Publié le 9 Jan 2018 - 02:28
MALICK FALL (SG SAES)

‘’L’Uvs est un puits sans fond’’

 

Le Saes en a assez de courir derrière les accords sur la retraite et quelques décrets devant compléter la réforme des titres. Malick Fall, son Secrétaire général, a également livré la position du syndicat sur les budgets des universités, l’Uvs et l’orientation des bacheliers dans le privé. Il n’a pas manqué non plus de jeter un pavé dans la mare du Cames. Entretien

 

Vous êtes en mouvement pour exiger le paiement des salaires du mois de décembre. Avez-vous été en contact au préalable avec le recteur ou le ministre ?

Pas avec le recteur ou le ministre de l’Enseignement supérieur. Mais quand même, nous avons eu des contacts avec les responsables du ministère de l’Economie et des Finances. D’après ce qu’ils nous ont dit, les salaires seront payés aujourd’hui (hier). C’est ce qu’ils nous ont promis, nous attendons de voir.

En 2013, le ministre avait promis un budget de vérité pour l’année suivante. Que se passe-t-il pour qu’il y ait  toujours  déficit ?

Il faut poser la question au ministre de l’Enseignement supérieur pour savoir ce qui se passe. C’est lui qui avait annoncé qu’en 2013, on aurait un budget de vérité. Nous avons toujours essayé de faire le nécessaire, mais il se trouve que des lenteurs persistent. C’est vrai qu’il y a eu des consolidations, des efforts pour certaines recommandations. Il faut reconnaître qu’il y a eu des augmentations de budget. Mais il n’en demeure pas moins que jusqu’à ce jour, le budget est théoriquement insuffisant pour couvrir toutes les dépenses auxquelles on doit faire face. Je n’ai pas encore eu les documents qui me permettent de dire que les budgets sont réellement suffisants ou insuffisants. Donc, je mets  tout cela au conditionnel.

Vous soupçonnez une possible utilisation inefficiente  du budget ?

Je ne peux pas le dire. Pour moi, l’affirmation de la suffisance ou de l’insuffisance du budget doit découler d’une étude. Je n’ai pas participé à cette étude-là. C’est pourquoi j’emploie toujours le conditionnel. Mais, dans la pratique, nous nous rendons compte qu’il y a des dépenses qui devaient être effectives et qui ne le sont pas, parce qu’il n’y a pas d’argent. Nous voudrons, en nous fondant sur notre cursus universitaire, nous baser d’abord sur des études scientifiques avant de pouvoir faire une quelconque affirmation.

Cette question du budget n’a-t-elle pas été prise en compte lors de la CNAS ?

Pendant l’organisation de la CNAS, ces questions ont été posées. N’oubliez pas que la CNAS a été une occasion pour des échanges inclusifs. Ce qui avait débouché sur 78 mesures. Maintenant, il est évident que le président de la République en a pris 11 pour en faire des  directives présidentielles. La question qu’il faut poser au ministre de l’Enseignement supérieur, c’est le respect des recommandations. Il y a eu 78 recommandations qui découlaient d’une étude inclusive où tout le monde a participé. Maintenant, pourquoi on a extirpé des 78 mesures 11 pour en faire des directives présidentielles ? Il faut poser la question aux autorités. Que vont-ils faire du reste de ces recommandations ? Et c’est la même chose avec les assises de l’éducation nationale où il y a eu un certain nombre de recommandations, mais on en a extrait 11 pour dire que ce sont des décisions présidentielles. L’idéal aurait été qu’on essaie d’appliquer toutes ces recommandations de la CNAS. Peut-être qu’en les appliquant intégralement ou à moitié, les universités n’auraient pas autant de difficultés qu’elles en ont aujourd’hui.

Vous avez demandé l’audit des contrats de performances. Est-ce le matériel pédagogique ou les résultats des étudiants qui vous intriguent ?

Il faut comprendre comment fonctionne le SAES aujourd’hui. Nous avons une coordination qui est celle de Dakar qui s’occupe des questions qui sont relatives au fonctionnement de l’Ucad. Dans son analyse, la coordination de Dakar pense qu’il est tout à fait normal qu’on fasse un audit des CDP. Il faut que nous allions cette culture de l’évaluation des politiques sectorielles que nous menons. Parce que cela nous permet de procéder à une rectification, si le besoin se fait sentir. C’est dans les évaluations des politiques que nous allons voir ce qui marche et ce qui ne l’est pas pour savoir ce qu’il faut améliorer.

Dans le  préavis de grève que vous avez déposé, il y a deux points : la retraite et la réforme des titres. On croyait la réforme des titres définitivement résolue. Que se passe-t-il ?

La réforme des titres, dans sa mise en œuvre, présente quelques difficultés dans la mesure où nous avons deux points qui restent à faire définitivement. Le premier est relatif au décret de chercheur. Dans les universités, notamment celles de Dakar, on a le personnel enseignant et de recherche et un personnel de recherche. C’est le cas des collègues de l’Ifan qui, même s’ils participent aux enseignements, notamment dans les facultés et autres écoles, sont recrutés comme des chercheurs. Ces deux corps (enseignants et  chercheurs) ont les mêmes titres et les mêmes grades.

Ils sont évalués de la même façon au Cames. Donc quand on fait une réforme des titres qui concernent l’un des groupes, il faut forcément accepter que celle-ci soit répercutée sur l’autre groupe. Quand on  faisait la réforme des titres chez les enseignants, nous avions oublié que, dans l’écriture de la loi cadre, on n’avait pas mentionné les chercheurs. Donc, nous nous sommes rattrapés avec le ministre de l’Enseignement supérieur sur cette question et nous avons essayé de mettre en place un décret qui les concerne. Ce décret a été écrit. Il est passé par toutes les voies normales pour aboutir au secrétariat général du gouvernement qui doit faire les dernières retouches avant de le proposer au conseil des ministres pour son adoption. Malheureusement, le document est aujourd’hui en train de dormir au secrétariat général du gouvernement depuis des mois. C’est ça qu’il fallait régler dans la réforme des titres.

Le deuxième point est relatif aux professeurs de classe exceptionnelle. Ces professeurs ne font pas plus de 50. Or, dans la mise en œuvre de la réforme des titres, ils ont été laissés en rade. A ces professeurs, on applique l’indice 1068. Si cet indice leur est appliqué, ces collègues vont se retrouver avec une baisse de leur salaire. Il y a un indice 1124 qu’il faut créer par décret, parce qu’il n’existe pas cet indice dans la nomenclature actuelle des indices. Nous courons derrière ce décret  depuis 2016, année de la mise en œuvre de la réforme des titres. Du coup, ces collègues sont rétrogradés. Ce qui veut dire qu’ils ne perçoivent pas leur vrai salaire. Mais plus grave, quand ils iront à la retraite, ils sont rétrogradés. Ce sont les deux éléments qui présentent des écueils dans la mise en œuvre de la réforme des titres.

Qu’en est-il du dossier des maîtres-assistants qui doivent aller au Cames ?

Pour ce qui est du cas des maîtres-assistants, c’est simple. Avec la nouvelle loi, il y a une extinction du corps des maîtres-assistants ; cela veut dire que dans la nomenclature des titres et des grades, il n’y a plus de maître-assistant. Or, au  Cames, le titre de maître-assistant est toujours en vigueur. Ce qui  fait que dans les arrêtés de nomination, on met les nouveaux titres, c’est-à-dire : maître de conférences titulaire est l’équivalent de maître-assistant du Cames. Mais si on note à un collègue un arrêté avec les titres qui prévalent  actuellement au Sénégal, ils vont avoir des difficultés à se présenter au Cames. C’est pourquoi on a demandé au ministre de l’Enseignement supérieur de bien vouloir mettre dans l’arrêté de nomination un bout de phrase qui indique la correspondance qui existe entre les titres du Sénégal et ceux du  Cames.

Sachant que le Sénégal est membre du Cames, pourquoi vous n’avez pas conservé le vocabulaire de celui-ci pour éviter toute ces difficultés ?

C’est plutôt le Cames qui doit connaître des mutations. Sur le plan international, tous les pays adoptent les nouveaux titres. Le Cames est une grosse machine un peu grippée. C’est donc à lui de faire sa mue et  de se mettre au diapason de ce qui se fait dans le monde. Parce que ces questions ont une  incidence sur la taille des chercheurs et des enseignants qui sont habilités à faire les travaux d’encadrement. Le Sénégal est sur la bonne voie de ce point de vue là.

Comment se fait-il que le Cames, cette  institution qui devait être avant-gardiste, soit aussi en retard ?

Il y a des structures qui sont un peu réfractaires au changement. Le Cames est une grosse machine, il y a des pontes qui sont un peu conservateurs. Pour le moment, ils n’ont pas encore jugé nécessaire de bouger, mais de toute façon, ils seront obligés de le faire. Nous sommes dans un village planétaire. Ce qui se passe au Sénégal se passe forcément dans les autres pays. Il faut donc que le Cames prenne ses responsabilités pour opérer les mutations nécessaires.

Il y a maintenant trois ans depuis que l’Etat du Sénégal a commencé à orienter les bacheliers vers les écoles privées. Quel regard portez-vous là-dessus après quelques années ?

Nous sommes des produits de l’école publique, nous prônons donc un enseignement public de qualité. Cela ne veut pas dire que nous sommes contre l’enseignement privé, loin de là. L’enseignement privé a sa place dans le système éducatif. Mais pour ce qui est des ressources de l’Etat, il faut travailler pour faire en sorte que les universités traditionnelles publiques puissent monter en puissance. Ceux qui choisissent librement d’aller dans le privé y vont. Il peut y avoir des formes de soutien de l’Etat pour venir en appoint aux privés. Mais pour ce qui est des ressources de l’enseignement supérieur, nous pensons qu’elles vont être affectées aux universités publiques pour que les  étudiants puissent trouver les moyens de pouvoir rester dans le système.

L’Autorité nationale d’assurance qualité  (Anaq) était censée produire des rapports. On note une irrégularité dans la publication. Est-ce qu’on peut penser qu’il se pose un problème de qualité  dans les écoles (Epes) où les bacheliers sont orientés ?

C’est une question qui fâche. Le SAES en a fait les frais. Pendant la Cnaes, on nous a taxés de tous les noms d’oiseaux, disant que nous sommes contre les établissements privés d’enseignement supérieur. Or, ce n’est pas ça. Aujourd’hui, il y a une véritable manne financière qui doit être distribuée aux établissements privés pour prendre en charge l’orientation de certains bacheliers. S’il n’y a pas de  garde-fous, tous les businessmen font ouvrir une école pour capter le maximum d’étudiants. Quand on vous dit que si vous êtes accrédité par l’Anaq (cette  instance a publié un rapport en 2014. depuis lors, il n’y a pas de suite. La présentation simultanée de deux rapports a été programmée dernièrement, avant d’être reportée : Ndlr), vous avez 100 ou 200 étudiants ; et  que sur chaque étudiant par exemple, l’Etat paye 400 000 F Cfa. Essayer de faire la multiplication. Vous pouvez tout de suite payer toutes les charges administratives ainsi que les salaires et vous faire des bénéfices. Donc si on n’y prend garde, on risque de se retrouver avec des businessmen dans les établissements privés, plutôt que ceux qui ont comme sacerdoce un enseignement privé de qualité. Aujourd’hui, il y a des personnalités qui ont fait leurs preuves dans ce domaine ; il y a des écoles qui sont de véritables établissements d’enseignement privé qu’il faut promouvoir.

Le Saes avait fortement critiqué l’Université virtuelle du Sénégal (Uvs) à ses débuts ; aujourd’hui, est-ce que vous avez changé d’avis ?

Disons que notre proposition a évolué, mais cela ne veut pas dire que nous sommes pour l’Uv. Le Saes  a été toujours contre l’orientation des bacheliers dans une université virtuelle. Mais il faut dire qu’un Etat a une certaine souveraineté. Un Président a été élu, les Sénégalais lui ont confié les destinées de ce pays. Il a décidé, dans sa politique d’enseignement supérieur, de mettre en place ce qu’il appelle une université virtuelle. C’est sa responsabilité. Maintenant, le premier format que nous avions dans les Uvs était un format assassin pour les étudiants. On leur donne une clé et probablement un ordinateur et ils restaient chez eux. On ne se souciait pas de savoir s’ils avaient de la connexion, est-ce qu’ils avaient accès à l’électricité ou pas. Aujourd’hui, ils ont décidé de mettre en place ce qu’ils appellent des espaces numériques ouverts (Eno). Tant mieux, si ça permet à ces étudiants de l’Uvs de trouver un endroit où ils ont la possibilité de se connecter. Mais la position du Saes reste inchangée par rapport à l’orientation des bacheliers. Nous sommes pour que les étudiants soient orientés dans des universités physiques.

Maintenant, que l’université virtuelle ou que l’enseignement à distance soit un appoint par rapport à une catégorie d’études, surtout en masters et en doctorat. Mais pour ce qui est de la licence, nous sommes pour que les étudiants puissent être orientés dans des universités physiques. C’est une option du gouvernement, c’est sa responsabilité. Mais nous, en tant qu’acteurs sociaux, nous avions fait les démarches nécessaires et nous avions dit ce que nous pensons de l’Uvs d’une manière générale. Ce qu’il faut juste saluer maintenant, c’est la construction de ces espaces numériques ouverts qui permettent à ces étudiants de se retrouver dans des endroits où ils pourront avoir accès à internet.

Est-ce que c’est inquiétant que l’Uvs soit la deuxième université en termes d’effectifs ?

Ça va être la première université. C’est un puits sans fond. On peut y orienter tous les bacheliers. Aujourd’hui, c’est la deuxième université en termes de nombre. Elle va égaler peut-être l’université Cheikh Anta Diop, mais elle restera et pendant longtemps la deuxième université. Cela, c’est inquiétant dans la mesure où les pays qui se disent émergents ont des universités physiques, où les recherches sont faites, où des enseignements théoriques et pratiques sont effectués. Ce qui permet à ces étudiants d’être à la fois dans des situations théoriques et pratiques. Pour moi, l’Uvs ne doit pas être la deuxième université. Il doit juste y avoir des catégories d’enseignement qui soient dévolues à l’Uvs. Maintenant, comme je l’ai dit tantôt, c’est une option du gouvernement et il a la prérogative. Demain, c’est à eux de prendre leurs responsabilités  et de faire l’évaluation de cette politique. Ils feront face aux hommes et à l’histoire. 

PAR BABACAR WILLANE