Publié le 25 Jun 2016 - 23:26
LONGUE MARCHE VERS LA LIBERTÉ

Les dates-clés de l’affaire Karim

 

Karim Wade sera resté 1147 jours, soit 38 mois, en prison, entre son placement sous mandat de dépôt en avril 2013 et son élargissement le 23 juin 2016. Entre-temps, le cas de l’ancien ministre d’État chargé de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures a connu beaucoup de péripéties. EnQuête vous fait revivre le processus, du début à la fin.

 

Mardi 2 octobre 2012 : la Crei allume la mèche

Le procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI)  saisit le commandant de la section de recherches de la Gendarmerie nationale pour l’ouverture d’une enquête sur Karim Wade ‘‘dont le train de vie et la fortune semblent être sans rapport avec ses revenus légaux’’, selon l’arrêt de renvoi. Les premières auditions commencent pour Karim en juillet, puis en novembre et décembre 2012. Une plainte pour détournement de fonds publics est également déposée en France en décembre 2012 par l'Etat sénégalais contre Karim Wade. Elle sera classée sans suite par le parquet financier de Paris, en juin 2014.

Novembre 2012 : Non-sortie

Une interdiction de sortie du territoire est signifiée à d’anciens dignitaires libéraux dont Samuel Sarr, Oumar Sarr, Ousmane Ngom et bien sûr Karim Wade. Ces derniers rétorquent qu’ils n’ont pas été saisis de manière formelle. La saisine de la Commission de la Cedeao par les libéraux n’y changera rien, malgré un avis favorable de la Communauté. ‘‘Ce serait un comble qu’une instance juridictionnelle sous-régionale nous empêche d’appliquer nos lois. Dans le cadre de nos procédures, nous avons estimé qu’il n’y avait pas de garantie de représentation. Les individus devaient se tenir disponibles pour les enquêteurs’’, avait alors répondu la ministre de la justice, Aminata Touré, après que les libéraux susmentionnés ont essuyé un veto de la police des frontières, en tentant d’aller à Abidjan, le 13 décembre 2012.

15-17 avril 2013 : Arrestation et inculpation

L’arrestation de Karim Wade survient le 15 avril, suivi de son placement sous mandat de dépôt deux jours plus tard. L’ancien ministre d’Etat est accusé des délits d’enrichissement illicite et corruption. Dans la même veine, Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi, Pierre Goudjo Agbobga, Mamadou Pouye, Mbaye Ndiaye, Alioune Samba Diassé sont accusés de complicité d’enrichissement. Mamadou Aïdara dit Vieux, Evelyne Riout Delattre et Mballo Thiam, en fuite, font quant à eux l’objet de mandat d’arrêt pour complicité d’enrichissement illicite. Un mois plus tôt, le 16 mars 2013, une première mise en demeure pour justifier la licéité d’un patrimoine estimé à 694 milliards 946 millions 390 mille 174 F Cfa a été  servie à Karim et ses coaccusés.

Un semestre plus tard, une seconde mise en demeure pour 99 milliards 129 millions 648 mille F Cfa est servie aux inculpés. Mais cette fois-ci, seuls Karim Wade et Mamadou Pouye font l’objet de mandat de dépôt, à l’expiration de la mise en demeure, en novembre 2013. Dans la même veine, la commission d’instruction de la CREI procède à la mise sous administration provisoire des sociétés imputées au prévenu Karim Wade (AHS, ABS, Hardstand, AN média, DP World Dakar, Black Pearl Finance). Les accusations d’enrichissement illicite portent sur différents secteurs d’activité dont les finances, le domaine aéroportuaire, portuaire, immobilier et médiatique. A la fin de l’instruction, 117 milliards 37 millions 993 mille 175 sont retenus comme montant de l’enrichissement illicite imputé à Karim Wade.

Mai 2013 : ‘‘Ali Baba junior’’ et les 2000 milliards

A côté de la procédure judiciaire, les compteurs du champ politique s’affolent. Une année après la prise de fonction de Macky Sall, ses alliés politiques font feu de tout bois, en chargeant le ministre d’Etat sortant, Karim Meissa Wade. Jean-Paul Dias, leader du Bloc des centristes Gaindé (Bcg), accuse Karim Wade d’avoir détourné 2 000 milliards de F Cfa et le traite même ‘‘d’Ali Baba Junior’’. Dans la même veine, un autre allié politique du Président Macky Sall, Amath Dansokho, accuse les dignitaires du régime sortant d’avoir détourné des fonds publics. Le 17 décembre 2012, il déclare dans le quotidien l’As que ‘‘2 200 milliards de francs CFA ont été identifiés par les services français. Dansokho ajoute qu’il a ‘‘été informé en 2008 que deux pontes de l’ancien régime avaient déjà planqué de l’argent, l’un pour une valeur de 1 500 milliards de F Cfa et l’autre 700 milliards de francs CFA’’. Autre sortie remarquée, celle d’Abdou Latif Coulibaly. Le 23 juin 2012, le Ministre conseiller auprès du président de la République, chargé de la Bonne Gouvernance, révèle que ‘‘les montants qui ont été répertoriés et qui ont fait l’objet de scandales sont évalués à 2 000 milliards 900 millions de francs CFA. Plus que le budget du Sénégal. C’est un énorme scandale et il faut que ça soit clarifié’’, dit-il.

31 juillet 2014 : C’est parti !

Début du procès pour enrichissement illicite et corruption intenté contre Karim Wade. Ouvert le 31 juillet 2014, le procès de Karim Wade démarre par une bataille de procédures. Pendant plus d’un mois, les avocats de la défense s’évertuent à déceler tout ce qui pourrait constituer à leur avis un manquement aux règles de droit. L’objectif est de pousser la Cour d’enrichissement illicite (CREI) à annuler la procédure. Le premier acte posé par la défense consiste à écarter du procès Mes El Hadj Diouf et Moustapha Mbaye. Leur argument repose sur le fait que les deux avocats disposent d’un mandat public. Le premier est député et le second président du Conseil départemental de Saint-Louis. En réplique à cette requête, les conseils de l’Etat demandent à la Cour de déclarer irrecevable également la constitution de Mes Souleymane Ndéné Ndiaye, El Hadj Amadou Sall, Madické Niang et Alioune Badara Cissé, sous le prétexte qu’ils sont d’anciens ministres et fonctionnaires de l’Etat.

12 novembre 2014 : le procureur Alioune Ndao ‘‘remercié’’

On croyait avoir touché le fond de l’insolite, avec Ibrahim Aboukhalil qui a comparu en civière sous les quolibets de Me El Hadji Diouf, avocat de la partie civile. Mais le limogeage spectaculaire du procureur spécial Alioune Ndao, en pleine audience, le 12 novembre 2014, laissa bouche bée. Victime de son entêtement ou immixtion de la hiérarchie ? Peut-être les deux. En tout cas, en voulant convoquer d’anciens ministres du défunt régime comme Ousmane Ngom, Madické Niang et surtout Abdoulaye Baldé, en pleine campagne pour les élections locales de 2014, le procureur estampillé ‘‘teigneux’’ apporta de l’eau au moulin des détracteurs d’un procès politique. Il sera remplacé par Cheikh Tidiane Mara

Lundi 19 janvier 2015 : Karim et ses avocats suspendent leur participation au procès

Le prévenu décide de ne plus comparaîre devant la Crei. Une attitude qui fait suite à deux événements survenus la semaine d’avant, le 14 janvier. Dans la matinée, un de ses avocats, Me Amadou Sall, est expulsé de la salle sur demande du juge Henri Grégoire Diop, après une forte engueulade entre les deux. Dans l’après-midi, à la reprise de l’audience, le principal prévenu du procès, Karim Wade, est malmené physiquement.

Ces deux événements constituent sans doute le deuxième tournant majeur du procès pour enrichissement illicite et corruption portant sur 117 milliards. Me Sall avait pris la parole, à la suite de la partie civile et du parquet spécial, pour interroger l’ancien Dg de la Senelec, Seydina Kane. Les remarques du juge Henri Grégoire Diop sur ses questions digressives furent mal prises par Me Sall. S’ensuivirent des échanges de propos aigre-doux entre les deux hommes où il était question de ‘‘mauvais juge’’ et de ‘‘mauvais avocat’’. Unie comme un seul homme, la défense décréta le boycott de l’audience.

Dans l’après-midi, Karim Wade fut malmené physiquement dans le box des accusés par les éléments pénitentiaires d’intervention (EPI) qui l’ont amené comparaître manu militari, après son refus. ‘‘Nous ne pouvons pas nous présenter devant une juridiction qui ne respecte pas les droits de la défense. Nous nous présenterons le jour où nous aurons les garanties et les conditions d’un procès équitable’’, expliquait Me Demba Ciré Bathily de la défense. Depuis lors, Karim refusa de se présenter devant la Cour. Dans le prolongement de ces frictions, le comble fut atteint, le 22  janvier, quand un des assesseurs du juge, Yaya Amadou Dia, démissionna en pleine audience. Une divergence avec le président Henri Grégoire Diop sur sa question posée à Mamadou Pouye avait fâché le magistrat. Il fut remplacé, après une suspension de séance d’une dizaine de minutes, par le juge Tahir Ka.

4 février 2015 : Avant-verdict de la Crei : Wade père frôle l’hystérie

‘‘Celui qui ne se bat pas lorsqu’on arrête son fils est un lâche’’,  déclare le prédécesseur de Macky Sall, le 4 février, lors d’un meeting de l’opposition. ‘‘Je ne permettrai pas à ce tribunal, ce machin, de (le) juger. Je suis prêt à donner ma vie’’ pour l’empêcher, affirmait-il. Avant d’ajouter : ‘‘C’est un procès politique et un procès politique se gagne dans la rue.’’ Le 21 mars, deux jours avant le verdict, il met la pression, en faisant investir son fils  candidat du Pds pour les prochaines élections (2019). Abdoulaye Wade ne ménage pas ses efforts de nonagénaire pour sauver son fils. Il met à contribution les influents guides religieux du pays et les dirigeants de ce monde. Sa mémorable saillie sur l’ascendance du président de la République, en février 2015, est le point d’orgue de l’extrême tension qui l’habite.

Lundi 23 mars 2015 : la condamnation

Malgré un réquisitoire féroce du procureur Cheikh Tidiane Mara, en février 2015, qui demande 7 ans d’emprisonnement, la perte des droits civiques et 250 milliards d’amendes, la Crei ne suit pas totalement.  L’arrêt N° 2/2015, dont la lecture a pris deux heures au président Henri Grégoire Diop, reconnaît Karim Wade coupable d’enrichissement illicite et le condamne à 6 ans. Il doit également payer 138 milliards d’amendes et 10 autres milliards solidairement avec ses coprévenus. Mais il lui préserve ses droits civiques. Les avocats de la défense, qui ont toujours dénoncé ‘‘une mascarade judiciaire’’, ne semblent pas compter sur le recours devant la Cour suprême. D’ailleurs, le 20 août 2015, celle-ci rejette le pourvoi en cassation, confirmant la Crei. Seule option restante, les avis du groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire sur lesquels s’agrippe la défense pour mettre la pression pour la libération de leur client.

Dialogue 28 mai - libération 23 juin 2016 : détente, délivrance... et poursuite

Après avoir laissé passer la bourrasque de critiques, et fort d’une victoire référendaire le 20 mars 2016, Macky Sall appelle à un dialogue national, le 28 mai. ‘‘Pour que le dialogue national ait un sens, nous allons demander qu’on libère les prisonniers politiques’’, déclare le secrétaire général adjoint du Pds, Oumar Sarr. L’appel semble entendu, puisque la situation se décante, 24 heures plus tard. Le président Sall appelle au téléphone son prédécesseur, qui souffle, ce jour-là ses 90 bougies, pour lui souhaiter joyeux anniversaire.

Le 31 mai, soit deux jours après, les coaccusés de Karim, Bibo Bourgi et Alioune Samba Diassé bénéficient d’une liberté provisoire. Mamadou Pouye est ‘gratifié’ d’une libération conditionnelle. La libération du principal détenu, qui n’était que spéculations jusque-là, devient une quasi-certitude quand Macky Sall, sur les ondes de la Rfi, le 1er juin passé, déclare que ‘‘c’est possible’’. L’imminence de la libération évacuée, la question restante était alors liée aux modalités de l’élargissement.

Ce sera par grâce présidentielle, ‘‘pour des raisons humanitaires’’. Dans la nuit du jeudi 23 juin au vendredi 24, la délivrance survient pour Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil dit Bibo et Alioune Samba Diassé. Une remise de peine partielle qui survient 27 jours, après le dialogue du 28 mai.

Les membres de la liste des 25 du procureur de la Crei doivent toutefois avoir le triomphe modeste. Dans un dernier baroud d’honneur, l’égérie de la traque, Aminata Touré, a déclaré le 16 juin, qu’il ‘‘n’y a aucune raison que la traque des biens mal acquis s’arrête’’. 

OUSMANE LAYE DIOP

 

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