Publié le 22 Apr 2019 - 10:31
LUTTE CONTRE LA CORRUPTION, LA SPECULATION FONCIERE ET L’INSALUBRITE DANS NOS VILLES

Macky Sall retourne à ses premières convictions

 

Avec les réformes annoncées contre la corruption, la spéculation foncière et l’insalubrité, le président de la République exhume des projets déjà engagés, mais qui, devant les pesanteurs qui se sont dressées contre lui, ont été tout simplement mis en veilleuse depuis 2012.

 

La suppression annoncée du poste de Premier ministre n’ayant pas fini de faire des vagues dans le landerneau politique sénégalais, le président de la République, Macky Sall, veut engager des réformes en profondeur qui devront marquer son quinquennat en cours. Le président Macky Sall, qui retourne à ses convictions de 2012, veut expurger la corruption de nos mœurs, mettre fin à la spéculation foncière et à l’insalubrité publique, entre autres grands chantiers en gestation. Seulement, ces trois chantiers engagés ne sont pas nouveaux dans la gestion du successeur d’Abdoulaye Wade. Il avait, dès le début de son mandat, annoncé la couleur.

Porté à la tête du pays en 2012, le président Macky Sall a vite fait d’initier des réformes pour faire face à la corruption qui a atteint son paroxysme, pendant les douze ans de règne d’Abdoulaye Wade. Sans crier gare, il a aussitôt lancé ce qui est convenu d’appeler la traque dite des biens mal acquis, se mettant aux trousses d’une vingtaine de caciques libéraux, après avoir ressuscité la fameuse Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Parallèlement à cette juridiction d’exception, le président nouvellement élu a mis en place l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) à la tête duquel est cooptée l’inspectrice générale d’Etat Nafi Ngom Keïta.

A l’occasion, le tombeur d’Abdoulaye Wade avait prévenu ses lieutenants, alliés et autres collaborateurs qu’il ne protégerait personne. Dans la foulée, il avait fait de la déclaration de patrimoine une obligation pour tous les membres du gouvernement, certains hauts cadres de l’Administration sénégalaise et autres directeurs généraux de société publique. Toute cette batterie de mesures déployées ont fait long feu. Puisque confronté à la réalité du pouvoir et fortement assailli par les multiples pesanteurs sociales qui se sont dressées contre lui, le président Sall a reculé dans ses convictions d’imprimer une gestion sobre et vertueuse des affaires publiques.

Dès lors, la Crei n’a jugé et condamné que le fils de l’ancien président de la République Karim Meïssa Wade. Elle est actuellement plongée dans un coma artificiel, pendant que l’Ofnac, qui commençait à fouiner le nez un peu partout et à étaler ses tentacules jusqu’au Centre des œuvres universitaires de l’université Cheikh Anta Diop dont le directeur général a été épinglé dans son rapport 2014-2015, est refroidi dans ses ardeurs, avec un changement opéré dans sa direction. La redoutable Nafi Ngom Keïta a été remerciée, à la suite d’un seul mandat, et remplacée par Seynabou Ndiaye Diakhaté, sur fond de contestation dans les formes employées par le chef de l’Etat.

Mais, auparavant, elle a fait l’objet d’attaques de proches collaborateurs du chef de l’Etat, parmi lesquels son directeur de cabinet d’alors, Me El Hadj Oumar Youm qui lui reprochait son ‘’manque’’ de réserve, en tant qu’agent assermenté de l’Etat. Mais la dame s’était défendue d’être dans son droit en communiquant régulièrement sur certains aspects de sa mission. ‘’Oumar Youm a tort, il aurait dû m’appeler. Contrairement à ses allégations sur mon devoir de réserve, c’est la loi qui m’oblige à communiquer. La loi contraint l’Ofnac à publier et à diffuser les rapports. Il faut que les gens comprennent que l’Ofnac, c’est du sérieux, ce sont 12 hauts cadres des plus talentueux et expérimentés de notre Administration qui y sont. Il faut que les gens arrêtent’’, avait-elle sèchement réagi sur un plateau de Walf Tv.

C’était au beau milieu de la brouille avec le président Macky Sall qui a vu certains collaborateurs épinglés dans des malversations financières. Excédé par cette situation qui tenait en haleine l’opinion publique et qui commençait à salir sa gouvernance, le chef de l’Etat a tout simplement décidé de se séparer d’elle, au terme de son mandat. Progressivement, le concept de gestion sobre et vertueuse a été mis en veilleuse, voire ‘’sous le coude’’. Et la situation est restée en l’état durant tout son septennat, malgré les multiples scandales qui ont fait les choux gras de la presse. D’ailleurs, cela fait des années qu’on attend la publication des rapports des corps de contrôle (Cour des comptes, Ige et consorts).

Quand la réforme foncière fait long feu

En sus de la traque des biens mal acquis, le chef de l’Etat avait aussi annoncé et initié une réforme foncière. Il avait, à cet effet, mis en place une Commission nationale de réforme foncière qu’il a confiée, dans un premier temps, à Me Doudou Ndoye qui a, quelques mois plus tard, claqué la porte pour absence de moyens financiers et logistiques dans la conduite de sa mission. Le Pr. Moustapha Sourang a pris le relais pour conduire la réforme jusqu’à son terme et présenté un rapport assez détaillé sur la situation foncière au Sénégal. Mais il est resté dans les tiroirs du palais présidentiel jusqu’ici, sans qu’aucune initiative ne soit prise pour apporter des solutions idoines. Alors que les scandales fonciers, les litiges et autres problèmes liés à la terre se multiplient.

Il s’y ajoute que le président de la République a également renoncé à remettre de l’ordre dans nos villes. Mieux, Macky Sall, dès son installation au pouvoir, s’est plus attelé à neutraliser le maire de Dakar qu’à imprimer une véritable politique de gestion durable des ordures ménagères dans la capitale sénégalaise. Non content d’avoir initié l’Acte 3 de la décentralisation pour restreindre les prérogatives de la ville de Dakar, il a tout simplement dissous l’Entente Cadak-Car jusque-là chargée du ramassage des ordures dans la capitale sénégalaise, pour mettre en place une structure dénommée Unité de coordination de la gestion des déchets solides (Ucg) qui peine jusqu’ici à rendre propre la capitale sénégalaise, gangrenée également par une occupation anarchique de l’espace public.

‘’Il aurait insisté sur ces réformes, il ne serait jamais réélu’’

Réélu à la tête du pays à l’issue du scrutin présidentiel du 24 février 2019, le président Macky Sall veut revenir à ses premières convictions. Dès son installation, il a annoncé la couleur. Dans son discours d’investiture prononcé le 2 avril dernier, le président nouvellement réélu, qui s’est publiquement offusqué du désordre et de l’insalubrité qui règnent à Dakar et dans nos capitales urbaines, a promis d’engager, sans tarder, des réformes en profondeur visant à simplifier et à rationnaliser nos structures et à réformer nos textes là où c’est nécessaire.

Ainsi, après avoir décidé de la suppression du poste de Premier ministre afin d’engager un traitement ‘’Fast tract’’ des tâches gouvernementales, Macky Sall veut engager la lutte contre la corruption, l’insalubrité, le désordre et la spéculation foncière. Va-t-il, cette fois-ci, aller jusqu’au bout de sa logique ? Le Pr. Moussa Diaw en est convaincu, dès lors que les contraintes sont moindres, aussi bien au niveau politique que du côté de ses alliés. ‘’La logique électoraliste n’est plus là. Il a une marge de manœuvre pour dérouler sa politique et répondre à des exigences et à des promesses’’, déclare-t-il.

Selon l’enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Macky Sall a aujourd’hui la possibilité de dérouler sa politique en fonction de l’espace politique qui est plus ou moins contraignant pour lui. Parce que, souligne-t-il, il n’y a pas cette pression de l’opposition et il n’a plus un mandat à renouveler. ‘’Il est dans un espace plus ou moins apaisé pour lui. Il détient, en ce moment, suffisamment de forces pour réaliser ses projets. Tant qu’il y a de la politique, il y a toujours des lobbies, mais il a un objectif précis, et comme il tient à le réaliser, il a fixé le cap et il a les ressources pour réaliser ses projets. Cela pour laisser derrière lui des résultats qui vont marquer l’histoire politique du pays et pour marquer aussi son passage à la tête du Sénégal’’, soutient-il.

Pour autant, le Pr. Moussa Diaw estime que le combat n’est pas gagné d’avance, même si les pesanteurs sont moindres et les pressions quasiment inexistantes, dès lors qu’il n’est plus dans une logique électorale. ‘’Les déclarations à l’intérieur de son parti montrent bien que c’est lui le seul maître à bord, le chef du parti, le président de la République, celui qui nomme en fonction de ses prérogatives. A mon avis, rien ne peut, aujourd’hui, l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa logique, d’autant plus qu’il va engager des réformes pour concentrer un certain nombre de pouvoirs autour de lui et de réaliser ses projets avec beaucoup d’efficacité, sans dysfonctionnement, parce qu’il contrôlera tout. Toutefois, il doit assurer ses arrières’’, déclare-t-il.

Abondant dans le même sens, le professeur en sociologie politique à l’Ugb, Ibou Sané, estime, lui aussi, que le président Macky Sall est dans une posture très aisée qui lui permet maintenant d’avoir une marge de manœuvre doublée d’une possibilité d’aller vite dans l’exécution des tâches gouvernementales et dans les réformes qu’il veut engager. Ce qu’il n’avait pas, selon lui, dans son premier mandat où, du fait de certaines pesanteurs, il a été obligé de mettre en veilleuse certains de ses projets. ‘’Dans son premier mandat, il devait faire attention à son Bby. Il y a toujours des forces d’ineptie qui sont tapies dans l’ombre et qui ne lui permettent pas d’avancer très rapidement. Il aurait insisté sur ces réformes, il ne serait jamais réélu. C’est pourquoi il avait mis en stand-by certaines de ses réformes, en attendant d’avoir un second mandat’’, analyse-t-il.

Soulignant ainsi que maintenant qu’il a atteint ses objectifs et qu’il est réélu, il a désormais les coudées franches. Il peut, dorénavant, mettre le pied sur l’accélérateur et avancer très rapidement dans ses réformes. Car, s’offusque-t-il, au Sénégal, il y a trop de désordres dus, en partie, à l’exode rural. ‘’Moi qui enseigne en sociologie urbaine, je suis assez bien placé pour dire que tous les espaces publics ont été occupés de manière anarchique. Cela donne une image hideuse de nos villes. C’est un problème de civisme et d’ordre qui se pose dans nos villes urbaines’’, fulmine-t-il. Pour le Pr. Sané, Macky Sall a là une belle occasion de rentrer dans l’histoire là où ses prédécesseurs ont raté le coche.

‘‘Le président Abdoulaye Wade a manqué l’occasion, en 2000, de mettre le Sénégal sur ce chantier. Il aurait pu mettre de l’ordre dans le pays, dès son installation au pouvoir. Il ne l’a pas fait. Il a raté le cap de 2000 où il fallait carrément rompre avec les pratiques de l’ancien régime socialiste qui a laissé faire les populations. Quand il est venu au pouvoir, il s’est soucié plus d’un second mandat qu’à assoir une vraie politique de développement.

Le président Macky Sall, quand il est venu au pouvoir, il est tombé dans le même piège. Mais je pense qu’il a encore le temps de rectifier’’, soutient-il. Avant d’appeler le président de la République à la fois à l’ouverture et à la fermeté. ‘’Pour moi, il faut maintenant accompagner ce processus par une stratégie de communication et de reconversion des mentalités.

C’est un gros chantier. S’il donne l’exemple lui-même, en frappant un peu partout, pas seulement dans la capitale, d’un seul coup et de façon autoritaire, il réussira son pari. L’Etat doit être autoritaire. S’il veut tergiverser et négocier avec les acteurs, il fera comme les autres. Ses réformes se limiteront tout simplement à de simples slogans’’, estime-t-il.

ASSANE MBAYE

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