Publié le 21 May 2015 - 12:44
LUTTE CONTRE LE TERRORISME EN AFRIQUE

Un livre blanc publié sur l’exemple marocain

 

L'actuelle visite du roi Mohammed VI au Sénégal, puis en Guinée Bissau, en Côte d'ivoire et au Gabon, si elle doit mettre l'accent sur le resserrement des liens économiques et politiques, sera marquée également par le sceau de la lutte contre le terrorisme qui cause de l'insomnie aux dirigeants de la région du Sahara et du Sahel et dont le Maroc a eu à pâtir au point de développer une stratégie préventive pour vaincre ce fléau. Une sorte de FBI marocain affilié à la Direction Générale de la Surveillance du Territoire a vu le jour récemment sous l'appellation Bureau Central d'Investigations Judiciaires et a permis le démantèlement de nombreuses cellules terroristes qui s'apprêtaient à passer à l'acte. A ce titre, un groupe japonais vient de publier un «livre blanc sur le terrorisme au Maroc" dont doivent s'inspirer les sociétés touchées par le phénomène. EnQuête a parcouru le document pour ses lecteurs.

 

Le livre blanc sur le terrorisme au Maroc est la première étude sur le terrain qui s’appuie sur l’observation des faits et des preuves avérées, pour aboutir à des conclusions d’une extrême importance.

Le Groupe de Recherche International des Etudes Transrégionales et des Zones Emergentes a réussi à lier ce qui est interne avec ce qui est géostratégique, mettant en exergue des faits historiques rarement pris en compte par les observateurs qui ont étudié le phénomène terroriste au Maroc ou à l’étranger. 

Le livre présente une définition du terrorisme du point de vue du droit international, et insiste sur le fait que ses pratiques, si elles instrumentalisent la religion comme couverture, développent des modes de recrutement, d’embrigadement, de conditionnement des sentiments et des cerveaux, pour les inscrire dans un projet qui annihile le droit à la vie, les valeurs de coexistence et renie «l’autre», quelles que soient sa couleur, son ethnie ou sa religion. Ce qui traduit la mondialisation du phénomène qui s’étend chaque jour, avec plus de violence et de barbarie.

Concernant le Maroc, et partant de la définition juridique de l’acte terroriste, le livre conclut que le phénomène terroriste n’est pas né avec les attentats du 16 mai 2003, mais au milieu des années 70 avec la constitution de la  Chabiba Islamiya, qui prônait le Takfirisme, la violence et l’incitation au meurtre. Ce qui ne devait être qu’une association de prédication a été dissout. Seulement, cette dissolution a donné lieu à ce que le livre appelle le « processus de l’effritement ». Le Mouvement des Moujahidines au Maroc, le GICM, et l’Option Islamique, organisations terroristes, ont toutes pour matrice la Chabiba Islamiya, et ont encadré une part importante des cellules démantelées au fil des années.

Les chercheurs ont abouti à une conviction ferme selon laquelle la stratégie de lutte contre le terrorisme, adoptée par le Maroc est efficiente parce qu’elle est préventive et multi axiale. L’action sécuritaire est à la fois liée à la restructuration du champ religieux et également à une approche sociale qui place l’humain au centre du développement pour combattre la précarité et la marginalisation.

Le livre met toute la lumière sur l’impact des événements internationaux et sur l’augmentation des menaces terroristes, qu’il analyse avec précision. Le rôle des Marocains qui ont combattu en Afghanistan, puis en Bosnie, était et reste central dans l’encadrement des cellules démantelées et la création de connexions avec des organisations à l’étranger.

Les chercheurs mettent en évidence une nouvelle donne : celle de la dislocation des Etats et leur transformation en espaces, refuges pour les terroristes. Ces espaces ont d’abord été investis par Al Qaida, depuis que Ben Laden a quitté le Soudan pour l’Afghanistan, et depuis peu par Daech. Le recrutement de certains, voire des milliers de Marocains aux zones de conflits, au sahel, à la frontière pakistano-afghane, en Syrie et en Irak est inquiétant. Ces combattants portent le projet de cloner l’expérience une fois de retour au pays.

En majorité, ils ne sont partis que parce que les politiques préventives ont réduit les espaces et les possibilités d’action au Maroc. Toutes les cellules démantelées avaient pour but l’installation de camps militaires dans les montagnes et les campagnes, mimant des expériences telles que celles de l’Algérie, ce qu’elles n’ont pu réaliser. Le démantèlement de plus de 130 cellules depuis 2002 a constitué une matière riche pour les chercheurs et leur a permis, vu l’accumulation, de tirer des conclusions basées sur des faits. La première tord le cou définitivement à des explications qui sont plus proches de la justification. Si la majorité des Kamikazes du 16 mai 2003 sont issus de milieux très pauvres, ce qui a incité certains à lier le phénomène terroriste à la marginalisation, la liste des accusés impliqués dans les cellules démantelées par la suite dément ce lien causal car ils sont en majorité aisés, voire riches. 

De même, la majorité des condamnés pour terrorisme ont entamé leur parcours au nom de valeurs morales en violentant des individus, à leurs yeux coupables de «comportements déviants». Ces actes sont souvent la porte d’entrée au Takfirisme, qui aboutit inévitablement au terrorisme. Dans ce contexte, le parcours des terroristes montre aussi, qu’en majorité, ils ont d’abord transité par des organisations dites modérées, avant de les renier et changer de cap. Dès lors, s’impose un débat sur la pensée fondatrice de ces organisations et son lien avec le Jihadisme.

Par ailleurs, les chercheurs ont conclu à l’insuffisance de la coopération régionale dans la guerre contre le terrorisme, malgré la persistance des menaces. Ainsi le livre analyse la situation au Sahel, les limites de l’efficacité de l’opération « Serval » au Mali, les liens entre le terrorisme et le crime organisé transfrontalier dans cette région, et le danger que fait planer ce phénomène sur tous les pays de la région sans exception. De même, il est établi, sans ambages, que des dizaines de membres du «Polisario» ont adhéré à cette pensée et ont rejoint des organisations comme l’AQMI ou le MUJAO, ce qui pose la question de la responsabilité du pays protecteur. 

La dimension régionale et mondiale du phénomène du terrorisme s’impose avec force pour comprendre les développements actuels, selon les chercheurs, et elle est effectivement présente dans l’action quotidienne des sécuritaires marocains, qui ont contribué à faire avorter des attentats imminents projetés dans plusieurs pays. 

Le livre blanc sur le terrorisme au Maroc  met aussi en lumière les modes d’action des terroristes et la méthode de fanatisation par l’utilisation de l’audio-visuel, des nouvelles technologies, l’internet, et par ce biais la préparation de l’individu à accepter son autodestruction pour porter atteinte à autrui. 

En outre, le livre fait la chronologie de toutes les affaires liées au terrorisme et jugées par le tribunal de Salé, en montrant les objectifs qui visent à déstabiliser le pays, en ciblant des lieux de culte, des intérêts occidentaux au Maroc, les symboles de la souveraineté de l’Etat et des personnalités publiques. Cette chronologie, qui s’étale sur 15 ans, constitue en soi une référence pour les chercheurs et les observateurs intéressés par le phénomène terroriste.

En conclusion, nous sommes devant un livre qui, face à la mondialisation de la menace terroriste, appelle à une véritable coopération internationale, non seulement sur le plan sécuritaire, mais aussi à divers niveaux pour assécher les sources du phénomène, un appel qui se réfère à des données avérées et à une analyse sereine, d’un phénomène qui menace tous les Etats et toutes les sociétés sans distinction.     

Pour toutes ces raisons, ce livre est une référence unique en son genre. Ses éditeurs ont opté pour sa publication en langues arabe, française, anglaise, espagnole et japonaise pour mieux propager leurs données, analyses et conclusions. Ce qui est de nature à permettre l’homogénéisation des visions et l’élaboration de stratégies communes, parce que le partage, la diffusion et la communication de l’information sont indispensables dans la guerre au terrorisme.

 

 

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