Publié le 29 Jul 2018 - 23:51
LITTERATURE/ ABSENCE

Les récriminations d’écrivains  du Fouladou

 

Il n’y a pas que les éditeurs qui ont des problèmes. Naturellement, si eux en connaissent, les écrivains en ressentent les conséquences. Ceux du Fouladou partagent ici leurs principaux problèmes. Entre manque de maisons d’édition locales, mévente de leurs œuvres, absence de librairies et de bibliothèques, ils font face à mille et un problèmes.

 

La région de Kolda se distingue, depuis longtemps, par une production littéraire de qualité, avec à la clé des œuvres qui ont remporté des prix assez prestigieux. L’exemple du doyen des écrivains du Fouladou, en l’occurrence Seydi Sow, en est une parfaite illustration. Ce dernier a reçu le Grand Prix du chef de l’Etat en 1998 pour son œuvre ‘’La reine des sorciers’’. En 2015, Idrissa Sow Gorkodjo remportait le troisième prix de Teham Editions en France. Abdourahamane Diallo a été récompensé de la même distinction en 2017. Sans oublier Diéo Guèye. L’écrivaine conteuse a remporté le prix Birago Diop du conte décerné par l’Association des écrivains du Sénégal (Aes). Mais il ne suffit pas d’écrire pour être publié, loin de là. Car, derrière ces succès, se cache un chapelet de difficultés qui freinent la promotion du livre.

Selon les écrivains koldois, le premier problème est relatif aux maisons d’édition. La région de Kolda, en particulier, et la Casamance, en général, n’en disposent pas. ‘’Editer un livre reste un véritable casse-tête chinois pour nous autres écrivains du Sud’’, déplore Diénaba Guèye, Présidente du Cercle des écrivains de Kolda. ‘’Nous écrivons beaucoup, mais c’est parfois très compliqué. Car les éditeurs sont à Dakar. On est obligé de faire ce qu’ils nous demandent’’, se désole-t-elle.

Son collègue Abdourahamane Diallo embouche la même trompette et lance dans la foulée un appel aux plus hautes autorités du pays. ‘’Nous lançons un appel au président de la République pour qu’il nous aide à mettre en place une maison d’édition dans notre région. Cela va beaucoup aider les écrivains koldois à faire la promotion de leurs ouvrages’’.

L’autre problème auquel les écrivains du Fouladou sont confrontés est la vente de leurs livres.

Le métier d’écrivain ne nourrit pas son homme

Pour la plupart des écrivains koldois interrogés, le livre ne nourrit pas son homme au Fouladou, comme partout au Sénégal d’ailleurs. Pourtant, soutiennent-ils, ‘’le métier d’écrivain peut bel et bien nourrir son homme car, d’après eux, il ne suffit pas d’écrire ou de voir son œuvre publiée. Il faut veiller à ce que l’écrivain vive de sa plume. Donc, cela doit être possible’’. Même s’ils sont conscients qu’il est difficile pour beaucoup de vivre de leur talent. Non pas parce que les ouvrages édités ne sont pas de qualité, mais plutôt parce que l’environnement de publication des livres n’est pas toujours propice. ‘’A Kolda, le taux d’analphabétisme est très élevé’’, expliquent-ils pour dire que le lectorat est réduit. Ainsi, ‘’le pourcentage de ceux qui peuvent utiliser un livre est déjà assez faible dans notre pays pour que l’écrivain puisse s’en sortir’’, analysent-ils.

Ceux qui vont à l’école semblent ne pas être intéressés par les livres. ‘’Le livre est l’un des supports indispensables à l’acquisition, à la transmission et à la conservation du savoir. Mais, aujourd’hui, on ne lui court pas après dans notre pays’’, fait savoir la majorité des écrivains interrogés. D’après des spécialistes de l’éducation, l’effritement du système éducatif est l’une des causes de cette situation (et une des conséquences aussi). ‘’Au Sénégal, le secteur du livre connait un marasme, car le système éducatif souffre d’énormes carences qui pèsent sur l’initiation à la lecture. Le goût de lire n’est pas suffisamment cultivé chez les élèves’’, font-ils savoir. Le pouvoir d’achat, en outre, ne permet pas à tout ce groupe déjà restreint de se procurer des ouvrages. Les écrivains koldois évoquent également la ‘’faiblesse de l’industrie du livre au Sénégal’’, pour expliquer les problèmes que rencontrent certains auteurs. ‘’L’écrivain qui s’en sort le mieux chez nous vend 2 000 à 3 000 livres. Cela veut dire qu’il y a problème’’, indiquent-ils.

Par ailleurs, cet écrivain pourrait bien vivre de sa plume, s’il arrive à faire traduire son livre en plusieurs langues. Cela permettrait à l’auteur de faire des tournées à l’étranger. Cependant, la traduction à elle seule ne suffit pas. Il faut également, dans ‘’la gestion ou la promotion du livre, y inclure une bonne stratégie marketing avec un excellent plan de communication qui, comme chez les artistes, permettra de trouver des sponsors et autres partenaires’’. Cela pourra, à leur avis, contribuer à la promotion du livre avec la collaboration de l’éditeur ou de l’auteur lui-même.

Ecrire est un art et non un métier 

Cette situation ne dérange pas tous les écrivains. Certains conçoivent l’écriture comme un art. Pour eux, il ne s’agit guère de se dire que l’on doit forcément vivre de son art en écrivant. ‘’Écrire est un art et non un métier, pour revendiquer que l’artiste se nourrisse de ses œuvres. Si nous le disons aujourd’hui, d’autres artistes pourront aussi dire qu’ils doivent vivre de leur art, alors que c’est un choix que d’être artiste. Pour un métier, il faut suivre une formation et avoir un diplôme’’, expliquent-ils. Or, selon eux, ‘’il n’y a pas un diplôme d’écrivain’’.

Qu’en est-il alors du succès ? Selon eux, ‘’c’est un accident qui survient au fil du temps’’. Donc, ‘’l’écrivain doit avoir une certaine humilité. On ne peut pas écrire son livre parce qu’on a senti ce besoin et attendre que l’Etat vienne en appoint. C’est un risque que d’écrire, parce qu’on peut nous lire tout comme on peut ne pas acheter nos livres‘’, déclarent-ils, avant de préciser : ‘’La différence entre les écrivains et les chanteurs, au Sénégal, est qu’on demande à un écrivain d’offrir son livre, alors que l’on est prêt à payer 10 000 F Cfa pour aller à un concert de mbalax. Comme si le livre n’était pas une œuvre tout comme un album de musique.’’

Selon la plupart des écrivains interrogés, ‘’l’argent est le nerf de la guerre. Et ce n’est pas l’écrivain koldois qui dira le contraire. Lui qui est contraint d’assurer le quotidien tout en prenant sur lui de concrétiser ses projets littéraires. Lui qui, souvent, doit prendre en charge une partie ou la totalité de la publication de ses œuvres et leur promotion. D’autant plus que les maisons d’édition situées à Dakar, malgré leur bonne volonté, n’ont pas de gros moyens’’. D’autres, par contre, affirment que ‘’la littérature koldoise regorge d’œuvres capables de bien se comporter hors de nos frontières’’. Mais, poursuivent-ils, sans mécène, ni à-valoir conséquents ni droits d’auteur sur des milliers d’exemplaires vendus, voire des millions, il est impossible à tout écrivain de vivre décemment de sa plume’’.

Dans tous les cas, malgré ces difficultés, bon nombre d’écrivains ne comptent pas renoncer à leur vocation d’écrivain. Actuellement, la plupart sont des enseignants et profitent de leurs carrières pour partager les fruits de leurs réflexions poétiques avec les lecteurs en publiant, chaque année, des poèmes dominés par les acrostiches dans lequel ils s’illustrent le plus.

Au Sénégal, le secteur du livre connait un marasme

Comme si tous ces écueils ne suffisaient pas, l’absence de librairies et de bibliothèques vient compliquer les choses. ‘’Rares sont les établissements scolaires qui possèdent une bibliothèque. A cela s’ajoute l’absence d’une industrie du livre. La désaffectation qui frappe le livre s’explique aussi par d’autres facteurs tels son coût élevé et l’éloignement des centres de lecture. A Kolda, par exemple, les librairies n’existent pas et la bibliothèque du centre culturel est située à la sortie de la ville, au quartier Saré Moussa. Trop loin pour certains amateurs’’.

En fait, tout semble se liguer contre le livre : l’accessibilité financière et géographique et un environnement caractérisé par une domination de la télévision et les technologies de l’information et de la communication. D’après les éducateurs, ces appareils dont l’utilisation est de moins en moins élitiste et dépasse largement le cercle de la jeunesse branchée, offrent une multitude de services parmi lesquels des livres au format numérique. Mais la lecture sur les écrans des tablettes et des smartphones n’est pas la tasse de thé du plus grand nombre des utilisateurs. Ils sont plutôt happés par les réseaux sociaux qui éclipsent même les sites web classiques, si bien qu’il est plus fréquent de voir les jeunes les yeux rivés sur un écran que le nez fourré dans un livre.

Pour changer les choses, le Cercle des écrivains du Fouladou lance la campagne de sensibilisation de la jeunesse sur l’importance et l’apport des écrivains dans le développement d’un pays. Campagne qu’ils comptent mener dans toute la capitale du Fouladou et dans tout le pays pour susciter l’intérêt des jeunes qui considèrent l’écrivain sénégalais ou africain comme un mythe.

EMMANUEL BOUBA YANGA

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