Publié le 15 Mar 2019 - 01:32
MADIEYE MBODJ, DELEGUE GENERAL DE YOONU ASKAN WI

‘’Il ne faut pas être surpris qu’un 3e mandat soit reconnu à Macky Sall’’

 

Alors que les autorités étatiques tentent d’en terminer définitivement avec le débat sur un probable troisième mandat à Macky Sall, le délégué général de Yoonu Askan Wi suspecte le régime de concocter un coup dans ce sens. Selon Madièye Mbodj, qui pointe une victoire à la Pyrrhus du président nouvellement réélu, il ne faut pas être surpris qu’un 3e mandat soit ‘’légalement’’ reconnu à Macky Sall par le Conseil constitutionnel sénégalais.

 

L’hypothèse d’un 3e mandat de Macky Sall est agitée depuis un bon moment. Cela vous semble-t-il envisageable, après la sortie du ministre Ismaïla Madior Fall qui soutient qu’en principe, c’est le deuxième et dernier mandat ?

Macky Sall a réussi à s’octroyer une ‘’victoire écrasante’’. Mais l’appétit venant en mangeant, stimulé de surcroit par l’odeur du pétrole et du gaz, il ne faudrait pas être surpris que la possibilité d’un vrai-faux 3e mandat lui soit reconnue ‘’légalement’’, au détour d’une idée de son ministre de la Justice ou, répétition tragi-comique de l’histoire, d’un ‘’avis du Conseil constitutionnel’’!

Le président Macky Sall, au lendemain de sa réélection, a appelé l’ensemble de la classe politique au dialogue. Quelle attitude adopter pour l’opposition ?

Au vu du contexte actuel et à la lumière de l’expérience vécue, quel crédit peut-on accorder à l’appel  au dialogue lancé à nouveau par le président Sall ? Le clin d’œil fait à cette occasion à ses prédécesseurs Diouf et Wade pour solliciter leur contribution, constitue déjà, à mon sens, un mauvais signal. Abdou Diouf a déclaré publiquement depuis longtemps sa décision de ne plus se mêler à tout ce qui touche à la politique au Sénégal. Pourquoi chercher alors à l’agiter comme un simple leurre pour camoufler maladroitement le chemin de la négociation et du deal prochain avec Wade père et fils ? Contrairement à la propagande du régime, l’opposition sénégalaise n’a jamais refusé le dialogue sur la gestion du pays, ni la concertation sur le processus électoral. Mais instruite par l’expérience, elle a toujours demandé que soit établi un accord préalable sur les termes de référence, le contenu, le format, les modalités, les responsables du pilotage, les animateurs, le traitement des conclusions.

Si dialogue il doit y avoir, quels sont, selon vous, les thèmes importants à aborder entre pouvoir et opposition ?

Il est nécessaire de discuter de la désignation d’une structure indépendante chargée d’organiser les élections, de la fiabilisation et de la sécurisation du fichier électoral et de la carte électorale, de la suppression du mode inique de scrutin de ‘’raw gaddu’’ et de listes nationales proportionnelles. Mais aussi de la réforme en profondeur du système de parrainage piégé et nébuleux en vigueur, de l’instauration du bulletin unique, de la réduction significative des montants des cautions, du plafonnement et du contrôle des dépenses de campagne. Il faut également qu’on discute de l’accès équitable aux médias du service public, de la rationalisation du calendrier électoral, de l’actualisation et du respect des dispositions de la loi 81-17 du 3 mai 1981 modifiée, relative à la création et au fonctionnement des partis politiques au Sénégal. Ce sont là autant de questions importantes, entre autres, qui méritent une concertation sérieuse et sincère, et sur lesquelles l’opposition comme la société civile disposent d’argumentaires et de propositions étayés, susceptibles d’assurer la régularité, la transparence et la fiabilité des élections au Sénégal.

Le président Macky SaIl a remporté haut la main l’élection présidentielle du 24 février avec un score de 58,26 %. Quelle analyse faites-vous des résultats issus des urnes ?

Il est significatif, à mon avis, que la victoire écrasante de Macky Sall n’ait pas été marquée, dans le pays comme dans la diaspora, par une liesse populaire, mais plutôt  par une immense déception. Cela me fait penser à une victoire à la Pyrrhus. D’énormes moyens déployés pour obtenir une victoire au prix de pertes colossales, faisant dire à Pyrrhus 1er, roi d'Épire, après sa victoire sur les Romains, lors de la bataille d'Héraclée en 280 av. J.C. : ‘’Encore une victoire comme celle-ci et je serai complètement défait !’’ La victoire proclamée de Macky Sall s’apparente, à bien des égards, à cette ‘’victoire à la Pyrrhus’’. Jamais, depuis au moins l’ouverture démocratique de 1974, le gardien fidèle du système néocolonial n’a eu à pousser à un tel paroxysme, la logique de l’Etat-parti, d’accaparement et de prédation. Ministres, directeurs généraux ou nationaux, Pca, magistrats retraités recyclés, hauts fonctionnaires et j’en passe : jamais la carte du parti au pouvoir ou l’allégeance au président de la République n’a autant servi de sésame pour accéder aux responsabilités. Jamais l’Etat, ainsi infesté, n’a été mis à ce point au service de l’intérêt exclusif d’un candidat président sortant, de son clan, de ses calculs et de son projet.

Vous dénoncez une préfabrication des résultats. Comment, selon vous, cela a-t-il été possible dans un pays démocratique comme le nôtre, sans grande opposition ?

Depuis 2013 au moins, de façon systématique et millimétrée, mettant à profit l’expérience du ‘’coup Ko’’ qu’il a dirigé lui-même en 2007 au profit de son maître Abdoulaye Wade, l’on peut vérifier que Macky Sall a déroulé son entreprise   diaboliquement géniale visant à s’octroyer un second mandat dès le 1er tour, suivant un planning cyniquement monté et froidement exécuté. Tout y est passé, rigoureusement, sans état d’âme, ni préoccupation d’ordre éthique.

Acte 3 de la décentralisation voté en urgence par l’Assemblée nationale pour le redécoupage clientéliste des communes et la promotion de leaders locaux artificiellement assis au plan électoral ; modifications, taillées sur mesure par des tailleurs professionnels, de la Constitution et du code électoral, à des fins strictement électoralistes, en faisant au passage du ‘’wax waxet’’ (reniement) afin de s’aménager un ‘’buuñaa’’ (surplus) de deux ans supplémentaires. Dans la même veine, il y a la répétition grandeur naturelle de la stratégie du putsch électoral à l’occasion des législatives de juillet 2017 ; le contrôle partisan et sans scrupule du ministère de l’Intérieur. Quand on y ajoute que la Direction de l’automatisation des fichiers (Daf), la Direction générale des élections (Dge) et les autorités d’un commandement territorial outrageusement politisé sont toutes placées sous sa responsabilité directe, l’on peut aisément deviner les consignes.

Abdoulaye Wade avait déclaré avant l’élection que Macky Sall aurait déjà ses propres résultats. N’a-t-il pas, selon vous, eu raison sur l’opposition ?

Il a été dit quelque part que Me Abdoulaye Wade aurait eu raison sur l’opposition en appelant au boycott, au motif que les dés étaient pipés d’avance. Que nenni car, en vérité, au meilleur des cas, cette fois-ci, lui le tacticien subtil, s’est gouré sur toute la ligne, obnubilé uniquement par le sort de son fils biologique, au point de faire le jeu de Macky Sall, soit malgré lui, soit en toute conscience, par deal et calcul.

Depuis au moins le ‘’Non’’ au référendum de 2016, depuis Mànkoo Wattu Senegaal, depuis l’Ied jusqu’au Frn, l’opposition, persuadée que les dés étaient pipés d’avance par Macky Sall, n’a cessé de lutter pour inverser le rapport de force. Malheureusement, par manque d’unité et de combativité sur le terrain, par manque de crédibilité et d’attractivité de nombre de ses principaux ténors, en aucun moment elle n’a réussi à rallier massivement les citoyens sénégalais à son combat démocratique. C’est ainsi que le hold-up électoral, testé grandeur nature à l’occasion des législatives de juillet 2017, a été corsé et ‘’amélioré’’ grâce à l’instrumentalisation des Tic en rapport, de l’avis même des professionnels du secteur, avec l’utilisation des données personnelles fournies à la faveur de la mise en œuvre du ’’parrainage citoyen’’, comme l’a démontré récemment le président de l’Asutic  dans une contribution interpellant au passage la présidente de la Cdp.

Macky Sall peut tout de même se prévaloir d’un bilan positif susceptible de convaincre l’électorat sénégalais.

Certes, personne de sensé ne peut soutenir que Macky Sall n’a rien fait pour le Sénégal et les Sénégalais. Mais, en vérité, les réalisations faites ne sont que de maigres ristournes distribuées aux citoyens contribuables, par rapport aux milliards engloutis dans les poches et comptes bancaires de proches, de partisans, clients politiques et autres multinationales étrangères ou dans des investissements non prioritaires, mais qui rapportent gros en termes de dessous de table. C’est pourquoi, quand certains de nos concitoyens disent : nous avons voté pour Macky Sall, donc en retour il nous doit routes, eau potable, électricité et postes de ministre ; une telle logique nous renvoie à l’indispensable changement des mentalités et des comportements, à la nécessaire remise en question de la politique et du rapport entre électeurs et élus, aux tâches énormes qui attendent les patriotes progressistes sur ce chantier-là. Changeons nous-mêmes pour changer le Sénégal et l’Afrique.

Au vu des résultats de votre coalition, quelle perspective s’offre à vous ?

La coalition Sonko-Président a retenu de tenir samedi prochain un séminaire sur l’évaluation de la présidentielle et les perspectives. Mais, d’ores et déjà, incontestablement, malgré les tentatives répétées de diabolisation, de désinformation et d’intoxication, une nouvelle force politique a émergé et s’est affirmée  lors de la présidentielle, sur la base d’un projet d’alternative souveraine et de rupture, incarnée par le candidat Ousmane Sonko et la coalition qui l’a porté. Une nouvelle force impulsée par la jeunesse, consacrée par le suffrage du peuple dans sa diversité d’âges, de sexes, de religions, de confréries, d’ethnies, de professions, de localités, de Ziguinchor à Matam, de Dakar à Kédougou et à travers la diaspora. Rien d’étonnant alors que les tenants du système aient concentré et continuent de concentrer leurs attaques contre Sonko.

Nous ne parlons pas d’un homme, mais bien de projet et d’enjeux politiques, car comme le dit Ousmane Sonko lui-même, ‘’le Sénégal n’a pas besoin de messie, ni de héros, mais d’une masse critique de citoyens conscients des enjeux et qui ont le courage d’agir’’. La voie pour asseoir solidement et durablement cette nouvelle force politique est de s’organiser ici et maintenant, se lier aux masses populaires des villes et des campagnes, prendre en charge, sur le terrain, leurs préoccupations et leurs luttes sociales diversifiées.

Il faut construire un large cadre politique unifié, capable de rassembler les démocrates et patriotes progressistes, doté d’un appareil électoral efficace, apte à mobiliser les moyens de ses politiques et de ses saines ambitions, implanté, structuré, animé par des militants déterminés, bien formés, conscients de leurs tâches et responsabilités anti-impérialistes, panafricanistes et internationalistes en solidarité avec les peuples d’Afrique et du monde. Elle pourra ainsi, dès maintenant, préparer dans de bonnes conditions, de façon autonome ou en alliance, les prochaines batailles électorales de l’horizon 2019-2024.

La gauche a été totalement absente de ce scrutin. Qu’est-ce qui, selon vous, explique cela ?

Avec l’affirmation et la crédibilisation de l’alternative souveraine de rupture, à un niveau jamais atteint jusqu’ici, se profile au Sénégal l’amorce d’un changement de cap et de perspectives. Les vieilles catégories de gauche se meurent, inféodées au Macky, armes et bagages rangées dans la ‘’Salle des banquets’’, en totale rupture avec leurs proclamations de principe. Dans le même temps, de nouvelles catégories de gauche émergent, luttent et s’affirment aux côtés du peuple, avec ténacité et esprit de suite, lucidité et optimisme. L’avenir, c’est maintenant.

PAR ASSANE MBAYE 

 

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