Publié le 31 Jul 2020 - 05:12
LICENCIEMENT ABUSIF, NON-RESPECT DU CODE DU TRAVAIL

Le calvaire des Sénégalais au royaume chérifien 

 

Des Africains, en particulier des Sénégalais établis au Maroc et employés de la société Ux-centers, ex Digital Woks, sont dans des conditions précaires.  Ils sont, d’après leurs dires, victimes de licenciement abusif et de non-respect du Code du travail dans leur pays d’accueil.  

 

Salif Diallo traverse des moments sombres, depuis le début de la pandémie du coronavirus. Le Sénégalais, expatrié au Maroc, était pourtant bien parti pour régulariser sa situation dans sa nouvelle terre d’accueil. Ce… grâce à un contrat à durée indéterminé décroché dans un centre d’appel dénommé Ux-centers, ex Digital-Works. Après sa réintégration dans la société en décembre 2019, le Sénégalais a continué à parfaitement mener ses activités. Mieux, renseigne M. Diallo, toutes les démarches étaient bouclées pour lui permettre d’obtenir une carte de séjour marocaine.  

Cependant, les choses se sont compliquées avec l’apparition de la pandémie au pays de Mouhamed VI. Selon Salif Diallo, la société Ux-centers a, à cet effet, proposé à ses employés d’effectuer le télétravail, afin d’éviter la propagation de la maladie au sein de la structure. Seulement, regrette le Sénégalais, aucune mesure d’accompagnement n’a été déployée pour leur permettre d’accomplir leur travail convenablement. ‘’Je suis resté oisif pendant trois mois, car l’entreprise n’avait pas pris les dispositions nécessaires pour me permettre de remplir mes fonctions. J’ai, à plusieurs reprises, demandé l’installation d’un logiciel sur ma propre machine, afin de pouvoir m’acquitter de mes obligations professionnelles. C’était malheureusement sans succès. Et le pire, durant tout ce temps, j’étais sans salaire, sans prime ou aide, encore moins de cotisations sociales’’, se désole-t-il.  

Toutefois, il ne s’est pas découragé pour autant. En effet, Salif Diallo s’est à nouveau présenté chez son employeur, après le déconfinement du Maroc. ‘’Nous avons été convoqués. Ils nous ont proposé de changer nos CDI pour nous faire signer des contrats d’apprentissage de 6 mois avec aucune politique sociale, encore moins d’assurance’’, indique-t-il. Une proposition que le concerné a naturellement refusée pour plusieurs raisons. Ainsi, en plus de la sécurité économique, il se pose également, pour lui, un souci de régularisation.

En effet, un changement de contrat serait synonyme d’un recommencement pour obtenir des papiers de séjour pour lui et d’autres collègues dans la même situation.  

Pour l’employé d’Ux-centers, il était hors de question de signer un accord pareil et de modifier les règles du jeu en plein match. Il a été ainsi convenu, avec l’employeur, de les mettre sur une liste d’attente et de les rappeler en cas de besoin. ‘’Quelques semaines plus tard, je suis retourné à l’entreprise. Après vérification, le directeur des ressources humaines m’a notifié que j’ai fait un abandon de poste, alors que j’étais en attente, comme ils me l’ont demandé’’.  

Après une séance d’explication, dit-il, le DRH a finalement accepté de rédiger un procès-verbal pour tenir compte de sa déclaration, afin de le réintégrer. Malheureusement pour le nouveau marié, depuis ce jour, rien n’a bougé, alors qu’il a des charges fixes à honorer.    

Une situation que Salif Diallo partage avec d’autres compatriotes établis au Maroc et employés dans la même société. Contrairement à notre interlocuteur, certains ont préféré se résigner et passer d’un contrat a duré indéterminé à celui d’apprentissage de six mois.  Ils sont un groupe d’Africains de plus de 200 personnes, toutes nationalités confondues. Et beaucoup préfèrent souffrir en silence pour ne pas être rejetés par le système et se mettre à dos les autres centres d’appels.     

Alicia a préféré utiliser un nom d’emprunt, car elle continue d’évoluer dans l’entreprise et ne souhaite pas être licenciée, comme ses camarades qui ont osé porter l’affaire dans les médias. ‘’De manière globale, c'est le Code du travail qui n'est pas respecté dans son intégralité. Les heures de travail sont de 44 heures par semaine dans le Code du travail marocain, alors qu’avec la société, on effectue plus de 50 heures. On travaille de 8 h à 19 h et 6/7 jours’’, témoigne l’Ivoirienne. Qui dénonce, en outre, des modifications de contrats par Ux-centers sans avenant, des abus de pouvoir et le non-paiement des salaires et primes.   

A l’en croire, avec la pandémie, le gouvernement marocain avait exigé aux entreprises de déclarer toute personne envoyée en congé sans salaire, afin qu’elle puisse bénéficier d’une indemnité de 2 000 dh, équivalent de 120 000 F CFA.  Toutefois, regrette-t-elle, ce ne fut pas le cas à Ux-Centers.  

Abdel Kader Kane, lui, est confronté à un autre problème. L’ex-employé d’Ux-centers a assisté, du jour au lendemain, à la modification des termes de son contrat sans préavis.  ‘’Au départ, j’avais négocié un contrat à hauteur de 6 500 dirhams (392 665 F CFA). Ce qui équivaut à 28 dirhams de l’heure. Le responsable des ressources humaines m’a un jour signifié que j’avais changé de poste ; par conséquent, mon salaire devait changer. Je suis ainsi passé à 14 dirhams/heure, alors qu’il n’avait pas le droit de changer mon salaire, quel que soit le poste’’, explique le ressortissant de Dieuppeul 4.   

En effet, dans son attestation de titularisation délivrée par la société, il est indiqué que l’employé ‘’interviendra également sur tous les lieux de déroulement des missions confiées à la société par ses clients, selon les nécessités de son exploitation, sans que cette affectation puisse être considérée comme une modification du présent contrat’’.  

Monsieur Kane, établi au Maroc depuis 3 ans, a, après cette mésaventure, saisi l’inspection du travail pour se plaindre de sa situation. ‘’On m’a fait savoir qu’une plainte sera sans suite, car l’entreprise pourrait dire qu’elle a commis une erreur.  Je devais attendre que cela se répète pour avoir une confirmation’’, relate l’ex-employé de Ux-centers qui y a passé 14 mois. Seulement, informe-t-il, au bout de trois mois, sa situation n’avait pas changé et avec l’arrivée de la pandémie, il n’avait plus la possibilité de porter plainte. 

‘’J’étais en formation du 1er au 3 mai et le mois comptable digital va du 26 au 25. Ce qui veut dire que le mois d’avril et les 3 jours devaient être comptabilisés pour le mois suivant. Sans compter qu’on travaillait en cette période durant 9 heures et 30 minutes par jour. L’entreprise avait un problème technique interne, mon supérieur m’avait demandé de prendre une pause technique et que mes heures seront prises en charge. Ce qui n’était pas le cas, car à la fin du mois, j’ai reçu un salaire de 1 700 dirhams, alors qu’il devait excéder les 6 500 dirhams de départ, parce que j’ai travaillé plus de 223 heures en cette période, en plus d’autres avantages que je devais percevoir pour les mois de février, mars, jusqu’en mai’’. 

‘’Ils me doivent plus d’un million…’’ 

Ainsi, excédé par cette situation, Abdel Kader Kane a décidé de s’en ouvrir à la presse pour porter l’affaire devant l’opinion publique, après des démarches internes infructueuses. Une démarche mal perçue par son employeur. 

En effet, après la découverte des vidéos, M. Kane a été convoqué pour une séance d’explication. ‘’J’ai nié être l’auteur de la vidéo, car j’étais toujours un employé de la boite. Seulement, ils étaient convaincus que c’était moi, car j’étais, d’après eux, le seul Noir avec un salaire aussi important dans cette situation’’, souligne-t-il.  

Ainsi l’administration d’Ux-centers a, d’après Abdel Kader Kane, voulu lui faire signer un procès-verbal, afin de reconnaitre son passage dans les médias. Ce que le mis en cause a catégoriquement refusé. ‘’Ils m’ont alors annoncé mon licenciement pour divulgation de documents confidentiels et, par la même occasion, la perte de tous mes droits. Mon supérieur hiérarchique a exigé de moi que je restitue mon outil de travail, c’est-à-dire mon ordinateur. Ce que j’ai refusé, en demandant la notification de mon licenciement’’.  

Abdel Kader Kane a alors entrepris des démarches auprès de l’ambassade du Sénégal au Maroc pour faire face à son employeur. Monsieur Kane peut toutefois garder espoir, car les autorités diplomatiques ont pris, d’après lui, contact avec le centre d’appel, afin de régler la situation à l’amiable, à défaut de recevoir une plainte du ministère des Affaires étrangères du Sénégal.  

Une copie de cette plainte devait, d’après M. Kane, être déposée par l’ambassade du Sénégal à l’Inspection du travail du Maroc.  ‘’Le DRH m’a alors fait savoir que l’entreprise allait régler le problème à l’amiable. D’après mes calculs, je devais percevoir un montant de 19 000 dirhams (1 143 000 F CFA) sans compter mes primes, alors que je n’ai perçu de 3 000 dirhams (180 600 F CFA). Ils me doivent plus d’un million de francs et je me suis rendu compte que même mes cotisations sociales ne sont pas versées normalement’’, déplore M. Kane.  

Le directeur des ressources humaines, contacté depuis le 20 juillet pour recueillir la version de la société, est resté aphone. Après une relance le 22 juillet, Youssef Taoussir a promis de nous mettre en rapport avec un responsable communication de la boite pour une réaction officielle.  

Et jusqu’à ce jour, c’est sans suite. Ux-centers n’a toujours pas réagi aux accusations de ses employés et ex-employés.   

HABIBATOU TRAORE 

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