendra, conformément à vos engagements et aux aspirations légitimes du peuple sénégalais de soumettre le projet de constitution pour adoption à ce même peuple seul détenteur de la souveraineté.

Ici également, l’Éthique de Responsabilité vous interpelle !

Mais, d’ores et déjà, nous déplorons les actes et discours de certains de vos collaborateurs qui sont de nature à jeter le discrédit sur le travail de la Commission Nationale de Réforme des Institutions. De toutes les réactions enregistrées à la suite de la remise du rapport de la CNRI, celle du Professeur Ismaïla Madior FALL choque le plus car en sa qualité de Conseiller juridique de Monsieur le Président de la République, il convenait mieux que ses avis vous soient réservés. 

Par une lettre ouverte en date du 1er février 2013, nous demandions à son Excellence ce que vous attendiez encore pour soumettre votre projet de Constitution par voie de référendum au peuple souverain. Aujourd’hui encore cette question est devenue plus qu’actuelle.

En tout état de cause, cet avant-projet renferme des dispositions pertinentes concernant les libertés fondamentales des citoyens et des droits humains, la consolidation de la démocratie, l’indépendance de la justice, la promotion de la bonne gouvernance, de la transparence et de l’éthique dans la gestion des affaires publiques, l’Etat de droit et la réhabilitation de la République.

Et la nouvelle constitution, pierre angulaire de toute réforme, fut-elle l’Acte III de la décentralisation ou la loi électorale, devrait constituer le fondement pour s’engager véritablement dans la perspective de changement.

Nous continuons d’avoir foi en la dynamique de concertation et de recherche constante de consensus en espérant que la classe politique va s’accorder sur le choix du mode de scrutin le mieux adapté, eu égard au niveau d’évolution de notre système démocratique.

En vous réaffirmant notre entière disponibilité à poursuivre la concertation en vue de parvenir à un code électoral consensuel, gage de scrutins crédibles et apaisés, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos salutations patriotiques.

              

Par Monsieur Ndiaga SYLLA,

Premier Vice-président de l’Alliance Jëf Jël

Membre de la Commission Technique chargée

de la Revue du Code Electoral (CTRCE)

Coordonnateur des Experts des partis et coalitions non affiliés

Email : codelectoral@gmail.com

 

 

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