Publié le 7 Jul 2015 - 09:32
LIBRE PAROLE

Lettre Ouverte au Président de la République

 

Un de mes professeurs à l’Université usait de cette formule dont je ne me suis pas intéressé à savoir de quel auteur il s’est inspiré, mais les propos étaient tellement clairs que je m’en suis toujours servi pour éclairer les étapes de ma vie. Il disait : « Un théoricien ne peut aider en rien le praticien sinon dans les questions théoriques. »

Monsieur le Président, tout en vous souhaitant une bonne réussite et en vous enjoignant notre sympathie pour avoir pris l’initiative de participer au Sommet Union Européenne/Afrique à Maltes après l’étape de Johannesburg, le Réseau Sénégal Italie Diaspora (RESID), dont je suis le président, se permet, humblement, de vous donner des conseils pratiques par cette façon insolite, parce que n’ayant pas trouvé des circuits de communication et des espaces de participation à l’élaboration de la Politique migratoire.
Monsieur le Président, nous nous permettons, sans prétention aucune, de vous rappeler le contexte dans lequel va se dérouler le Sommet UE/Afrique.

L’Europe, comme vous le savez, vit une crise financière, la plus désastreuse, mise à part celle de 1929. Cette crise, de fait, a fragilisé le tissu social et a introduit une inquiétude identitaire de leurs populations qui accusent, ainsi, les émigrés d’être les principaux coupables. En outre, la confrontation des deux altérités, monde arabo-musulman et monde occidental chrétien n’a pas encore trouvé l’espace interculturel qui sauvegarde l’état de droit. 

Monsieur le Président, les Européens ont vécu des décennies de pratiques de politiques migratoires, donc, sur le terrain purement pratique, la confrontation n’est aucunement possible. Si vous ne prenez garde, des solutions minables seront proposées, telles que le renforcement du FRONTEX, le TRITON, en plus d’un rideau de fer qui part de Tanger à la Libye (des propositions déjà élaborées lors de la rencontre du Sommet UE du 23 avril 2015). Ces piètres propositions, à la limite xénophobes, ne doivent pas être l’objet d’une discussion, elles traduisent clairement une tentative de nous faire croire que c’est nous qui avons besoin d’eux dans ce monde globalisé où des capitaux sans âmes circulent librement et les êtres humains sont parqués comme des bêtes (Tanger et Libye en sont des exemples), pour les empêcher d’accéder aux territoires dans lesquels ils ont choisi, librement, d’aller vivre. D’où la nécessité de mettre sur la table de discussion, la question de flux migratoires qui permettent à nos ressortissants de choisir, sereinement, une migration régulière.

Monsieur le Président, dites aux Européens que la programmation des flux migratoires est loin de se conformer aux réalités actuelles et que, d’autre part, l’application de la réglementation sur les réfugiés politiques est loin d’être respectée , ce qui dénote une hypocrisie politique et un manque de considération des règles démocratiques, confirmant au passage à quel point la question des droits des migrants est un défi à la démocratie.

Le RESID est porteur d’un vécu en Italie parce qu’ayant, en son sein, des membres protagonistes des luttes qui ont permis aux migrants d’obtenir des résultats positifs de leurs revendications : Première manifestation pour les droits de migrants le sept octobre 1989 à Rome, la Convention antiraciste de Florence, les neuf, dix, onze décembre 1989 la grève de la faim de la Communauté sénégalaise à Florence en 1990, la participation, en tant que protagoniste, au premier plan, aux centres d’élaboration et de décisions des politiques migratoires en Italie. Cette période a été caractérisée par des avancées considérables.

Monsieur le Président, notre pays en particulier, et l’Afrique en général, méconnaissent les dynamiques des politiques migratoires pour ne pas s’en être dotées. En effet si on prend l’exemple de notre pays, l’absence d’une cabine de régie, le manque de coordination de différentes structures existantes, les déficits de communication avec les structures associatives des migrants sont autant d’éléments qui gangrènent et paralysent toute tentative d’élaboration d’une politique migratoire viable.
A défaut, nous vous suggérons d’axer votre intervention sur la stratégie, sur les droits des migrants et l’Ethique de la Solidarité pour un monde plus juste et plus équitable.

En 1886, dans un échange épistolaire, Karl Marx avait écrit ces simples mots à Engels : « Chers Camarades, il se peut que je me fourre le doigt dans l’œil, mais j’ai disposé mes batteries de telle sorte que, même dans le cas contraire, j’aurai toujours raison… On s’en sort toujours avec un peu de dialectique. » Voilà le maître mot qui nous pousse à vous demander de ne pas vous attarder sur ses rencontres qui vont, à la limite, vous distraire.

Mais, nous vous rappelons que le Sénégal jouit d’une ressource extraordinaire représentée par la diaspora, composée de ressources humaines et de ressources financières qui, utilisées à bon escient, pourraient représenter une opportunité inestimable. Vous devriez demander à toutes les structures gouvernementales comment utiliser les capacités intellectuelles pour créer une politique viable de développement, comment drainer l’épargne des émigrés pour les canalisés dans des secteurs productifs, générateurs d’emplois. Comment faire de tout émigré un investisseur potentiel, un entrepreneur de renom, et comment faire pour que cette génération née en Europe, porteuse de cultures différentes, choisisse de contribuer à la construction de la grandeur de cette nation.

Voilà, Monsieur le Président, tout le peuple du dehors qui attend de vous les premières ébauches d’une politique inclusive leur permettant de se sentir Sénégalais à part entière.

Bon Ramadan et… Bon Voyage Monsieur le Président !

Alioune Gueye Président du RESID

 

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