Publié le 1 Oct 2016 - 04:18
LOI PORTANT BAISSE DU LOYER

3 ans de résistance et de tiraillements

 

En conseil des ministres mercredi soir, le président de la République Macky Sall a demandé qu’on lui fasse le point sur la mise en œuvre de la loi portant baisse du loyer. Des problèmes, il n’en manque pas dans l’application de cette loi, à cause de nombreuses failles. Des acteurs diagnostiquent le mal et proposent des solutions.

 

Une loi portant les germes de sa propre inefficience. Pour caricaturer, c’est ainsi que l’on peut qualifier la loi portant baisse du prix des loyers au Sénégal promulguée le 22 janvier 2014. Trois ans après, le président de la République veut qu’on lui fasse le point sur sa mise en œuvre. En attendant que ses services concernés s’y penchent, EnQuête a mené sa petite enquête auprès des acteurs du secteur. Les bilans diffèrent. ‘’L’application de cette loi pose énormément de difficultés. Au moment où certains bailleurs respectent scrupuleusement la loi, d’autres utilisent des subterfuges pour la contourner’’, estime le président de l’association pour la défense des locataires du Sénégal (ADLS), Elimane Sall. ‘’L’esprit de cette loi était de rétablir l’énorme fracture sociale longtemps causée par la hausse vertigineuse des prix du loyer. Aujourd’hui, on constate de nombreux différends qui opposent bailleurs et locataires quant à la lecture de la loi sur la baisse des loyers. Son applicabilité continue encore de poser d’énormes difficultés et les locataires restent toujours dans l’embarras’’, ajoute-t-il sur la même lancée.

 En outre, au lieu de soulager les locataires, cette loi les a desservis. Leurs relations avec les bailleurs sont devenues beaucoup plus tendues, selon M. Sall. Interrogé par EnQuête, le président de l’association des consommateurs du Sénégal, Momar Ndao, affirme qu’à ce jour, la loi est de mieux en mieux prise en compte par les bailleurs. Même si, relativise-t-il, ‘’il n’y a pas une loi respectée à 100%’’. Quoi qu’il en soit les choses s’améliorent, selon lui. ‘’Depuis 2014, nous avons reçu au total 5 773 cas de contestations de locataires sur 200 000 logements en location : 2 890 cas en 2014, 1 996 cas en 2015 et 887 cas de janvier à septembre 2016. Cela veut dire que les contestations sont en train de diminuer de manière importante’’, estime M. Ndao. Aussi, 93,41% des contestataires ont eu gain de cause, renseigne-t-il. En outre, les contestations ont pour noms : refus de baisser les coûts, menaces d’expulsion, etc.  

Des problèmes qu’on voyait venir

Des subterfuges derrière lesquels se cachent certains bailleurs pour ne pas respecter la loi. ‘’Depuis la baisse, on ne cesse de distribuer aux locataires des assignations, des congés, des expulsions qui n’ont aucun autre fondement que de les faire sortir pour faire venir d’autres locataires qui vont payer beaucoup plus. La loi a créé plus de problèmes qu’elle n’en a résolus’’, regrette Elimane Sall. Pourtant, des parlementaires comme le député rewmiste Thierno Bocoum avaient prévenu à l’époque sur les dangers de cette loi. ‘’Cette décision régalienne de l'Etat va créer une instabilité regrettable dans les relations entre bailleurs et locataires qui avaient réussi à établir un accord privé et ne permettra pas, pour autant, de baisser le coût des loyers et de freiner la spéculation. Bien au contraire’’, écrivait-il dans une contribution envoyée aux médias.

‘’En effet la mesure ne se prononce pas sur la fixation des prix des loyers, mais seulement sur leur baisse, s'ils ont été déjà fixés. Cela veut dire, en terme pratique, que le bailleur qui fixe son prix après le vote de cette loi ne sera pas concerné par la baisse imposée par l'Etat. Par conséquent, ce bailleur à qui on impose la baisse d'une location en cours peut se rattraper sur la fixation des prix dans le prochain contrat, en majorant selon sa convenance’’. D’où les nombreux congés et autres assignations.

Certains bailleurs ont voulu jouer sur la surface corrigée, en louant les services d’experts. ‘’Cette nouvelle loi légalise ce qui a été jusque-là considéré comme illégal. En effet, il était exigé aux bailleurs de louer sur la base de la surface corrigée, depuis le décret n°77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d'habitation. Cette loi initiée par le gouvernement inaugure une possibilité de mettre son bien en location sans recourir à ce calcul d'où son intitulé : "Projet de loi n° 04/2014 portant baisse des loyers n'ayant pas été calculés suivant la surface corrigée’’, poursuivait-il. Et comme prévu, les bailleurs ne se sont pas fait prier pour user de cette alternative. Pis, M. Bocoum voyait venir ce qui se passe actuellement. ‘’En légalisant les locations sans recourir au calcul suivant la surface corrigée et en se contentant d'établir des fourchettes de prix sans aucune distinction liée au standing, à la zone d'habitation ou encore à la position d'habitation, l'Etat encourage et à la limite légalise la spéculation’’, prévenait-il.

Par ailleurs, les victimes de ces bailleurs le sont parce que ignorant leurs droits ou ne souhaitant tout simplement pas s’opposer à leurs ‘’logeurs’’, selon Momar Ndao. ‘’Ici, au Sénégal, les gens ont souvent tendance à croire que parce que quelqu’un leur a loué sa maison, qu’il en est le propriétaire, il a le droit de vous demander de partir quand il le veut. Ils ne savent pas que dès l’instant qu’il vous loue un espace, il n’a même plus le droit d’y accéder sans votre aval’’, indique Momar Ndao. Dans la même optique, il ajoute que les gens refusent de se plaindre et se complaisent dans leurs situations.

Solutions

Quel qu’en soit le cas, des failles sont notées dans l’écriture même de cette loi. Si après le point qui sera fait au Président, des changements devraient être apportés, le président de l’association des promoteurs immobiliers du Sénégal (Apis) Babacar Faye, joint par EnQuête, suggère l’élargissement de sa portée afin qu’elle soit générale. ‘’Cette loi ne concernait que les loyers qui étaient en cours, au moment de sa promulgation et qui n’étaient pas basés sur les surfaces corrigées’’, informe-t-il. Dans ce sens d’ailleurs, l’ADLS suggère que l’autorité ‘’communique à propos de la surface corrigée et s’accorde avec les magistrats, les avocats et toutes les parties sur la personne qui peut la dresser, qui ne doit plus être un « sachant » mais un expert tel que dit par la loi’’. Elle va plus loin en demandant que les ‘’sachant’’ soient même poursuivis.

Toujours, chez les locataires, il est souhaité qu’on ne laisse plus la négociation des contrats entre les seules mains des bailleurs et des locataires.  ‘’Il faut que les contrats aient une traçabilité. Il ne faut plus qu’ils soient juste une affaire entre bailleurs et locataires. Pour qu’un contrat soit valable, il faut exiger qu’il soit aux Impôts et Domaines, soit dans des bureaux ouverts par l’Etat dans les mairies par exemple’’, suggère Elimane Sall. A l’en croire, ‘’l’Etat a les moyens de faire des polices de loyers, une brigade mobile d’intervention’’. Ce qui pourrait assurer une mise en œuvre correcte de la cette loi qui, ‘’même si elle est mal faite, juge Elimane Sall, vise l’épanouissement des populations. Il fallait un mécanisme d’encadrement. Il n’y a pas eu de suivi ni d’organisation’’.

Mais tout n’est pas encore perdu. ‘’Il y a plusieurs solutions mais, il faut une volonté politique réelle affichée’’, pense-t-il. Parmi les possibles solutions figurent celles des logements sociaux. Pour Babacar Faye, c’est le meilleur moyen pour l’Etat d’aider les Sénégalais. A son avis, quelqu’un qui paie 150 000 F Cfa par mois, pendant 5 ans, peut prétendre à un logement social. On le lui céderait sous forme de location-vente. Les banques pourraient également aider dans ce sens, en octroyant des prêts. Mais là aussi, il faudrait une bonne régulation et un bon encadrement de l’Etat.

‘’Pour les logements sociaux, leur objectif est de réduire, dans le long terme, la forte demande sociale en logements dans Dakar et dans certaines régions du pays. L’association exhorte les autorités, pour leur engagement dans la promotion du logement social avec les programmes à réaliser dans la périphérie de Dakar et dans certaines régions. Toutefois, force est de constater que la majorité des populations n’est pas suffisamment associée et informée sur les différents sites, les possibilités d’accès et les prix qui sont pratiqués’’, selon Elimane Sall.

Par conséquent, ‘’l’habitat social, quelles que soient ses ambitions, est capté par des nantis’’.  ‘’L’Etat doit revoir les conditions d’accès à ces logements. Il arrive que des personnes bénéficient de plusieurs habitations à caractère social’’, avertit M. Sall. 

BIGUE BOB

 

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