Publié le 10 Oct 2015 - 08:51
LIBRE PAROLE

Hommage à Matar Diack

 

En mission à l’extérieur du territoire national, j’ai appris avec une tristesse infinie et, malheureusement, avec beaucoup de retard le décès de Matar Diack.  J’ai pu lire les nombreux et émouvants témoignages qui lui ont été rendus et qui reflètent si justement  les multiples dimensions d’une personnalité exceptionnelle. Ajouter ma voix à celles qui se sont ainsi exprimées, loin d’être une volonté  de compléter un quelconque  manque, est plus simplement l’accomplissement d’un devoir.

Car Matar a été un camarade de parti, mieux il a été parmi ceux qui ont fondé les bases de la Ligue Démocratique dans la clandestinité. S’il a quitté le parti, il n’a,  par contre, jamais  renié les idéaux et l’engagement pour la cause de la justice sociale, du progrès et de la démocratie qui constituaient précisément l’essence de notre appartenance politique commune. C’est pourquoi je n’ai jamais cessé de le considérer, de le traiter et de l’apprécier comme un militant révolutionnaire en dépit des divergences que nous avions sur des conjonctures.  

Cette constance  de Matar, qui était pourtant devenu libre de tout parti politique, est d’autant plus admirable qu’elle a traversé  sans faiblesse, ni faille des périodes fastes de « bourses politiques » et de « transhumance », où une si haute valeur intellectuelle pouvait se monnayer cher, voire très cher car le contexte transformait  des intellectuels en politiciens et ceux-ci en milliardaires. C’est  un exemple à offrir  à notre jeunesse d’aujourd’hui afin qu’elle  médite sur l’utilité, l’utilisation, bref le sens de l’engagement politique en relation avec l’argent et les ambitions personnelles. C’est que Matar était un homme de gauche qui avait dédié sa vie à la transformation sociale et au mieux-être du peuple sénégalais. Alors  la recherche du luxe et des honneurs lui paraissait secondaire, voire dérisoire. Cette combinaison synergique de liberté et de conviction d’esprit transformée en culture et comportement de vie était aussi l’œuvre approfondie du philosophe qu’il était.

En effet, Matar était un collègue car professeur de philosophie il  fut  comme nous l’avons  été, notre ami Moussa Kane et moi. Dans les débats intellectuels interminables dont nous nous régalions, parfois toute une nuit, Matar était le catalyseur pour ne pas dire le « provocateur ». Champion de la remise en cause, Matar critiquait fortement toute  évidence qui nous paraissait vraie  pour inciter à l’approfondissement de la réflexion et lorsque nous semblions arriver à une conclusion, il soulevait une nouvelle question qui faisait de cette conclusion l’introduction à un nouveau débat. L’intellectuel Matar savait développer  l’esprit critique dans le sens de l’ouverture aux autres opinions, y compris politiques, avec lesquelles il pouvait et voulait dialoguer  à la recherche de  leur part de vérité sans abdiquer sur l’essentiel. C’est pourquoi Matar a toujours été au centre d’un vaste réseau qui se distingue par la mise en relation de personnes de convictions et d’horizons divers, voire contradictoires et qu’il savait rassembler autour d’une table de confrontations, d’échanges et de partage d’idées pour un enrichissement réciproque.

Personnellement, Matar m’a manifesté une grande amitié, une amitié concrétisée par des actes. Il ne manquait aucune occasion de m’appeler, de me rendre visite et de solliciter ma compagnie. Cette amitié était d’autant plus sincère qu’elle ne taisait pas nos divergences mais offrait plutôt l’espace pour les discuter. Il m’a soutenu activement dans l’élaboration et la mise en œuvre  des politiques que j’ai menées au Ministère de l’Education de Base, de  l’Alphabétisation et des langues nationales.

A un moment de forte remise en cause syndicale, il est monté au créneau pour défendre publiquement et dans des débats contradictoire médiatisés  le projet  des volontaires de l’éducation  que j’avais  initié pour inverser le déclin de la scolarisation primaire au Sénégal. Encore tout récemment, il m’a accordé le privilège de  modérer une  magnifique conférence introduite par  Mamadou Lamine Loum et co- organisée, par le Groupe de Recherche d’Analyse et de Prospective sur les Processus Politiques Economiques et Sociaux (GRAPPE) et le Cercle d’Etudes et de Réflexions Stratégiques pour un Sénégal Emergent (CERSSEM) , à l’Hôtel Good-Rade de Dakar, sur le thème : «  Les constitutions africaines à l’épreuve du développement et de la démocratie : l’exemple du Sénégal ».  En somme, je lui dois beaucoup et, si j’éprouve un regret, c’est de  ne lui avoir pas assez rendu la monnaie de sa générosité  à mon égard.

De manière plus générale, nous devons rendre justice à Matar  quant à son attachement à l’amitié.  C’était un besoin si profond chez lui qu’il pouvait quelquefois l’exprimer de manière incompréhensible. Par exemple, exprimer oralement et fortement une « fermeté », une « dureté », une « mise au point » que certains assimilaient à de la méchanceté. En réalité, je peux l’affirmer sans risque de me tromper, Matar  les regrettait aussitôt ou presque. Pour ma part, je les ai toujours interprétés comme  des mécanismes de défense pour cacher maladroitement une nature profondément sensible, j’allais dire fragile. C’est aussi cela l’humanisme de Matar qui est la source de sa profonde affection pour les êtres humains ainsi que de son engagement pour une humanité toujours plus humaine.

Mamadou Ndoye

Secrétaire général  de la Ligue Démocratique

 

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