Publié le 15 Jan 2019 - 20:46
LISTE PROVISOIRE CANDIDATS

Les bizarreries dans certains dossiers

 

Au-delà des accusations, des supputations et vociférations, arrive un moment où la réalité prend le dessus sur les hallucinations. ‘’EnQuête’’ livre toute la vérité sur certaines candidatures qui alimentent encore les débats.

 

Hier, le Conseil constitutionnel a publié sa décision N 2/E/2019 relative à la liste des candidats devant disputer l’élection présidentielle de 2019. Et aucun miracle n’a eu lieu. Comme on pouvait s’y attendre, suite à ce qu’on a pu appeler le deuxième tour du parrainage, les candidatures de Khalifa Ababacar Sall et de Karim Wade ont été rejetées ; celles de Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et Issa Sall validées. Comme à l’accoutumée, les états-majors politiques n’ont pas mis du temps pour ruer dans les brancards, certains pour jeter l’opprobre sur ‘’les sept sages’’ de la République. Et pourtant, des sources dignes de foi attestent que certains recalés n’ont qu’à en vouloir à eux-mêmes.

En effet, semblent-ils défendre, pour passer le parrainage, il fallait se lever tôt. Ceux qui l’ont compris comme Ousmane Sonko et Issa Sall ont réussi sans coup férir. Idrissa Seck et Madické Niang, non plus, n’ont eu aucune difficulté à relever cette épreuve que d’aucuns avaient considérée comme celle du feu. Les autres sont tout bonnement passés à la trappe.

Des sources bien au fait du processus de vérification certifient, en effet, que malgré quelques imperfections inhérentes à la loi, personne ne peut reprocher au Conseil constitutionnel de n’avoir pas fait son travail correctement, selon une procédure transparente, clairement définie. ‘’Tout a été fait de manière très transparente, au niveau du Conseil constitutionnel. Et c’était en présence des représentants de la société civile et des candidats’’, rappellent nos interlocuteurs qui en veulent pour preuves : ‘’L’organisation d’un test avant même le début des dépôts.’’ Le Conseil est même allé plus loin, en cooptant dans le processus de vérification des membres de la société civile. ‘’Tout ça pour donner des gages de bonne foi’’, insiste-t-on, non sans signaler que les sages étaient, au départ, très réticents à cette idée. Finalement, ils ont lâché du lest uniquement dans le but de rassurer toutes les parties prenantes.

Malick Gakou, victime de sa turpitude et des doublons

De source sûre, on tient que la candidature de Malick Gakou n’aurait en aucun cas été validée par le Conseil constitutionnel. Même dans l’hypothèse où il aurait réussi à atteindre le nombre minimum de parrains requis, il serait rattrapé par un vice congénital de son dossier qui a outrepassé  la législation en vigueur. En effet, là où la loi fixe le maximum de parrains à déposer à 1 % du fichier électoral, soit 66 820, Malick Gakou en a fait fi et déposé 67 842 parrains, soit 1 022 parrains de plus.

‘’Ce serait une rupture de l’égalité entre les candidats que de laisser cette violation prospérer. Ce n’est pas normal que tous les candidats soient évalués sur la base de 66 820, alors que lui a déposé plus’’. Pourquoi une telle légèreté de la part de M. Gakou ? Lui seul et son staff pourraient apporter des éclaircissements. Mais nos sources indiquent que, dans son cas, le Conseil n’a même pas eu besoin de faire usage de cet argument. La seule vérification des parrainages ayant permis de l’écarter. Et de ce point de vue, ‘’EnQuête’’ réaffirme que le candidat de la Grande coalition de l’espoir avait fait des efforts, même s’il a été pénalisé par les multiples doublons, en l’occurrence 8 888 parrains qu’il avait à régulariser. Ce qu’il n’a pu faire après régularisation. Le cumul de ses parrains validés, si l’on se fie à la décision même du Conseil, est fixé à 52 911 parrains ; ce qui lui fait toujours un gap de 546 parrains. C’était sa dernière chance. Mais le président du Grand Parti refuse toujours de s’avouer vaincu. Par un communiqué, il informe avoir déposé un recours au niveau de la haute juridiction.

Les candidats fantaisistes

Mais parmi les recalés, Gakou est sans doute de loin l’un des plus sérieux. D’après nos interlocuteurs, certaines candidatures étaient purement et simplement fantaisistes. Comme si, pour leurs auteurs, l’élection présidentielle était une simple pièce de théâtre. Le cas de Moustapha Mbacké Diop en est une parfaite illustration. Candidat de Mbacké Diop Challenged, le monsieur a déposé la photocopie d’une carte d’identité comportant la mention ‘’Personne non inscrite sur le fichier électoral’’. Mais pire, alors que la loi requiert plus de 53 000 parrains au minimum, lui n’a pu en déposer qu’un peu plus de 3 000 parrains.

Et sans fichier électronique. Ce qui a rendu la vérification de son dossier impossible. Pendant ce temps, Abdou Wakhab Bengeloune, qui avait déposé 62 265 parrains, n’a pu valider que 6 650. Mais il n’a pas à en rougir, vu le score du député Mamadou Lamine Diallo qui vient derrière lui avec 5 060 parrains validés. Nos investigations ont pu également révéler des bizarreries incommensurables dans le dossier du professeur Amsatou Sow Sidibé. D’abord, expliquent nos sources, le nom de sa maman qui figure sur l’acte d’état civil n’est pas le même que celui qu’elle a mentionné sur son casier judiciaire. Dans l’un, il est indiqué que sa maman s’appelle Souleymatou Diao, dans l’autre Fatou Hane. Ce que nos interlocuteurs ont toujours du mal à comprendre. Et ce n’est pas tout, Mme Sidibé aurait même mis dans son dossier des liens qui, si jamais le Conseil avait cliqué dessus, aurait pu avoir des conséquences néfastes sur le système.

Mais que dire d’Aïssata Tall Sall qui, dans sa rubrique réservée à la diaspora, avait mis des électeurs domiciliés à Fanaye, entre autres. En plus, la mairesse de Podor n’a pu valider que 10 129 parrains dans deux régions.  Aïda Mbodj, elle, a fait légèrement mieux, avec 13 680 parrains validés dans une seule région. Quant à Serigne Mansour Sy Djamil, au lieu de déposer une attestation du directeur général de la Caisse des dépôts et consignation, il a joint la photocopie du chèque. Or, renseignent nos sources, cela ne peut pas être considéré, parce que tout le monde sait qu’un chèque peut être sans provision. C’est pourquoi il faut avoir une attestation du directeur qui prouve que l’argent a bien été reçu.

En ce qui concerne la candidature de Bougane Guèye Dani, nos sources expliquent pourquoi, sur les fiches qui lui ont été retournées, il y a sept chiffres, et non les neufs que le patron de Dmedia avait bel et bien déposés. En effet, en saisissant les numéros des discriminants, le candidat de Gueum sa Bopp a mis des espaces après chaque bloc de trois chiffres. Le logiciel étant paramétré à ne recevoir que neuf signes, a automatiquement rejeté les deux derniers chiffres, les espaces étant comptabilisés à leur place. Toutefois, nos interlocuteurs soulignent qu’il est erroné de faire croire que Bougane a été invalidé à cause de cette anomalie qui, du reste, lui est imputable. Ça, c’est juste dans l’impression des procès-verbaux. Mais dans la vérification, c’est bien les numéros avec 9 chiffres qui ont été contrôlés.

Quant à Pape Diop, sa candidature a été rejeté parce que sur les 65 781 parrains qu’il a déposés, seuls 33 426 ont pu être validés, à raison de 2 000 signatures au moins dans 6 régions.

Le bulletin n°1 du procureur général qui a perdu Khalifa

Pour ce qui est des cas de Khalifa Sall et de Karim Wade, les choses ont été on ne peut plus juridiques et techniques. Tous les deux n’ont eu aucun souci pour ce qui est du parrainage. Cependant, si l’on suit le Conseil constitutionnel dans sa décision, avec leur condamnation, ils ne peuvent plus se prévaloir de leur statut d’électeur. La haute juridiction considère, en effet, que l’arrêt de rejet rendu par la Cour suprême a pour effet de rendre exécutoire la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Khalifa Sall. En conséquence, le candidat de Taxawu Senegaal étant déjà inscrit, perd son droit de vote. Le Conseil, d’après nos interlocuteurs, considère que même si le caractère suspensif du pourvoi n’est pas contestable, il est erroné de penser que toutes les dispositions applicables au pourvoi le sont également pour le rabat d’arrêt qui est un recours spécifique visant uniquement à rectifier une erreur matérielle de procédure.

Mais, à n’en pas douter, ici, le maire de Dakar a surtout été perdu par la notification de la condamnation par le procureur général Lansana Diabé Siby. Aux juristes qui disent que le Conseil n’y avait pas droit, invoquant le contenu du casier judiciaire de Khalifa déposé au Conseil constitutionnel, nos sources expliquent : ‘’Quand un procureur veut qu’une juridiction tire les conséquences du statut pénal d’une personne ayant fait l’objet d’une condamnation, il lui communique le bulletin n°1. C’est ce qui a été fait en l’espèce.’’ Lansana Diabé Siby a tout simplement notifié à la haute juridiction l’arme qui a été fatale à l’ancien édile de la capitale.

La même arme, sinon presque, a été utilisée contre Karim Wade, à la différence que le casier de ce dernier n’était pas vierge.

Les recalés ont jusqu’à mercredi à minuit pour introduire un recours. La liste définitive sera connue le 20 janvier au plus tard, à minuit.

Observations société civile

Innovation majeure de l’élection présidentielle de 2019, le parrainage présente, selon nombre d’observateurs, de nombreux avantages, malgré ses quelques faiblesses. Récemment, en conférence de presse, les 7 observateurs de la société civile avaient émis quelques faiblesses dans le processus de vérification. Il s’agit, entre autres, des bousculades, de l’absence d’un référentiel disponible pour tous les candidats, manque d’information sur le logiciel, manque de précision de la notion rejets pour autres motifs, non vérification des signatures et de la version papier des dossiers. Pour certains observateurs, cela devait sonner le glas du parrainage, mais les membres de la société civile n’ont pas manqué de souligner les bienfaits du système ainsi que le travail appréciable du Conseil constitutionnel. Nos interlocuteurs indiquent que pour les juges du Conseil constitutionnel, les règles ont été les mêmes pour tout le monde et les parties avaient bien été imprégnées des règles du jeu. Toutefois, le Conseil, n’élaborant pas le fichier, a travaillé sur la base du référentiel fourni par le ministère de l’Intérieur qui a en charge les élections.

Pour ce qui est du logiciel, on explique que tous les experts s’étaient mis d’accord sur sa fiabilité. Il existe également, selon certaines sources, de véritables soupçons de fraude sur certains dossiers qui ont été déposés sans même les noms et prénoms du candidat, du délégué et du collecteur.

Pour ce qui est des signatures, il a aujourd’hui été certifié que,  matériellement, il est impossible de procéder à leur vérification.

MOR AMAR

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