Publié le 18 Jul 2018 - 22:52
MAMADOU NDIONE (RESPONSABLE APR ET DG DU COSEC)

‘’Il ne faut pas faire dire à la Cour de justice de la CEDEAO ce qu’elle n’a pas dit’’

 

Responsable politique du parti présidentiel à Diass, Conseiller départemental à Mbour, Mamadou Ndione aborde dans cet entretien avec EnQuête toutes les questions de l’heure. L’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao sur l’affaire Khalifa Sall, la sortie du magistrat Yaya Amadou Dia sur le dossier Karim Wade, cacophonie à l’Alliance pour la République… le Directeur général du Cosec charge tout.

 

Suite aux déclarations du Procureur général et la dernière sortie de Moustapha Cissé Lo qui est le président du Parlement de la CEDEAO, est-ce que le régime n’est pas aujourd’hui dans l’embarras par rapport à l’affaire Khalifa Sall ?

Ce dossier concerne six de nos compatriotes que sont Madame Fatou Traoré ainsi que les sieurs Khalifa Ababacar Sall, Mbaye Touré, Ibrahima Yatma Diao, Amadou Moctar Diop et Yaya Bodian. Il s’agit d’un dossier déjà jugé et actuellement en appel dans les juridictions souveraines du Sénégal. Entre-temps, il y a eu un arrêt de la cour de justice de le CEDEAO qui a traité de plusieurs demandes ou prétentions des requérants. Au bout du compte, les six requérants qui demandaient 50 milliards de F CFA doivent se partager entre eux 35 millions de F CFA à titre de réparation  comme précisé à la page 53 de l’arrêt. Dans le même arrêt, la cour de justice de la CEDEAO précise toujours à la page 53 qu’elle ‘’déboute les requérants du surplus de leurs prétentions’’. Parmi ces prétentions, il y avait entre autres à la page 13 de l’arrêt une demande de libération immédiate des requérants  que la cour de justice de la CEDEAO a rejetée. Une application de l’arrêt signifierait certainement leur verser 35 millions pour réparer certains préjudices sans libération puisqu’au fil des 53 pages du document, il n’y a aucune ordonnance de libération. Dans leurs propos, le procureur général et le Président du Parlement de la CEDEAO n’ont pas, à ce que je sache, demandé la libération des six inculpés.

Ne pensez-vous pas que l’Etat devrait libérer le maire de Dakar pour ne pas avoir sur son dos l’organisation communautaire ?

Ce n’est pas l’État au sens exécutif du terme qui libère. Ce dossier est en appel devant les juridictions du Sénégal. Une décision de la Cour de la CEDEAO qui déboute les requérants sur plusieurs points, notamment la demande de libération immédiate par la Cour de Justice n’est pas à la faveur des inculpés. Il y a sur des questions de fond un rejet des prétentions des requérants. Je peux en citer par exemple la demande de libération immédiate dont j’ai parlé tout à l’heure, la violation supposée du droit à faire appel à des témoins, la prétendue atteinte au droit à l’égalité des citoyens devant la loi et la justice, la prétendue violation des droits politiques, la supposée violation de la procédure de levée de l’immunité parlementaire. Sur toutes ces questions, ils ont été déboutés. Ecoutez, je crois qu’il ne faut pas faire dire à la cour de justice de la CEDEAO ce qu’elle n’a pas dit. L’organisation communautaire sait bel et bien ce qu’a dit l’arrêt et ce qu’elle n’a pas dit.

Au moment où la majorité peine à parler le même langage, l’opposition tente, elle, de se mobiliser. N’est-ce pas là un risque pour le camp présidentiel ?

Dans le camp présidentiel, il n’y a pas à ce jour, à ce que je sache, une seule voix qui ait demandé la libération des six requérants. Demander l’application de l’arrêt ne signifie pas une libération puisque l’arrêt ne le dit pas sur une seule phrase dans les 53 pages de la décision disponible en ligne et que chacun peut librement consulter.

L’autre affaire brûlante de l’actualité, c’est l’éligibilité de Karim Wade. Que pensez-vous de la dernière sortie du juge Yaya Amadou Dia (ancien membre de la Crei) qui a déclaré que rien n’empêche le fils de l’ancien président de la République de se présenter à la prochaine Présidentielle ?

Le juge Dia est en disponibilité. Il a fait une sortie digne d’un avocat de Karim Wade. C’est son droit de prendre la plume de l’avocat pour démontrer. Est-ce son devoir eu égard à sa position de magistrat ? Ses collègues apprécieront cette forme nouvelle d’expression publique de juges sur des dossiers que leurs collègues seront appelés à traiter. Dans son argumentaire, le juge Dia a fait fausse route. Il évoque l’article 23 du code pénal, pour écrire que seule la condamnation à une peine d’emprisonnement criminelle emporte la dégradation civique. L’adjectif  seul  n’est pas dans l’article 23 du code pénal. C’est le juge Dia qui l’a ajouté.

L’article 23 dit ceci : la condamnation à une peine criminelle emportera la dégradation civique. Il n’y a pas de ‘’seul’’  dans cet article qui évoque une disposition qui n’est pas exclusive d’autres règles de dégradation civique qui existent dans le code électoral sous forme par exemple de conditions d’exercice du droit de vote. Son candidat est sous le coup de l’article 31 du code électoral qui refuse l’inscription sur les listes électorales à plusieurs individus dont ceux condamnés en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement . Karim en avait pris pour six ans et le juge Dia le sait bien. Le reste n’est que prise de position politique publique inélégante vis-à-vis des autres collègues juges appelés un jour à traiter de ces questions. La magistrature, c’est la solennité et la mesure à toute épreuve.

Ces différentes polémiques ne risquent-elles pas d’entamer l’image du Sénégal aux yeux de la communauté internationale ?

Le Sénégal est un pays de droit qui suscite jalousie et convoitise depuis les importantes découvertes pétrolières et gazières. Nos concitoyens doivent savoir que beaucoup de pays et de lobbies feront tout pour nous mettre des bâtons dans les roues. C’est à nous d’être costauds et vigilants pour que force reste à la loi dans la paix et la concorde. Ceux qui veulent brûler ce pays peuvent déchanter. Le Sénégal a des ressorts culturels, démocratiques, politiques et sécuritaires assez solides.

Vous êtes du département de Mbour où des populations réclament le départ de l’entreprise Auchan. Que pensez-vous de cette controverse autour de l’implantation de la société française ?

Quand j’étais enfant, je me souviens de Sahm Priba créé à l’époque par feu Ndiouga Kébé et du réseau Sonadis. Nous suivons le débat sur Auchan avec intérêt et nous pensons que le plus important est dans la nécessité pour nos opérateurs économiques d’unir leurs capacités pour créer de grands groupes anonymes dépassant le cadre de l’entreprise familiale. C’est la meilleure des solutions à mon avis pour faire jeu égal avec les grands groupes. Pour le reste, je me garde d’émettre un jugement sur un dossier sans en avoir toute la teneur. Je sais que notre secteur privé est assez dynamique pour trouver une réponse économique  qui puisse prendre en compte tous les aspects.

Il y a également les aviculteurs qui protestent contre l’implantation du géant marocain Zalar à Sandiara. Cela n’est-il pas une menace pour ceux qui s’activent dans ce secteur ?

Je n’ai pas bien suivi le dossier sur l’implantation de Zalar à Sandiara. Je réserve ma réponse le temps de m’enquérir un peu plus du dossier. Ce que je sais, c’est que le Sénégal a des atouts dans la production avicole dans l’espace CEDEAO avec ses 300 millions de consommateurs. Nous avons une aviculture industrielle très dense à côté d’exploitations familiales de base locale que l’État encourage par une politique incitative. Le Chef de l’État et son gouvernement travaillent ardemment dans ce sens.

On parle beaucoup des transports routier, aérien et même ferroviaire, mais très rarement du maritime. Pourquoi ce statu quo alors qu’il fut un temps où l’on parlait beaucoup des bateaux taxis ? Qu’est devenu ce projet ?

Les bateaux taxis sont d’une époque lointaine et ils ont été juridiquement cédés, avant ma nomination au Conseil sénégalais des chargeurs (COSEC), à des communes du pays dans une perspective de transport fluvial. Le Sénégal est un des rares pays de la sous-région à avoir un armement national à travers COSAMA SA dans lequel le COSEC est actionnaire. Notre pays a des navires de passagers notamment sur les axes Dakar-Gorée et Dakar-Ziguinchor.

Cette année même, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, nous sommes en train de faire sortir 50 000 tonnes de noix d’anacarde de nos régions Sud vers l’exportation à partir du port de Ziguinchor en transbordement via Dakar. Les travaux de réception du quai et du ponton de Rufisque sont très avancés pour un démarrage de la liaison Dakar-Rufisque et nous travaillons avec d’autres partenaires sur d’autres projets importants comme la liaison Dakar-Mbour, sans compter ce que nous envisageons au niveau des autres ports secondaires comme Saint-Louis et Kaolack, Foundiougne, Dakhonga. Le transport maritime est une priorité et nous comptons avec tous les acteurs publics et privés apporter notre pierre à l’édifice. 

Par Mor Amar

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