Publié le 3 Sep 2015 - 03:04
LUTTE CONTRE L’EMIGRATION CLANDESTINE

L’efficacité en trompe l’œil des politiques répressives espagnoles

 

Finis les assauts continus contre les clôtures, les images de migrants perchés sur des grilles, et le bruit infernal de l’hélicoptère en pleine nuit. Le calme semble régner dans l’enclave espagnole de Melilla, située au nord-est du Maroc. Depuis quatre mois, les triples grillages de six mètres de haut et 11,5 kilomètres de long n’ont connu aucune intrusion de migrants. La seule « tentative », le 3 août, a été déjouée avant même que les migrants ne s’approchent des barbelés. « Si nous ne faisons plus la “une” de la presse à cause du problème de l’immigration illégale, c’est qu’il n’y a plus de problème, a tranché, fin juillet, le président de Melilla, Juan José Imbroda. L’Espagne a fait du très bon travail. »

Depuis le début de l’année, à peine une centaine de personnes sur les 3 700 qui ont essayé sont entrées à Melilla par les grillages. L’an dernier, 2 100 migrants avaient atteint leur but, sur les 19 000 à avoir tenté leur chance. Forte de ces résultats, la garde civile espagnole est même allée offrir son expertise à la Hongrie, lors de la récente construction d’un mur de barbelé à sa frontière avec la Serbie.

Dans ses bureaux de Melilla, le colonel Ambrosio Martin Villaseñor, chef de la garde civile, refuse cependant de crier victoire : « C’est une partie d’échecs. Nous ne devons pas baisser la garde. A chaque complication que nous posons, les migrants cherchent des solutions. »

Flou juridique

Pour déjouer les assauts des migrants, l’Espagne a renforcé matériellement, légalement et humainement le mur de fer qui sépare le Maroc de l’Espagne, l’un des points de passage entre l’Afrique et l’Europe. Depuis la vague de 2014, des renforts ont été dépêchés dans l’enclave d’à peine 12 km2 où œuvrent déjà 650 gardes civils.

Une loi controversée dite « de sécurité citoyenne », entrée en vigueur au printemps, a donné un cadre légal au « rejet à la frontière » jusqu’alors pratiqué dans un certain flou juridique, afin de permettre aux gardes civils de refouler côté marocain, par de petites portes dans les grillages, les migrants qui viennent de poser le pied côté espagnol sans que ceux-ci puissent demander l’asile.

Enfin, l’Espagne a implanté d’étroites mailles anti-escalade afin d’empêcher les migrants de s’agripper aux barrières, même si certains viennent à présent munis de crochets. A peine touchées, les grilles, dotées de senseurs et de caméras, déclenchent une alarme dans la salle de contrôle du siège de la garde civile. Les unités stationnées à proximité ne tardent pas longtemps à se poster côté espagnol, tandis que les forces de l’ordre communiquent à leurs homologues marocains le lieu de l’approche.

 « Le tonnerre gronde ailleurs »

Car aucune de ces mesures ne serait suffisante sans la coopération du Maroc. De l’autre côté des grillages espagnols, le royaume chérifien a fini d’installer en 2015 ses propres barbelés, a creusé un fossé et a posté de nombreuses patrouilles dans des tentes militaires, afin de les surveiller. Et surtout, il a démantelé les campements de fortune du mont Gourougou, où des centaines, voire des milliers, de migrants subsahariens attendaient leur heure pour franchir les portes de l’Europe, y revenant après chaque échec.

« La police marocaine nous poursuit. Elle nous fatigue. Elle casse tout. Elle a détruit notre ghetto », raconte Abdullah Baldé, un Guinéen de 20 ans, devant les portes du Centre de séjour temporaire des immigrés (CETI) de Melilla. Abdullah assure qu’il est passé seul, à la quatrième tentative, il y a un mois, car « en groupe, on est vite repéré ».

« On renvoie les migrants avec violence et on devrait s’en féliciter ?, s’indigne José Palazon, président de l’association d’aide à l’enfance Prodein. Lorsque le silence règne ici, le tonnerre gronde ailleurs. Ceux que l’on refoule ici vont ensuite tenter la traversée en mer. » Si l’Espagne est aujourd’hui loin d’être aussi exposée que la Grèce ou l’Italie, il fut un temps où elle connut, elle aussi, une grave crise migratoire.

En 2006, un an après l’annonce de la régularisation de près de 400 000 sans-papiers par le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, 39 000 personnes étaient parvenues à entrer illégalement dans le pays, en particulier via les îles Canaries, et beaucoup d’autres avaient disparu pendant la traversée. En 2014, à peine 300 migrants ont pris la mer pour rejoindre les Canaries.

Le nombre de migrants a augmenté

« La route atlantique s’est asséchée grâce à la coopération avec le Sénégal, la Mauritanie et le Mali et aux patrouilles conjointes sur terre, en mer et dans les airs », résume le colonel Villaseñor. Pour parvenir à couper cette voie, le gouvernement de M. Zapatero avait travaillé sur trois fronts : la surveillance avec l’aide de l’agence européenne Frontex, la coopération policière avec les pays d’origine et l’aide au développement en direction du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie en particulier.

L’Espagne est-elle parvenue à couper à présent la voie de Melilla ? Rien n’est moins sûr. Car si les assauts des grillages ont cessé ces derniers mois, le nombre de migrants a augmenté. Alors que 5 300 entrées ont été recensées en 2014 (par le mur, mais aussi en bateau, à l’aide de faux documents ou cachés dans des véhicules), on en compte déjà 5 800 sur les huit premiers mois de l’année.

La plupart rêve d’Allemagne, comme Mohammed Hamoud, 20 ans, qui discute sur le terrain vague qui borde le CETI avec d’autres compagnons d’infortune. Lui s’est d’abord rendu de Damas à Istanbul, d’où il a pris un avion pour la Mauritanie avant de louer une voiture pour parcourir les 3 000 km qui le séparaient encore de Melilla. « Aucun Syrien ne souhaite rester en Espagne. Ils savent qu’il y a beaucoup de chômage [22 % des actifs] et que les salaires sont bas », assure un policier du bureau d’asile. Le Maroc et l’Espagne ne sont que des étapes de plus dans leur long périple. Et Melilla les regarde à peine passer.

(lemonde.fr)

 

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