Le sociologue Mamadou Ndiaye, intervenant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, estime que les enfants qui volent ces sommes d’argent à leurs parents sont la résultante d’une déstructuration sociale interne et d’influences extérieures.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

On ne peut pas parler d’un événement sans faire référence au préalable à ce qui contribue à son avènement. Ces vols s’inscrivent dans un contexte. Des mutations socio-culturelles qui n’épargnent aucune société. Il faut analyser ce phénomène par rapport à une sphère beaucoup plus générale. On peut même adopter le proverbe américain : ‘‘Dieu reste au ciel, et l’argent sur terre.’’ Depuis l’avènement du capitalisme, l’argent a combattu toutes les divinités. Maintenant, c’est pour avoir de l’honneur, la reconnaissance sociale. Il faut se mettre à la quête de cette matière prestigieuse qu’est l’argent. C’est ce qui explique cette course effrénée, même pour des gens qui en disposent.  

A priori, ces garçons sont issus de familles argentées. Pourquoi subtilisent-ils ces fortes sommes d’argent à leurs parents ?

Je pense que l’influence joue un grand rôle. Je ne veux pas indexer les médias, mais ils véhiculent cette conception, cette manière de vivre des gosses qui veulent ouvertement s’inspirer des séries et clips américains. La série ‘‘Empire’’ illustre à merveille ce cas, puisque des jeunes d’à peine plus de quinze ans sont célébrés. Rouler en Rav4, ou dans des voitures beaucoup plus luxueuses, est devenu une tendance. Un enfant, c’est aussi l’éducation et le processus de socialisation qui l’a accompagné dans sa croissance. L’origine de ces vols est à chercher dans les deux paramètres.

Est-on en train d’inculquer à ces enfants les modes de vie occidentaux ? La société a sa part de responsabilité. Il y a le passage de la communauté à la société. Auparavant,  nous vivions dans une société où il y avait de fortes instances de socialisation. Il y avait des lois sociales contraignantes. Voler ses parents 5 ou 10 F Cfa relevait de l’inimaginable. Maintenant, les parents n’ont plus le temps et les médias sociaux prennent le relais. L’éducation passe maintenant par la nouvelle instance de socialisation que sont les réseaux sociaux. Maintenant, l’authenticité sénégalaise ou africaine n’existe plus. Ce qu’il y a, c’est un citoyen du monde. Il y a une uniformisation des modes comportementaux, de pensée, pour le jeune africain, le jeune indien, le jeune européen, etc. Il y a une culture universaliste qui a éclipsé certains aspects de nos cultures qui étaient malléables.

Que cache cette symbolique du luxe : virées dans les boîtes de nuit huppées, nuitées dans les suites à l’hôtel, séjour dans les stations balnéaires...?

Je qualifierais cette symbolique d’involution. Si l’évolution est un changement marquant un progrès, l’involution est un changement marquant une détérioration. C’est le culte de la médiocrité et du luxe qui est promu : acheter des Rav4, des Hummer ; inviter des filles de joie, aller à des beach-party entrent dans le cadre de cette involution. La préoccupation des jeunes, c’est la ‘‘Game culture’’, la culture de l’amusement.