Publié le 29 Apr 2017 - 04:29
LOKUA KANZA (ARTISTE CHANTEUR)

‘’On ne peut pas rester 50 ans à faire les mêmes accords…’’

 

Avant son mémorable concert mardi soir sur la scène de la 25e édition du Festival international de jazz de Saint-Louis, Lokua Kanza a reçu une partie de la presse sénégalaise. A cette occasion, il a évoqué sa musique, son parcours ainsi que ses rapports avec son compatriote et collègue décédé Papa Wemba. Son prochain album dont la sortie pourrait se faire cette année sera partiellement enregistré à Dakar. Avec la participation du bassiste sénégalais Habib Faye.

 

Avant de venir à Saint-Louis, aviez-vous entendu parler du Festival de jazz ?

Oui, il y a des amis à moi, des musiciens, qui m’en avaient parlé. J’espérais un jour y prendre part. L’occasion s’est présentée cette année. Ce festival a 25 ans cette année et cela représente une vie. Je pense que si Saint-Louis jazz était un être humain, on parlerait d’âge mature. Il a quasiment le quart du siècle et c’est l’âge de la raison quelque part. Je lui souhaite surtout une longue vie.

Vous avez fait de grands plateaux à travers le monde ; jouer à Saint-Louis a une quelconque particularité pour vous ?

Absolument ! Il n’y a pas beaucoup de festivals dans nos pays. Souvent, nous sommes, nous enfants de l’Afrique, obligés d’aller dans d’autres pays, d’autres continents pour pouvoir prendre part à un vrai festival. Un festival est un système qui consiste à avoir pas mal d’artistes d’horizons différents qui viennent échanger leurs connaissances, leurs cultures. Voir des initiatives comme le Saint-Louis jazz est une chance. C’est à encourager. Je suis d’avis que s’il y en avait beaucoup, bien de jeunes Africains n’auraient plus besoin d’aller loin pour pouvoir jouer. Cela ne veut pas dire qu’ils n’iront plus à l’étranger. Mais ils trouveront les bonnes opportunités chez eux. Vous savez, c’est dans ce genre de rencontres que l’Afrique dialogue. C’est dans ces manifestations qu’on a le temps de dialoguer avec le peuple, d’essayer de faire un bilan de nos vies, etc. Nonobstant les moments de plaisir, de bonheur que nous partageons, il y a des messages à délivrer au cours de ces moments tout de même. La vie est devenue tellement dure. Tout le monde court derrière l’argent, derrière le matériel et ces instants de bonheur, on n’en a plus beaucoup.

Comment définiriez-vous votre musique ?

C’est une question difficile pour moi (rires). J’ai souvent essayé de trouver une bonne réponse et je dis que c’est la chanson africaine. On a nos musiques traditionnelles comme le ‘’mbalax’’. On a plusieurs musiques différentes à travers l’Afrique. Mais nous autres, qui avons grandi avec influences diverses, sommes plongés dans des cultures variées. J’ai été au conservatoire où j’ai appris à jouer de la musique classique. Je me suis essayé au jazz à l’école. Mais j’ai surtout joué la musique africaine surtout celle congolaise. C’est un mélange. J’appelle ma musique celle des chansons africaines. Ce ne sont pas des morceaux qui durent 45 minutes mais c’est plutôt des formats de 3 minutes 40 secondes, des fois 2 minutes. Je pense et j’espère que n’importe quel Africain qui l’écoute, qu’il soit de la Gambie ou encore du Maroc, puisse se retrouver dans ce que je fais. Qu’il se dise que cette musique me parle, je sens mes racines mais en même temps, c’est différent. C’est ça la chanson africaine.

Quand on parle du Congo, on pense à la ‘’rumba’’ ou encore au ‘’ndombolo’’. Pourquoi vous n’avez pas versé dans ces genres là ?

Je vais dire quelque chose que beaucoup de gens qui font la ‘’rumba’’ ne vont pas aimer. Cette musique est exportée à Cuba. Et nous sommes allés prendre ce que font les Cubains et la ramener au Congo. Mais ce n’est pas cela la musique congolaise. Cette dernière est comme le ‘’mbalax’’, comme toutes les musiques traditionnelles qui existent en Afrique. Moi, je puise mes sources dans ces musiques-là en y mettant les ingrédients de tout ce que j’ai pu apprendre ailleurs. On sent du ‘’ndombolo’’ dans ma musique. La dose est douce et lente. C’est ma manière de faire. J’ai joué le ‘’ndombolo’’ quand j’étais enfant. J’ai fait danser les gens. Je pense qu’on ne peut pas s’en tenir à comment on la jouait avant. L’Afrique a besoin de bouger, d’avancer. On ne peut pas rester 50 ans à faire les mêmes accords. Il faut que ça bouge. C’est ce que j’essaie de faire sans beaucoup de prétentions mais avec des convictions.

Quand on parle de la ‘’Rumba’’, on pense à Papa Wemba. On célèbre le premier an de son décès cette semaine. Que retenez-vous de l’homme ?

Je vais vous raconter mon histoire avec Papa Wemba. Un jour, je suis venu le voir et je lui ai dit : ‘’Tu es un grand artiste mais je pense que tu n’as pas de chansons.’’ Il m’a regardé et m’a dit : ‘’ah bon !’’ L’atmosphère était lourde parce que c’était osé de ma part. Un jeune frère qui vient te dire une telle chose. Wemba était un artiste connu en Afrique, au Congo. Mais pas vraiment connu sur la scène internationale. Il a fait un album chez Peter Gabriel. Les producteurs m’ont pris à l’époque avec Julia Sarr (artiste sénégalaise et ancien choriste de Lokua Kanza) juste pour faire des chœurs. On a fait ensemble ‘’Maria Valencia’’ et ‘’Zéro’’. L’album n’était pas mal mais n’a pas beaucoup vendu. Pour le 2e album international, il m’a appelé pour que je compose ses chansons. J’en ai écrit et composé 5. En studio, il était inquiet. C’était la première fois qu’un autre artiste le dirige, le coache en studio. Il n’avait pas cette habitude. C’est de là qu’est née notre collaboration. Dieu merci, de 5 à 10 000 albums vendus avec le premier album international, le 2e a enregistré 600 000 ventes. Tous les grands morceaux de l’album de Wemba qui ont fait de lui un artiste international, c’est grâce à son talent et grâce un tout petit peu à mes compositions et mes arrangements.

Vous êtes d’accord qu’il y a une bonne part de mélancolie dans votre musique ?

Je suis d’accord. Je ne peux pas dire le contraire. Il est vrai qu’on fait rire et danser les gens quand on est artiste. Mais notre mission est de dire les maux de la société. Nous sommes les voix des sans-voix. C’est-à-dire de ces gens qui ne peuvent pas parler, de ceux-là qui souffrent chez eux, qui n’ont pas de quoi manger. Alors que nous avons beaucoup de ressources, beaucoup d’argent. Cette disparité, cette injustice, cette violence, m’empêchent de me lever le matin et de sourire tout le temps. Il y a plein de gens qui meurent de faim dans la rue. Cette mélancolie vient aussi de la violence du monde, de ce que je vis. Nous constituons une sorte d’éponge en tant qu’artistes malheureusement. Car les malheurs nous touchent dix fois plus que quelqu’un de normal. Ce n’est pas que les autres ne les vivent pas ou ne les sentent pas. Mais quand on est sensible, cela fait très mal. Je ne peux pas être là à rire et dire que la vie est belle. Elle est aussi dure de temps à temps. On pleure à la place de ceux qui ne peuvent pas pleurer ou du moins on ne peut pas les entendre. On veut que les gens entendent ceux-là qui ne demandent pas beaucoup mais juste un ‘’ceeb’’ (sic) (ndlr riz), une chose décente pour pouvoir vivre au quotidien.

La mission est-elle plus lourde quand on a un père congolais et une mère rwandaise, comme c’est votre cas ?

Absolument ! C’est encore plus difficile, surtout en ce moment. Etre né dans une famille comme la mienne est un déchirement total. C’est beau mais quand ça va mal, c’est vraiment triste. Je suis très partagé. Quand je vais au Congo, les Rwandais se demandent pourquoi j’y vais. Quand je vais au Rwanda, les Congolais font la même chose et se disent que je ne devrais pas, parce qu’on est en guerre. On ne s’entend pas. Je crois que si le Bon Dieu m’a mis sur cette terre, c’est sûrement pour y accomplir une mission. J’essaie de leur faire comprendre que malgré tout ce que vous dites, cette guerre n’est pas la vôtre. Ce n’est pas celle des petits peuples. C’est la guerre des politiques, la guerre d’intérêts. Le peuple a toujours été ensemble. J’en suis une preuve.

Cela fait sept ans que vous n’avez pas sorti de nouveau produit. Vous pensez en sortir un quand ?

Là, je travaille sur un projet d’album. Dans ce dernier, j’aimerais donner un tout petit de joie à travers ma musique. Donc, il y aura des titres rythmés, groove dans l’ensemble de l’album. Mais il y aura quelques morceaux qui vont nous rappeler certains aspects de la vie. Dans la vie, il y a le matin, midi et le soir. Ce n’est pas la même chose. On a le soleil qui est éclatant et les petits vents qui soufflent.

Que peut-on attendre d’autres de cet album ?

Cela fait trois ans que je suis au studio. Je suis quelqu’un de très lent. J’estime que faire un album est un moment de vie intense. On ne peut pas se lever et faire n’importe quoi. On ne fait pas un album que pour ceux qui nous aiment aujourd’hui. C’est pour la postérité. C’est pour nos enfants et leurs enfants. Quand on est artiste, il faut être conscient qu’on a une lourde tâche. Les autres vont venir demain. Il faut donc se demander : qu’est-ce qu’on leur laisse ? Là, j’essaie de faire de ce prochain album un produit bien. Je n’ai pas encore les titres définitifs. Dans le cadre de la réalisation de cet album, je vais faire de longs voyages. J’ai prévu de venir à Dakar pour faire des percussions et des basses. Ensuite, je vais aller à New-York, à Cuba, au Brésil et Kinshasa bien sûr.

A Dakar, vous avez prévu de travailler avec quel artiste ?

Avec Habib Faye, on va faire des arrangements sur certains titres. Il sera la bonne personne pour m’indiquer les percussionnistes que je dois prendre. Cet album, je veux qu’il soit un ensemble de rythmes dont l’Afrique regorge.

Pourquoi Habib Faye précisément ?

C’est une collaboration. Je prends des percussionnistes. Sur la place, Habib connaît tout le monde. Il sera mon collaborateur. Il pourra me guider. Si j’ai besoin d’un studio, il pourra me dire lequel est le meilleur. C’est un ami Habib. C’est quelqu’un avec qui j’échange tout le temps. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. J’ai beaucoup de respect, beaucoup d’admiration pour ce garçon qui est un musicien extraordinaire. C’est un mec qui peut te faire le ‘’mbalax’’ le plus fou comme il peut te faire le jazz le plus tordu. Ce genre de bonhomme, on n’en a pas beaucoup. C’est le genre à préserver.

Y a-t-il un lien entre le jazz et votre musique ?

Le lien est là de manière permanente. Quand on parle de jazz, ce n’est pas méchant, mais on parle de Noir. On parle de nos enfants partis un jour par la force malgré eux dans une autre contrée. Ces derniers ont fait une musique de révolte qui est devenue aujourd’hui une musique prisée, aimée dans le monde. Donc, c’est une musique qui vient de chez nous. On l’a dans le sang. Elle a été exportée, travaillée autrement. Mais c’est la même musique. Donc, le lien, il est là tout le temps.

Comment avez-vous trouvé Saint-Louis ?

C’est une belle ville. J’imagine qu’elle doit avoir beaucoup d’histoire. Ce que j’aime aussi dans ce pays, c’est que quand tu viens au Sénégal, pour les gens qui ne le connaissent pas, il y a un accueil très chaleureux. A Saint-Louis, c’est une belle surprise que j’ai. Je ne savais pas que les gens me connaissaient ici. Dans la rue, des personnes viennent me saluer, et cela fait chaud au cœur. 

PAR BIGUÉ BOB 

 

 

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