Publié le 28 Aug 2015 - 19:40
MAMADOU KANE (EX-AMBASSADEUR DU SÉNÉGAL EN MAURITANIE)

“Des réalisations concrètes ont permis d’apaiser les relations entre les deux pays” 

 

SEM Mamadou Kane a été l’ambassadeur du Sénégal en Mauritanie, de novembre 2011 à juillet 2015. Au moment de quitter
la Mauritanie, le diplomate passe au peigne fin sa mission, en tirant un bilan “globalement positif ”. SEM Kane évoque les rapports entre le Sénégal et la Mauritanie. Mais également parle de la communauté sénégalaise et de l’état actuel des dossiers brûlants.

 

Au terme de votre séjour diplomatique en Mauritanie, quelle évaluation faites-vous de votre mission ?

Merci de me donner l’opportunité, à la fin de mes quatre années de mission diplomatique, de faire l’évaluation de mon passage à la tête de l’ambassade du Sénégal à Nouakchott. Disons que ce bilan peut quelque peu être mitigé. Mais, il faut reconnaître qu’il y a eu des avancées très significatives, depuis ma prise de fonction ici et aujourd’hui, dans la mesure où nous avons pu constater que les relations ont été boostées dans beaucoup de domaines. D’abord dans le domaine diplomatique, nos deux Chefs d’Etat se sont rendu des visites croisées, en 2012 et en 2013.

La commission mixte a tenu régulièrement ses sessions à Dakar comme à Nouakchott. Les comi- tés paritaires se sont aussi réunis dans les domaines sectoriels, comme dans la pêche, l’élevage, l’énergie, les transports etc. Pour dire que véritablement, tout se passe très bien entre la Mauritanie et le Sénégal. Cela, nous le devons bien sûr en grande partie à l’estime réciproque entre les deux Chefs d’Etat, à la grande amitié, mais aussi, au fait que les peuples mauritanien et sénégalais constituent un même peuple finalement, même s’ils sont dans deux Etats séparés et souverains. En outre, dans d’autres domaines, si l’on peut faire un bilan chiffré, nous avons pu faire des réalisations concrètes qui ont permis d’apaiser les relations entre les deux pays. C’est le cas de la pêche.

Quand je suis arrivé, c’était tout le temps des arraisonnements. Nos pêcheurs qui n’avaient pas un cadre juri- dique assez bien défini pour pêcher dans les eaux mauritaniennes le faisaient de façon clandestine et se faisaient arrêter, juger et emprisonner par les autorités mauritaniennes. Par la suite, nous avons négocié un accord qui satisfaisait les deux parties. Et en fin de compte, cet accord qui a été mis en œuvre permet de régler les problèmes d’arraisonnement. Pratiquement, depuis deux ans, on n’entend plus parler de ces contentieux. C’est pratiquement des relations apaisées dans ce domaine. De même, dans la transhumance, nous avons réussi à avoir un protocole d’accord qui satisfait les deux parties. C’est pareil dans le domaine de l’énergie et même dans les transports, on s’achemine vers un accord qui va satisfaire tout le monde.

Etre Ambassadeur en Mauritanie, un pays qui partage beaucoup de choses avec le Sénégal, mais dont les relations évoluent en dents de scie, n’est pas chose aisée. Comment avez-vous vécu la période des relations froides et quels mauvais souvenirs retenez- vous, au moment de votre départ ?

(Rires). Oui, il faut le dire, l’année 2012 a été une année extrêmement dif- ficile pour moi. Mais, disons-le, les choses se sont améliorées par la suite. Et il fallait aussi entreprendre des démarches ardues du côté des Affaires étrangères, du Ministère de l’Intérieur mais surtout de la Primature et de la Présidence pour parvenir à accorder les violons afin qu’on puisse dépasser les diffé- rences et harmoniser les positions. Il y a eu également un évènement malheureux qui a jeté un froid entre les deux pays. C’était celui de l’opposant mauritanien Moustapha Ould Limam Chavi (ex- conseiller de Blaise au Burkina Faso ndlr). Mais les choses se sont arrangées très vite et le Président Macky Sall, lors de sa visite à son ami et frère le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, s’est expliqué et ils se sont retrouvés et compris et depuis lors, les choses vont bien dans leurs relations.

Vous laissez un héritage difficile à votre successeur. Le dossier des cartes de séjour qui causent des ennuis à vos compatriotes. Où en êtes-vous avec ce dossier précisément ?

Merci beaucoup pour cette question pertinente. C’est vrai que l’Etat maurita- nien a décidé, de manière souveraine, d’instituer une carte de séjour. Mais il faut préciser que c’est une carte qui ne concerne pas seulement les Sénégalais, mais tous les étrangers vivant sur son sol. C’était pour la Mauritanie une question de sécurité pour lutter contre l’insécurité et l’immigration clandestine. Il y avait donc un justificatif pour cette loi sur la carte de séjour pour les étrangers. C’est vrai aussi que la carte de séjour avait un coût jugé exorbitant pour la majeure partie des Sénégalais vivant ici en Mau- ritanie et étant dans des conditions assez modestes. Pour ces raisons-là, ils se sont sentis visés, en disant que c’est une façon de se débarrasser d’eux. Mais en réalité, il n’en est rien. Il n’y a pas péril en la demeure. Nous avons voulu en faire de sorte que cette carte leur soit accessible et nous avons fait des démarches, en plaidant la faiblesse des moyens de nos compatriotes et qui sont majoritaires.

Le gouvernement mauritanien nous a compris et a fait quelques efforts, en décidant que les mineurs, les étudiants, les élèves seraient dispensés du paiement de la quittance de 30 000 Ouguiya (50 000 Fcfa). Ça, c’est un premier pas. Le deuxième pas, c’est pour le Sénégal en tout cas, aller vers la négociation d’un accord avec la Mauritanie qui permettrait justement à nos compatriotes d’être dispensés de cette carte ou tout au moins de l’avoir dans des conditions favorables et pri- vilégiées. Mais nous ne dés- espérons pas d’arriver un jour à faire en sorte que tous les Sénégalais puissent accéder à cette carte dont le coût pourrait être réduit ou la validité étendue à 3 ans voire 5 ans. On est en tout cas là-dessus et cela pourrait se résoudre à un niveau supérieur à celui de l’ambassade. Par exemple, au niveau gouvernemental et pourquoi pas au sommet ? Et je suis heureux de vous appren- dre que la prochaine commission mixte sénégalo-mauritanienne qui va se tenir à Dakar pourrait être présidée par les deux Premiers Ministres. En tout cas, c’est la demande de la partie mauritanienne et ce sera l’occasion de poser les préoccupations des Sénégalais par rapport aux conditions de séjour de leurs compatriotes ici en Mauritanie.

Une partie de la communauté vous accuse d’avoir un penchant politique en faveur de l’APR
du Président Macky Sall.
Votre argument ?

(Rires). C’est un peu me faire un procès d’intention. J’étais avec le Prési- dent Macky Sall avant que je ne vienne ici en Mauritanie. Mais en tant qu’ambassadeur, j’ai une posture républicaine. Mon ambassade, tout le monde le sait, ne fait pas de différence entre l’apparte- nance politique ethnique, religieuse ou autre ... Moi, ma porte est ouverte à tous les Sénégalais (il insiste). Et d’ailleurs, j’ai toujours plaidé pour que tous les Sénégalais, quelle que soit leur appartenance, se retrouvent. Qu’on puisse dépasser les clivages afin qu’on puisse gérer cette communauté. Il ne faut pas que la communauté soit divisée en clan politique, religieux ou autre. Donc, c’est ma philosophie et à chaque fois que des associations sont venues me voir, je leur disais qu’ils ont le droit de se retrouver par affinité. Mais au-delà, retrouvez-vous dans un cadre unitaire pour renforcer la solidarité et permettre à l’ambassade de vous gérer dans une certaine cohésion qui pourrait faire l’affaire de tous. Voilà ma conviction. Maintenant, que je sois APR (Rires), je ne le démontre pas en favorisant un parti politique contre l’autre. Pas du tout. Le jour où le PDS ou un autre parti voudrait me voir, ma porte a été toujours ouverte et je n’ai pas de problème là-dessus. C’est comme le dit très souvent le Président Macky, c’est “la patrie avant le parti”.

Vous organisez chaque mois de ramadan une journée de solidarité en faveur des détenus ou autres Sénégalais en détresse en collaboration avec la communauté. Vous êtes en fin de mission, est- ce que vous demanderez à votre successeur d’en faire de même ?

C’est vrai, cette journée est devenue un évènement de l’ambassade. C’est moi qui l’ai instituée et c’est une des tâches qui incombent à toute mission diploma- tique ou consulaire. C'est-à-dire l’assis- tance consulaire, judiciaire, carcérale que l’on doit aux Sénégalais. C’est normal. Maintenant, cette journée dédiée aux Sénégalais en détresse parmi lesquels les détenus, je crois que c’est un cas particulier de cette ambassade que je voudrais qu’elle soit perpétuée. Et c’est ce que nous demandent nos autorités ; de faire en sorte que les Sénégalais où qu’ils se trouvent puissent être assistés en cas de problèmes ou de nécessité. C’est le cas des détenus. Il ne faut pas qu’ils se sentent coupés de la commu- nauté ou abandonnés par leur Etat. Tant qu’ils sont sénégalais, ils bénéficieront de cette assistance à laquelle ils ont droit. C’est la raison pour laquelle, moi, je pense que même si je ne suis pas là, cette tradition doit se maintenir.

Vous êtes issue d’une famille maraboutique, la famille Kane de Sédhiou au Sud du Sénégal. Quelle vie après cette fonction, puisque vous allez à la retraite ? Le marabout, les œuvres de bienfaisances ou la politique ?

Je ne peux présager de rien. Moi, je me dis qu’après la fonction, la vie conti- nue. Mais, il y a une vie qui, elle, est éter- nelle. On ne peut pas être fonctionnaire éternellement, mais on peut être soumis à Dieu de façon éternelle. Donc, je conti- nuerai à faire ce que j’ai toujours eu à faire. Maintenant, s’il y a des sollicitations de l’administration ou des populations pour les aider à améliorer leur quotidien, je le ferai. D’ailleurs, je suis à la tête d’une association dénommée Centre Afro-arabe pour la promotion de l’éducation qui, chaque année, organise des journées de solidarité dédiées à des frères musulmans dans le besoin. Il s’agit de denrées alimentaires évaluées en millions de Fcfa que l’on octroie aux populations de la banlieue dakaroise et à des localités à l’intérieur du Sénégal. Pour le reste, je continuerai à me soumet- tre à Dieu et à continuer à prier.

Votre dernier mot ?

Je voudrais d’abord, à la fin de ma mission, remercier les autorités étatiques sénégalaises à la tête desquelles le Président Macky Sall pour la confiance qu’ils m’ont accordée pendant tout le temps que je suis resté ici en Mauritanie. Leur

soutien et leur appui ne m’ont jamais fait défaut pour me permettre de réussir ce que j’ai eu à réussir pendant cette mission diplomatique. Mais aussi remer- cier nos hôtes mauritaniens pour les faci- lités qu’ils nous ont accordées, pendant ce temps et qui ont été également déterminantes dans l’accomplissement de ma mission. Je voudrais évidemment au passage exprimer un salut appuyé au peuple mauritanien que j’ai eu à découvrir (je connaissais les boutiques de Maures à Dakar et autres). J’ai découvert un peuple très accueillant, très attachant et qui est également très hospitalier et avec lequel je me suis beaucoup familiarisé. Je n’ai qu’un seul regret aujourd’hui, c’est quitter ma seconde patrie pour rejoindre la mienne. Mais bon, ainsi va la vie dans la diplomatie.

PAR IBOU BADIANE (CORRESPONDANT EN MAURITANIE)

 

Section: