Publié le 12 Jul 2018 - 20:05
MAI 68 - GREVE DES ETUDIANTS, INTERVENTION DES COMMANDOS, RÔLE DE SENGHOR…

Mbaye Diack refait l’histoire

 

Alors qu’il dirigeait l’Union démocratique des étudiants du Sénégal (Udes) à l’époque,  Mbaye Diack, acteur clé du mouvement étudiant,  a fait un édifiant témoignage sur les événements de mai 1968. C’était hier à la cérémonie officielle de commémoration du cinquantenaire de cette séquence importante de l’histoire du Sénégal et du monde.

 

La coïncidence entre le soulèvement des étudiants de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, en mai 2018, et le cinquantenaire des événements de mai 1968 montre que l’histoire peut bel et bien bégayer. Légèrement décalée, en attendant que l’espace universitaire soit apaisée, après la mort de l’étudiant Fallou Sène, la cérémonie commémorative des événements de mai 1968 au Sénégal s’est tenue hier à la salle de conférence de l’Ucad II. Parmi les personnalités venues assister à la sobre cérémonie, il y avait Mbaye Diack qui est l’un des témoins clés de cette séquence de l’histoire du mouvement social africain et sénégalais.

D’emblée, il a tenu à faire remarquer que les événements de mai 68 sont des événements qui se sont déroulés à travers le monde entier sous plusieurs formes, avec des causes apparemment différentes, mais fondamentalement liées. ‘’J’ai toujours dit à mes amis et interlocuteurs que le mouvement étudiant de mai 1968 a commencé à Dakar, avant Paris. Bien que certains pensent que c’était une copie du mouvement français. Alors que tel n’était pas le cas. Mais dans la substance et dans le fond, les deux mouvements étaient liés d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas seulement au Sénégal, en France, que le mouvement de mai 1968 a eu à se manifester, à se réaliser. On sentait les événements de mai 68 jusque dans les pays de l’URSS. C’était donc un mouvement international.’’, précise l’ancien président de l’Union démocratique des étudiants du Sénégal (Udes).

 A Dakar, les événements ont commencé précisément, le 24 avril 1968. Mbaye Diack renseigne que leur cause ‘’apparente’’ et ‘’motivante’’ fut le fractionnement des bourses et le surnombre des étudiants dans les chambres. ‘’Avec la réforme poussée qui a supprimé la première partie du Baccalauréat qui était un passage difficile, le nombre des étudiants a alors fortement augmenté et le gouvernement, n’ayant pas prévu cette situation, avait manqué de vigilance. Ces bourses, d’un montant de 24 000 F, une somme très importante à l’époque, ont été transformées en demi et tiers bourse. Cela avait conduit, entre autres causes, à la première grève d’avertissement du samedi 24 avril 68’’, se remémore-t-il.

L’autre précision que l’ancien agitateur a tenu à rappeler, c’est qu’au départ, le mouvement était uniquement une affaire d’étudiants sénégalais. Les étudiants des autres pays n’étaient pas dans le mouvement et n’étaient pas non plus contre le mouvement. Parce qu’ils n’ont jamais cherché à briser les piquets de grève qu’on mettait devant les facultés, ajoute-t-il. ‘’Des étudiants non sénégalais ont rejoint le mouvement, le mercredi 29 mai. Ce jour-là, le recteur avait convoqué l’UDES (Union démocratique des Etudiants sénégalais) que je présidais et en même temps la direction de l’UED (Union des Etudiants de Dakar), présidée par feu Samba Baldé. Au rectorat, le recteur politicien a dit, à la demande de Senghor, qu’il voudrait poser une question au président de l’UDS que je suis et qu’il attendait une réponse très claire à sa question. Il me dit : ‘’Senghor veut savoir si vous (étudiants) voulez le renverser ou pas ?’’ J’ai répondu en lui disant que cette question ne me concernait pas. Ce qui nous intéresse, c’est la défense des intérêts matériels et moraux. Je ne sais pas ce que veut dire ‘’renverser le gouvernement’’. Et puisqu’il (le recteur) insistait, nous avons quitté’’, explique M. Diack.

Du rectorat, ils  se sont retrouvés à la place du 28 février (l’actuel terrain de basket, collé au pavillon A) où ils ont tenu un meeting. ‘’Avant la fin du meeting, Samba Baldé de l’UED est venu avec sa direction. Il a demandé la parole et a  décrété : ‘’Désormais, tous les étudiants membres de l’UED sont d’accord pour le déclenchement d’une grève illimitée’’. Le lendemain, l’Université a été investie par les gardes républicaines dont la plupart étaient issues des effectifs libérés de l’Algérie et du Vietnam. Ils n’étaient pas formés pour le maintien de l’ordre, mais pour la guerre. C’est pourquoi ils avaient détruit systématiquement toute la cité universitaire, tous les pavillons, avec une violence militaire sans précédent. C’est là que le jeune Khoury a été étouffé. Il a perdu la vie. Après, nous avons été transportés, avec fermeté, au Camp Mangin qui se trouvait là où il y a actuellement le siège de la BCEAO, vers l’état-major français’’, se souvient le leader estudiantin.

Le soir vers 17 heures,  poursuit-il, nous avons été tous transférés au camp Archinard qui se trouve à Ouakam par des commandos. Un transfert qui s’était fait de manière très bruyante, parce qu’ils étaient entassés dans les camions de la garde présidentielle. ‘’Et lorsque les populations de la Médina nous avaient vus dans des camions de la garde républicaine, elles étaient très frustrées. De même que les travailleurs qui avait manifesté leur solidarité au mouvement étudiant. A l’intérieur du camp Archinard, on a commencé à trier. A la porte, un commando ordonnait que les étudiants sénégalais entrent à gauche et les non-sénégalais à droite. Les étudiants étrangers ne vont pas passer la nuit au Camp Archinard. Ils seront envoyés et Parqués au lycée Maurice Delafosse’’.

Mais pour être honnête, Mbaye Diack affirme qu’ils n’ont jamais été maltraités au Camp. Quand Senghor a téléphoné aux commandos pour leur demander si les étudiants avaient mangé et qu’il s’était rendu compte que ce n’était pas le cas, le Président a privé les militaires de leurs repas qui ont été remis aux étudiants. Après 11 jours, ils ont été libérés et remis à leurs familles.

MAMADOU YAYA BALDE

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