Publié le 21 Aug 2014 - 18:16
LUTTE - ENTRETIEN AVEC BALLA DIOUF

‘’J’ai l’impression que c’est l’Etat qui veut tuer la lutte’’

 

Balla Diouf est un lutteur à la trajectoire parsemée d’embûches. En effet, celui que l’on surnomme Cœur de Lion avait bien démarré sa carrière avant d’enchaîner 7 défaites successives lors de ses dernières sorties. Mais l’ancien pensionnaire de l’écurie Fass veut revenir en force. A EnQuête, le nouveau sociétaire de Yoff livre ses ambitions et donne son point de vue sur les problèmes que traverse la lutte actuellement.

 

Pouvez-vous revenir sur votre départ de l’écurie Fass ? On vous a viré ou c’est vous qui avez tout simplement claqué la porte ?

Personne ne m’a renvoyé de l’écurie Fass, c’est moi qui ai claqué la porte. Tout le monde sait pourquoi j’ai pris cette décision. Il y a eu un problème que vous connaissez (avec Gris Bordeaux) et personne n’a rien fait pour le régler. Les choses se sont envenimées par la suite. J’ai été victime dans cette histoire, et à un moment donné, je ne me sentais plus chez moi à Fass, j’étais seul contre tous. Pour ne pas que les choses aillent plus loin, j’ai pris la décision d’arrêter après avoir discuté avec mes proches. C’était la meilleure chose à faire pour moi. C’est ainsi que j’ai écrit une lettre de démission que je leur ai remise.

Par la suite vous avez atterri à Yoff. Qu’est-ce qui explique ce choix ?

Avant de choisir d’aller à Yoff, il y a eu beaucoup d’écuries qui m’ont sollicité pour que je vienne travailler avec elles. Mais j’ai  choisi Yoff parce que c’est là que j’habite. Même quand j’étais à l’écurie Fass je logeais à Yoff. J’ai pensé que je pouvais apporter mon expérience à cette écurie qui n’est composée que de jeunes lutteurs. Si j’avais déposé mes baluchons dans une grande écurie confirmée, cela n’aurait eu aucun sens pour moi.

Yoff est une écurie nouvelle, il n’y a que des jeunes comme Malick Niang, Doumboul entre autres. J’aide ces jeunes comme je le faisais avec les jeunes de l’écurie Fass qui sont aujourd’hui des espoirs confirmés. J’ai été bien accueilli ici comme si c’était chez moi. On me respecte. Mais je n’en oublie pas moins que Fass est ma maison, c’est là-bas que j’ai appris beaucoup de choses. Je suis certes parti mais je les respecte toujours autant et j’ai de très bonnes relations là-bas, même si j’ai des problèmes avec certains.

Juste avant de quitter l’écurie Fass, vous avez disparu un long moment, certains disaient que vous aviez quitté le pays. Où étiez-vous exactement ?

En fait, j’avais effectivement voyagé. J’étais parti au Gabon pour juste voir ce qui se passe ailleurs. Parfois, il est utile de sortir de son pays pour découvrir d’autres cultures. Et c’était une expérience fantastique. J’avais accompagné mon épouse qui devait y effectuer un travail. J’y ai fait 6 mois.

‘’Si je mets fin à ma carrière, je peux ouvrir un centre au Gabon parce que les Gabonais adorent la lutte’’

Quelle expérience avez-vous tirée du Gabon ?

J’y ai appris beaucoup de choses, d’autres mentalités, un autre mode de vie. Je me suis entraîné là-bas dans de bonnes salles. J’y ai aussi vu des pistes pour réussir dans le sport. Si je mets fin à ma carrière, je peux ouvrir un centre là-bas parce que les Gabonais adorent la lutte. Beaucoup de sportifs viennent là-bas d’ailleurs. J’avais beaucoup de propositions, mais comme ma carrière de lutteur au Sénégal n’est pas encore finie, je ne pouvais pas rester au Gabon. Je crois dur comme fer que j’ai encore des défis à relever dans la lutte. J’ai fait 25 combats dans ma carrière, j’ai eu 18 victoires et 7 défaites qui se sont succédé. Certains jeunes de la nouvelles génération n’ont donc vu que mes défaites, ils ne savent pas tout ce que j’ai fait dans ce milieu. C’est entre autres pour montrer à ces jeunes de quoi je suis capable que je suis revenu au pays.

Pouvez-vous nous parlez un peu plus de ces défis personnels qui vous poussent à revenir dans la lutte malgré les difficultés ?

Mon défi personnel actuellement, c’est de revenir à mon meilleur niveau dans la lutte. Beaucoup de gens m’ont enterré et pensent que je ne suis plus capable de réaliser une prouesse dans la lutte. C’est un défi pour moi que de prouver à tout ce beau monde de quoi je suis capable. Il me faut un combat, le gagner et démontrer que c’était juste une mauvaise passe qui relève de la volonté divine.

‘’Dans la lutte, quand tu es dans une impasse, les promoteurs te proposent des misères que seuls les lutteurs qui ont un problème de dépense peuvent accepter’’

Avez-vous des propositions de combat de la part des promoteurs ?

La saison passée, j’ai eu des propositions. Mais comme le constatent beaucoup de personnes, la lutte connaît des difficultés sans précédent. Je suis connu dans le milieu de la lutte, donc je ne recherche plus la notoriété, j’ai assez prouvé. Mais dans ce milieu, quand tu es dans une impasse, les promoteurs qui viennent te voir te proposent des misères que seuls les lutteurs qui ont un problème de dépense peuvent accepter. Assane Ndiaye et Manga 2 m’ont proposé des combats mais je ne pouvais pas accepter les cachets qu’ils me proposaient, malgré les difficultés. J’espère avoir un combat la saison prochaine.

Vous parliez des difficultés que traverse la lutte actuellement. Quelles sont les solutions pour que tout redevienne comme avant ?

C’est injuste que des gens tapis à l’ombre cherchent à tuer la lutte. On ne doit pas les laisser faire. Tout le monde regarde la lutte. Même à l’étranger, des gens qui ne sont pas sénégalais connaissent très bien les lutteurs sénégalais. L’Etat qui subventionne le football, le basket-ball à coup de milliards doit en faire autant pour la lutte. On ne doit pas privatiser la lutte, elle appartient au Sénégal. J’ai l’impression que c’est l’Etat qui veut tuer la lutte. Tous les amateurs et les lutteurs doivent se battre et refuser cela. Les sponsors ont aussi leur part de responsabilité dans cette affaire.

Quand ils ont besoin de visibilité, ils utilisent la lutte, après avoir eu satisfaction, ils abandonnent cette discipline. Ils ont comme motif la violence. Qu’est-ce qu’il y a de plus violent que la politique, les navétanes (championnats populaire de foot au Sénégal), le football ? La lutte, c’est notre culture, notre fierté, elle nous appartient. C’est l’Etat qui devait être le premier à investir dedans. Les difficultés sont réelles et je pense que c’est dangereux. Les politiciens même utilisent la lutte pour se faire voir. La lutte nourrit des milliers de personnes. On ne doit même pas quémander une arène nationale, c’est un dû. Si jamais la lutte arrive à disparaître, je crains pour la sécurité de ce pays. Au-delà de tout cela, je demande aux lutteurs d’avoir une activité à côté. Il ne faut pas baser son avenir sur cette discipline, sinon cela risque de leur coûter cher.

Et vous, quelles sont vos activités en dehors de la lutte ?

Actuellement, je travaille sur beaucoup de projets mais je ne peux pas en parler pour le moment, j’attends de mettre fin à ma carrière en beauté pour parler de mes activités. Sachez juste que j’ai d’autres activités en dehors de la lutte.

Il y a le titre de roi des arènes qui pose problème. D’aucuns pensent qu’elle s’acquiert maintenant d’une manière trop facile. Quel est votre avis sur la question, en tant qu’acteur de la lutte ?

Je pense que c’est le Comité national de Gestion de la lutte (CNG) qui doit prendre en compte cette question. Tout lutteur qui faute est sanctionné par cette instance, ils sont très prompts à défalquer les cachets des lutteurs fautifs. Ils ont créé ce titre il y a des années de cela, sur la base d’un tournoi. Pourquoi ils n’organisent pas un tournoi du roi des arènes chaque année comme ils le font avec le drapeau du chef de l’Etat ? Un tournoi où seront réunis les 5 meilleurs lutteurs du moment et le vainqueur devient le roi et ainsi de suite chaque année. Il y a trop de polémiques autour de ce titre.

Le CNG ne doit pas être là que pour nous prendre notre argent mais pour nous encadrer aussi. Le titre de roi des arènes est trop important pour être négligé. Le roi est le représentant de tous les lutteurs, il est le symbole de la discipline. La lutte doit être bien structurée.

KHADY FAYE

 
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