Publié le 17 Sep 2018 - 23:11
LOI SUR L’INDEMNISATION DES VICTIMES DE LONGUE DETENTION

Me Assane Dioma liste les imperfections

 

Longtemps attendue par les justiciables, la loi relative à l’indemnisation des personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention provisoire suivie d’une décision définitive de  non-lieu, de relaxe ou d’acquittement est maintenant effective, avec la Commission juridictionnelle devenue fonctionnelle. Me Assane Dioma Ndiaye, Président de la Ligue sénégalaise des droits humains (Lsdh), se réjouit de cette ‘’bouée’’ d’air qui va faciliter la réinsertion sociale des victimes. Toutefois, l’avocat estime que la loi aurait dû être améliorée pour faciliter l’accès à la commission et aussi prendre en compte ceux dont la condamnation est largement inférieure à la détention préventive.

 

Maintenant, les personnes victimes de longue détention préventive, qui obtiennent un non-lieu ou sont relaxées ou acquittées, peuvent prétendre à une indemnisation. Comment appréciez-vous cette avancée ? 

C’est une vieille revendication des organisations de défense des Droits de l’homme, car depuis la nuit des temps, au Sénégal, des personnes ont été injustement détenues de façon provisoire pour ensuite être blanchies ou relaxées, ou acquittées. Libérées, elles se sont retrouvées sans indemnisation, leur vie brisée, car elles n’ont pas pu se réinsérer dans la société. Elles ont tout perdu : leur famille et leur travail. Ce sont des personnes que la société perdait définitivement. Mais avec cet indemnisation, il y aura au moins un réconfort et une possibilité, pour ces personnes, de se réinsérer, de retrouver une vie normale, d’être compensée pour un préjudice injustement subi. Je pense que c’est une bouffée d’air qui va leur permettre de retrouver un statut social.

Mais la loi ne tient pas compte des personnes qui se retrouvent avec une très courte peine ou un sursis. Ne faudrait-il pas corriger cette imperfection ?

Je crois qu’il faut que les conditions légales d’indemnisation embrassent toutes les hypothèses possibles. Le plus important, c’est d’abord une détention provisoire anormalement longue. Je pense que c’est une condition essentielle. Il s’y ajoute un non-lieu, la relaxe ou l’acquittement. Si on veut faire de ces deux conditions cumulatives comme les seuls critères d’éligibilité, forcément, on risque d’exclure une majorité de citoyens qui souffrirait de détention longue et qui se retrouverait avec une peine de 1 mois avec sursis ou de 1 mois ou 2 mois, alors qu’il a fait 10 ans de détention préventive. C’est en cela qu’il faut pousser les membres de la commission à avoir une interprétation dynamique des textes et à prendre le temps de créer leur propre droit. Une loi n’est jamais parfaite. Lorsqu’elle est conçue, elle présente ses imperfections. Dès le départ, on s’en aperçoit, mais tout dépendra de l’interprétation et de la volonté jurisprudentielle que les membres de la commission y mettront. La seule condition qui devrait prévaloir, de notre point de vue, c’est une violation constitutionnelle, notamment le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, sinon la personne devrait être éligible.

Est-ce que le délai de six mois suffit-il aux requérants pour saisir la commission, si l’ont sait qu’il y a souvent du retard dans la délivrance des décisions de justice ?

Je veux d’abord soulever la question de la rétroaction, car la commission a été prévue par la loi de 2008, ensuite, elle a été reprécisée lors de la réforme de 2017 sur la Cour suprême. Il est possible, dès 2008, que toutes les personnes qui répondent aux critères soient éligibles, mais pour cela, il faudrait convaincre les juges par des plaidoiries, les amener à comprendre que ce sont des problèmes qui peuvent survenir. Au-delà de la rétroactivité, il y a la question du délai de la forclusion. Nous savons que la loi prévoit un délai de 6 mois à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Mais nous savons que pour saisir la Commission juridictionnelle, il faut avoir en main ladite décision, or la délivrance de celle-ci connaît des problèmes de lenteur.

Là aussi, lors de mes plaidoiries, j’ai attiré l’attention des membres de la commission qu’on devrait commencer la date de computation à compter du jour où il y a signification avérée de la délivrance ou qu’on puisse établir la date de délivrance. Car on ne peut exercer ce droit lorsqu’on est qu’en possession de la décision qui vous rend éligible à l’indemnisation. Mais cela relèvera d’une application jurisprudentielle de la commission pour se prononcer sur les points sur lesquels la loi est muette. Une loi nouvelle ne peut pas tout prévoir. Les juges doivent s’accouder à l’esprit de la loi qui, en définitive, consistera à réparer des injustices. C’est la fonction sociale qui devra prévaloir sur un formalisme qui risque de plomber la loi de manière qu’elle ne puisse pas remplir ses fonctions.

Est-ce que toute la procédure mise en place va-t-elle faciliter l’accès à la commission, surtout pour les citoyens qui ne peuvent pas se payer un avocat ?

Il faut regretter le fait que les acteurs, notamment les avocats, surtout les militants des Droits de l’homme, ne soient pas associés à l’élaboration de la loi, particulièrement aux dernières touches qui y ont été apportées. Leur présence allait apporter une plus-value dans le cadre de propositions qui auraient pu être faites de manière à rendre cette commission beaucoup plus légère, flexible. Par exemple, en termes d’indemnisation, nous savons que si la commission alloue des sommes, celles-ci sont prises en charge par l’Agent judiciaire de l’Etat (Aje) dans le cadre global de la mission de représentation de l’Etat lors de ses contentieux. Or, l’Aje peine déjà à exécuter les décisions judiciaires rendues par les différents tribunaux du Sénégal contre lui. Si vous y ajoutez les sommes qui seront allouées par cette commission, avec ce budget très restreint dont dispose l’Aje, vous créez un goulot  d’étranglement, vous accentuez son insolvabilité. Finalement, l’objectif ne sera jamais atteint.

Donc, une participation inclusive d’autres acteurs aurait permis de donner lieu à des propositions dont la mise en place d’un budget autonome que l’Assemblée nationale pourrait voter exclusivement pour les victimes des longues détentions. Ce budget serait logé à la Cour suprême avec des conditions de décaissement très légères, au vue de la décision qui sera rendue par la commission. Il faut aussi penser à ces nombreuses victimes qui n’ont pas accès à un avocat, vu que la procédure requiert une certaine technicité juridique et il me semble très difficile, pour un particulier, d’asseoir une telle procédure sans l’assistance d’un avocat. On aurait dû penser à un meilleur accès de la commission par les citoyens, mais tout cela découle d’un manque de concertation, de dialogue au moment de repréciser la loi. D’où l’urgence d’aller vers des corrections dans un délai court. Le président devrait prendre l’initiative de saisir qui de droit, pour que la loi soit très vite réajustée face aux problèmes qui commencent à se dessiner.  

Peut-on s’attendre à ce que la Lsdh porte ce combat ?

A terme, il sera nécessaire de faire un lobbying, une politique de sensibilisation auprès des législateurs, pour que, très rapidement, cette loi soit revue dans le sens d’une flexibilité dans les conditions d’éligibilité. Nous estimons que celles-ci ne doivent pas se limiter à la détention anormalement longue et à la décision de non-lieu ou de relaxe ou d’acquittement. Nous mènerons le combat.

Mais, en attendant, il faudra donner du temps à la commission de fixer les contours de la loi, pour obtenir des interprétations dynamiques et positives, étant entendu que c’est un domaine où on ne risque pas d’être attrait devant la Cour suprême ou dans une situation de recours. Hormis le fait que l’Aje parti, à la procédure, peut éventuellement contester une application trop extensible de cette loi. Mais l’idée est de faire en sorte que l’homme soit préservé.

C’est une question de droits humains et je crois que des tolérances peuvent être admises dans une situation où le préjudice est établi et qu’il y ait des condamnations connexes qui ne sont pas les causes principales de la détention. En fait, on peut être poursuivi pour un crime et ensuite condamné pour un délit connexe comme la détention d’arme. Comme c’est le cas de l’imam Alioune Ndao qui a été inculpé pour le crime de terroriste, mais a été condamné avec une peine assortie du sursis pour le délit de détention d’arme. Dans ce cas, la détention était plus justifiée par le crime que le délit.

FATOU SY

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