Publié le 6 May 2015 - 19:17
MAFODE NDONG (ANCIEN AMBASSADEUR DU SENEGAL AU ROYAUME DE BAHREIN)

‘’Macky Sall n’ose pas sacrifier son peuple’’

 

Premier conseil de l’ambassade du Sénégal en  Arabie Saoudite de 1991 à 1993, ambassadeur du Sénégal au royaume de Bahrein de 2006 à 2011, M Mafodé Ndong, diplomate qui a séjourné dans le golfe pendant 17 ans, évoque le bien fondé de l’envoi des troupes en Arabie Saoudite.

 

La décision prise par le chef de l’Etat sénégalais d’envoyer un contingent de 2100 soldats en Arabie Saoudite a créé un tollé dans notre pays, quelle est votre appréciation en votre qualité de diplomate ?

Je pense que les Sénégalais doivent savoir raison garder et éviter de se prononcer sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. Et ce n’est pas la première fois que l’Etat du Sénégal s’engage dans cette optique. Un premier contingent a été déployé en 1991 pour soutenir le Koweit. Nos partenaires avaient demandé au Sénégal de participer à l’opération ‘’Tempête du désert’’ qui était dirigée par l’Onu. Le président de la République de l’époque avait donné son accord et avait envoyé dans ce sens des soldats pour soutenir un pays musulman, un pays ami qui était en difficulté. C’est le même schéma qui se reproduit. Quand un pays frère sollicite une aide, je ne vois pas où est le problème.

Le tollé se serait justifié si notre pays s’était engagé à soutenir un pays qui attaque illégalement un état souverain.  Par exemple, si l’Irak au moment d’attaquer le Koweit avait demandé au Sénégal de l’aider, tout le monde aurait manifesté son veto. Car la politique extérieure du Sénégal est basée sur des principes. Donc ce genre d’attaques  ne peut être légitimé par la communauté internationale. Comme vous le savez, pendant la guerre du golfe de 1991, des Sénégalais, sur la route du retour, ont perdu la vie dans un crash ; il y a eu beaucoup de morts.

Justement, 93 soldats avaient péri lors de ce crash d’un avion saoudien. 24 ans après cet accident, des familles des victimes n’ont toujours pas été indemnisées. Qu’en pensez-vous ?  

Mais il faut souligner que cela relève de la responsabilité de l’Etat du Sénégal. Il y a également lieu de préciser que cette opération engageait le Koweit et non l’Arabie Saoudite. C’est Abdou Diouf qui avait négocié, à l’époque, avec le Koweit sous le contrôle des Etats-Unis. J’étais sur place à l’époque. Les négociations ont eu lieu entre l’Emir du Koweit et les Américains.

Quelle est alors la cohérence de la démarche adoptée par le régime actuel, dans la mesure où ces 93 ‘’jambaars’’, décédés sur le chemin du retour, sont tombés dans l’oubli. Faut-il encore sacrifier d’autres soldats ?

Comme je vous dis, la comparaison n’est pas valable dans la mesure où ce ne sont pas les même pays. Les premières négociations engageaient le Sénégal et le Koweit, et celles-ci concernent notre pays et l’Arabie Saoudite.  Je pense également que l’analyse de cette question doit être faite sous l’angle de la valeur de l’Armée sénégalaise. Elle est reconnue comme étant une armée d’expérience, de compétence, de technicité. Tous les pays du monde sollicitent notre armée compte tenu de son passé glorieux. Le Sénégal peut être fier de son Armée qui est mondialement reconnue. Malheureusement, des considérations d’ordre politique biaisent le débat sur ce thème d’actualité.

Est-il judicieux de vouloir sécuriser les Lieux Saints de l’Islam en déployant 2100 soldats alors que des pays africains, tels que le Mali ou le Nigéria font face au terrorisme ?

Mais le Sénégal est présent au Mali. Il fait partie des premiers pays africains qui sont intervenus au Mali. J’entends les politiciens dire que l’intervention n’a pas été automatique et qu’il a fallu l’intervention des uns et des autres, pour que notre pays s’engage à le faire. Mais  notre police et notre gendarmerie sont actuellement au Mali. Personne ne peut le contester.

Quels sont les enjeux liés à cette décision controversée du président  Macky Sall ?

Vous savez, les décisions de ce genre sont d’une importance telle que seuls les décideurs peuvent vous dire les tenants et les aboutissants. Mais Macky Sall ne vous dira jamais ce qu’il s’est dit avec le roi d’Arabie Saoudite Salman. Car l’urgence, ce n’est pas de sécuriser les Lieux Saints de l’Islam qui sont bien gardés. L’autre élément, il n’y a pas que l’armée sénégalaise sur place. D’autres pays  comme le Maroc,  la Jordanie, le Soudan y sont présents. C’est toute la coalition du monde libre, du monde démocratique, qui a dépêché ses hommes pour aider un pays musulman à riposter contre les attaques au Yémen. Est-ce un problème politique ou religieux ? Dès l’instant où l’on parle de l’Iran, on pense aux Chiites, alors que cela peut être d’ordre politique.

Vous estimez que la présence de nos soldats sera de taille ?

Bien sûr dans la mesure où nos soldats sont très respectés et convoités. Le Sénégal est un petit pays sur le plan superficie, mais c’est un grand pays sur le plan diplomatique, politique et surtout sur le plan militaire. Il dispose d’une armée dont la force repose sur l’expérience, la connaissance de la technique militaire. Ce qui est sûr, c’est qu’à 80%, on fait appel aux Sénégalais pour la compétence de son armée et sa technicité.

Qu’est-ce que le Sénégal gagne dans cette opération ‘’Tempête dans le désert’’?

Mais c’est comme si vous demandez ce que le Sénégal gagne en intervenant au Mali, en Bosnie Herzégovine ou dans un autre pays du monde. Il gagne en crédibilité et en notoriété. Car ce n’est pas fortuit si ces interventions sont souvent  demandées par les Nations unies car notre armée est reconnue parmi les plus expérimentées au monde. Sur le plan diplomatique, le Sénégal y gagne également. Il est en train de tisser une belle collaboration avec ses amis traditionnels aux prises avec une insécurité. La diplomatie sénégalaise est très respectée parce qu’à chaque fois qu’il y a des problèmes, elle intervient. Et à la tête de cette diplomatie se trouve le chef de l’Etat.

Ce genre d’opérations rehausse certes l’image du pays mais les Etats ont toujours des intérêts à défendre ?

Ce n’est pas le point crucial qui pousse le président à envoyer des troupes en Arabie Saoudite. Je dirais que pour un Etat digne de ce nom, son intérêt premier, c’est celui de son peuple. Quand on vote pour un président de la République, c’est parce qu’on lui fait confiance. Le jour où il décevra son peuple, il sera sanctionné. Le président n’ose pas ‘’vendre’’ son pays, sacrifier son peuple, pour des raisons inavouées.

Par Matel BOCOUM

 

 

Section: