Publié le 23 Jun 2012 - 00:09
LUTTE - PORTRAIT SERIGNE OUSMANE DIA “BOMBARDIER”

L’histoire d’un roi furtif

 

Véritable force de la nature, lutteur le plus impressionnant de l'arène par sa stature, Serigne Dia Bombardier s’est forgé un destin de roi des arènes, mais n’a rien pu faire pour demeurer au sommet après avoir atteint ce but. A trois jours de son combat contre Tapha Tine, EnQuête revient sur le parcours de ce lutteur ; de sa longue marche vers l’arène à sa chute du trône.

 

 

Comment se forge-t-on un destin de lutteur ?

 

Pour beaucoup de champions comme Manga 2, Yékini, Tapha Guèye ou Balla Gaye 2, l’héritage culturel et/ou familial a été déterminant. Pour Bombardier, la lutte n’a jamais été une question de sang ou de tradition. Gamin, Serigne Dia se voyait en pêcheur comme la plupart de son entourage sur la petite côte à Mbour. Car pour lui, il n’était pas fait pour l’école alors que jusqu’en classe de CM2, Serigne se débrouillait très bien sur les bancs. “Il était très effacé, travailleur et calme, par rapport à ses autres camarades”, témoigne aujourd’hui son ancien directeur d'école, Moussa Fall. Le Haal Pulaar, natif de Mbour, se lance ainsi dans l’activité des Lébous.

 

L’adolescent impressionne dèjà par sa masse musculaire

 

C’est en pratiquant la pêche que l’adolescent découvre en même temps la lutte. À chaque fois que sa pirogue accostait sur la plage, il allait regarder les séances de lutte sur la plage et y participait, à l'insu de sa famille. Un beau jour, Serigne Ousmane Dia participe à un tournoi de lutte et remporte un sac de riz. Il revient à la maison, accompagné de batteurs de tam-tam, le sac de riz sur ses épaules. Le jeune homme surprend toute sa famille qui découvre ce jour-là la passion de Serigne. Au début, il lui est formellement interdit de fréquenter ce genre de manifestation, mais sa famille accepte et le laisse poursuivre sa passion, même s’il ne suit pas le même chemin sportif que ses deux frères footballeurs, son oncle arbitre et sa sœur judokate. C'est ainsi que Serigne Dia, devenu Bombardier, débarque à Dakar, à la poursuite de son rêve et participe à un tournoi organisé par Max Mbergane à Thiaroye.

 

Le jeune Serigne Dia (debout à droite) entouré de ses amis d’enfance

 

Il remporte le tournoi et tape dans l'œil du technicien, qui remarque ses aptitudes physiques et son énorme potentiel. L’actuel technicien de l’écurie Lansar le met en rapport avec feu Yéri Diakhaté pour qu'il le manage. C'est ainsi que pour son premier combat, Ousmane Dia encaisse un cachet de 100 000 francs pour en découdre avec Manga 3. Il parvient à le terasser et enchaîne avec succès contre des lutteurs comme Alioune Sèye ou Pape Cissé. Sa première désillusion sera contre Tyson 2, avec une défaite qui avait tellement pris des airs de correction que la presse avait titré : "Bombardier bombardé..." Mais, le Mbourois s'en relève vite et s'offre Boy Kaïré et Mor Nguer pour rebondir. Le déclic de sa carrière sera sa victoire contre le Tigre de Fass, Tapha Guèye, son idole. Après cet exploit, suivra une autre sur l'étoile montante, Zale Lô. Dès lors, son combat contre Tyson, le roi invaincu, devenu inévitable.

 

 

La consécration

 

Un jour, quand il s’agira de citer le nom des différents rois qui se sont succédé sur le trône de l’arène, celui de Serigne Dia Bombardier pourrait être victime d’oubli. Pourtant, le lutteur de Mbour restera à jamais comme celui qui a mis fin au règne de Mohamed Ndao Tyson. Ce combat entre Tyson et Bombardier fut décroché par Gaston Mbengue le 25 décembre 2002. Un combat qui avait suscité beaucoup de commentaires à l'époque et qui avait poussé Youssou Ndour à sortir un morceau pour le magnifier. Tyson était le lutteur le plus populaire, le plus charismatique, le plus craint et le roi des arènes. Bombardier, un jeune venu de nulle part, le défiait sans sourciller. Bombardier était très sûr de lui dans ce combat. Lors d'un des fameux face-à-face entre Tyson et lui, il fit comprendre à ce dernier qu'il était venu pour le détrôner. L'on se souvient encore de cette célèbre question de Tyson à Bombardier : “Mon grand père disait souvent que si deux guerriers se rencontrent dans la forêt, il faut obligatoirement que l'un d'eux reste et que l'autre revienne, je voulais te demander qui de nous deux va rester ?”.

 

Avec un large sourire, Bombardier lui répond : “Si tu en arrives à poser cette question, c'est parce que tu as peut-être peur”. Max Mbergane qui était dans l'encadre ment de Bombardier à l'époque explique : “Contre Tyson, on avait travaillé la rapidité et on lui avait conseillé de marcher sur lui dès le coup de sifflet de l'arbitre, parce que personne n'avait osé le faire jusque-là, car Tyson a toujours un ascendant psychologique sur ses adversaires qui préfèrent l'attendre plutôt que de marcher sur lui”. Bombardier a également joué la carte psychologique. Le frère et conseiller de Bombardier, Pape Dia raconte une anecdote le jour du combat. Alors que les deux adversaires s'échauffaient, Bombardier a dit à Tyson : “Je connais ta petite amie” ; elle lui dit le nom de la fille et lui apprend que c'est par elle que nous sommes arrivés à l'atteindre mystiquement. Le coup a marché parce que nous avons senti qu'il était perturbé par cette révélation”, raconte Pape Dia. Ce 25 décembre restera donc à jamais gravé dans la mémoire des amateurs sénégalais. Tyson, le roi des arènes de l'époque, venait pour la première de connaître les affres de la défaite. Et Bombardier entra dans l'histoire. Mais après cette victoire, Bombardier n'aura terrassé qu’Ibou Ndappa en 2003 avant de perdre sa couronne devant Yékini en 2004. Son règne en tant que roi fut le plus court de l'arène.

 

 

La chute

 

Manga 2, le premier roi des arènes, a régné pendant 10 ans ; Tyson 7 et Yékini pendant 15 ans. Le plus court règne est sans nul doute celui de Bombardier qui n'aura duré que deux petites années. Selon Max Mbergane, cette descente aux enfers de Bombardier est due au fait qu'il “sous estime souvent ses adversaires”. Malick Thiandoum, le monsieur lutte de la RTS, abonde dans le même sens : “Bombardier est une force de la nature, mais c'est un garçon qui a des limites au plan technique et au plan mental, il se croit le plus fort et il pèche souvent par excès de confiance. Il fait fi aussi des recommandations de son staff, c'est pour cela qu'il enregistre toujours des revers inattendus”. Malick Thiandoum ne s'arrête pas là pour expliquer ce manque de réussite de Bombardier : “Son défaut fondamental, c'est qu'il est très impulsif ; dans un combat, il cherche toujours à rendre coup par coup, sans analyser si c'est bon pour lui ou pas”. Cet excès de confiance lui a d'ailleurs valu une défaite contre Baboye à Mbour dans son fief. Étant provoqué tout le temps, il a voulu faire une bouchée de Baboye en l'humiliant. Mais celui-ci, plus vif, lui a pris sa jambe et l'a battu. Dans son combat contre Gris Bordeaux, “qui est le combat qui lui a le plus fait mal dans sa carrière, parce que tout le monde était contre lui”, révèle son frère Pape Dia, Bombardier avait aussi péché par excès de confiance. Le gazon aidant, Gris Bordeaux l'a aussi battu. Contre Yékini, c'est ce caractère impulsif qu'évoque Malick Thiandoum qui lui a valu une défaite. Voulant répondre à un coup que Yékini lui avait donné, Bombardier a oublié ses jambes et Yékini lui a flanqué un caxabal mémorable. Dimanche, Bombardier refait son retour dans l’arène depuis sa troisième défaite contre Yékini. Il s’attaque à la nouvelle génération par le biais de Tapha, presque son clone. A 34 ans, il sait qu’il a perdu du temps et doit reprendre son destin victorieux. Pour donner plus de consistance à son palmarès, pour qu’un jour, son nom évoque véritablement un grand roi des arènes...

 

KHADY FAYE

 

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