Publié le 2 Dec 2015 - 13:01
MAGAL TOUBA 2015

Dans la ferveur d’une foi immuable

 

Le spectacle est immuable, mais a toujours quelque chose d’incitatif. Comme une force d’attraction et comme à l’accoutumée, Touba a vu des centaines de milliers de personnes défiler autour et à l’intérieur la grande mosquée de son fondateur pour un recueillement grandeur nature.

 

La mosquée de Touba prise d’assaut par les fidèles le jour du Magal. Une lapalissade que de le dire. Mais le spectacle offre toujours un intérêt doublé d’un émerveillement, à chaque commémoration du départ en exil, en 1895, de Serigne Touba pour le Gabon. Sur le parvis marbré de cette immensité architecturale, la circulation piétonne est intense. Comme dans une ruche, les lieux buzzent de murmures des khassaides, poèmes du fondateur, psalmodiés par des groupes de disciples assis un peu partout dans la mosquée. Déjà, au petit matin, Touba s’était réveillé aux décibels des grands haut-parleurs accrochés un peu partout dans la ville.

‘‘Nous sommes là pour rendre hommage à ce saint, cet intellectuel, ce résistant, notre rédempteur dont on commence à se rendre compte de son sacrifice pour son peuple et son sens pour le combat’’, explique Modou Diop. Ce jeune fonctionnaire dakarois a troqué ses vêtements conventionnels pour arborer le fameux ‘‘njaxass baye-fall’’, un patchwork de tissus, qui est le revêtement traditionnel de certains disciples. C’est une foi renouvelée pour ce quadragénaire qui se plie à ce rituel, depuis près de deux décennies. Pour lui, ‘‘c’est toujours comme une première’’ quand il franchit les grilles de métal de la mosquée pour aller faire son ‘ziar’, recueillement sur le tombeau crénelé du fondateur du mouridisme. Un mausolée de Khadim Rassoul, pris d’assaut par une foule qui scande à tue-tête des ‘‘dieuredieufé Serigne Touba’’.

Malgré la présence des policiers et des membres de l’organisation, il a fallu enlever par la force certains récalcitrants qui s’accrochaient à la barrière de métal qui entoure le lieu de repos de Serigne Touba. La capitale du Mouridisme a vécu comme d’habitude dans la ferveur du 18 Safar, deuxième mois du calendrier musulman où Serigne Touba a été forcé à l’exil par l’administration coloniale. Le gouverneur du Sénégal d’alors, Louis Mouttet, inquiet de l’influence grandissante de Serigne Touba dans le Baol et l’émulation qu’il pourrait inspirer dans d’autres localités du pays, avait décidé de l’éloigner. 122 ans plus tard, la ferveur est toujours vive. A plus de deux kilomètres, depuis qu’on a quitté Darou Marnane, ‘‘Lamp Fall’’, le plus haut des cinq minarets, se dresse majestueusement dans le décor clair de ce mardi caniculaire. Impossible de marcher sans se faire balader par une foule cosmopolite de tous âges et de toutes conditions. L’expression marée humaine ne pouvait avoir illustration plus parlante que ces milliers et milliers de gens qui ont pris d’assaut les six entrées de cette mosquée inaugurée officiellement le 7 juin 1963 par le deuxième calife des mourides, Serigne Fallou Mbacké.

D’ailleurs, c’est avec lui que cette célébration connut une rupture fondamentale, nous explique Ibrahima Thiam de la wilaya nationale, ensemble de dahira, créée par Serigne Mbacké Sokhna Lo. Comme sous le califat d’Ousmane, au 7ème siècle, durant lequel le Coran fut réuni en un seul exemplaire, le règne du deuxième calife a vu Touba accueillir ses premiers bains de foule. ‘‘De 1921 à 1927, date de sa disparition, le Cheikh a toujours célébré cet anniversaire. Son aîné et successeur, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, a recommandé que les disciples célèbrent le 18 Safar où qu’ils puissent se trouver. A la fin de la deuxième guerre mondiale, son successeur, Serigne Fallou, décida que Touba était une ville bénie et que, pour la rédemption des fautes de tous les croyants, il fallait célébrer le Magal dans la ville où repose son fondateur’’, analyse-t-il dans un bureau surchargé de l’aile est de la mosquée.

Serigne Fallou inoubliable

 ‘‘Par mon exil, Allah a voulu élever mon rang et faire de moi l’intercesseur auprès des  miens et l’éternel serviteur du prophète.’’ Ces vers composés par Serigne Touba lui-même sont placardées dans des affiches à son effigie qui essaiment dans toute la ville. Les siens le lui ont bien rendu avec le slogan ‘‘dieuredieufé Serigne Touba’’ scandé par des milliers d’adeptes qui se sont rués dans la mosquée à la recherche des différents mausolées. S’il y a cependant un qui attire l’attention, c’est celui du deuxième khalife. Sur le parvis marbré de la grande mosquée, juste derrière le reposoir de Serigne Touba, la longue file indienne ordonnée par la police intrigue. A la demande, c’est le mausolée de Serigne Fallou qu’on nous désigne.  ‘‘Les gens fondent beaucoup d’espoir sur ce fils de Serigne Touba, car il avait reçu de son vivant beaucoup de dons du Seigneur.

Depuis toujours, c’est l’attroupement devant son mausolée’’, fait savoir un des hommes en dreadlocks, préposés à l’ordre dans les rangs, qui s’empresse de retourner à son travail. Les quelques tentatives de resquille sont vite étouffées par un dispositif  bien huilé entre policiers et membres de la commission d’organisation. Dans les files, les séances de selfie le disputent aux exhortations des forces de l’ordre. ‘‘Circulez, avancez ne restez pas sur place !’’ provoquant de légers mouvements de contestations de fidèles arrachés à leur dévotion qui vont continuer leurs prières au niveau des grilles, à l’extérieur de l’endroit. ‘‘C’est dommage qu’on m’interrompt, mais rien ne m’enlève ce plaisir de m’être recueilli sur le tombeau de Serigne Fallou. Depuis trois ans que je ne m’étais pas rendu à Touba, ça en valait la peine’’, lance Modou Djitèye joignant ses deux mains dans l’interstice des grilles noires qui protègent la sépulture du deuxième calife. ‘‘Que le Bon Dieu protège le Sénégal’’, lance-t-il à voix audible, comme dernier vœu. 

OUSMANE LAYE DIOP

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