Publié le 5 Jul 2018 - 03:08
MAMADOU OMAR BALDE, GOUVERNEUR REGION MATAM

‘‘La situation était très préoccupante’’

 

Pour cet administrateur civil, le pire est en train d’être dépassé. Le gouverneur de la jeune région du nord-est du Sénégal rejette le vocable de ‘‘famine’’, pour la vulnérabilité dont ‘‘sa’’ circonscription fait preuve. Il en profite pour détailler le plan de riposte et se montrer optimiste pour la prochaine campagne.

 

On parle de famine, d’insécurité alimentaire, de malnutrition. Quel est le cas qui sied le plus pour Matam ?

C’est l’insécurité alimentaire dans certaines poches de notre région.

Pour quantifier le phénomène, peut-on avoir une idée de ces ‘‘certaines poches’’ ? Combien sont-elles ?

Pas facile de dire qu’il s’agit de tant de poches d’insécurité alimentaire, mais elles sont dans les trois départements.

Lequel est le plus touché ?

Selon les dernières études en notre possession, c’est le département de Ranérou.

Quelles sont les causes identifiées de cet état de fait ?

 L’année dernière, la région a connu une conjonction d’aléas. D’abord, nous avions eu une saison de pluies particulièrement déficitaire. A cela s’est greffée la baisse drastique du niveau du fleuve Sénégal pour la région. Ce qui a empêché les cultures de décrue, qui sont un élément important dans notre dispositif céréalier. La troisième raison était liée au péril aviaire. C’était assez grave, car des oiseaux d’un nombre extrêmement important étaient présents dans les champs et les aménagements. Ils ont dévoré une partie de la production agricole. Ces trois phénomènes conjugués avaient constitué un sérieux problème pour les producteurs et les agriculteurs de la région, et par-delà, tout pour nous autorités en charge du développement de la région.

Quel a été le plan de riposte ?

Après les rapports de nos différents services techniques, nous avons procédé à une évaluation de la situation qui s’est faite de manière inclusive au cours d’un très grand conseil régional de développement (Crd). Le plus important depuis notre arrivée à la tête de la région.  Il a réuni les producteurs, les collectivités locales dépositaires de la confiance de ces populations, les services techniques, les projets et programmes, et les autorités administratives en charge de la conduite des politiques publiques dans la région. Quand nous avions fait le point, nous sommes parvenus à la conclusion que la situation était très préoccupante, au vu des trois causes. A partir de ce moment, il fallait réagir. Le premier élément a été d’indiquer aux populations qu’elles ne seraient pas laissées seules, que l’Etat allait prendre ses responsabilités.

Nous avons élaboré un plan de riposte articulé autour de quatre points. D’abord, agir au niveau de l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (Omvs) pour que des lâchers d’eau soient obtenus à partir du barrage de Manantali, afin que le fleuve retrouve sa hauteur normale. Ensuite, nous avons demandé au ministre de l’Agriculture de nous accorder un programme spécial en céréales à court cycle pour permettre de faire face au gap céréalier. Nous avons demandé, enfin, des mesures de soutien aux familles qui risquaient de connaitre des problèmes de récolte. Sur les trois points, nous avons été suivis. Nous avons reçu le commissaire de l’Omvs, ici à Matam. Une première. Après les visites, la décision a été prise de procéder aux lâchers pour que le fleuve retrouve son plan d’eau habituel. Le gouvernement nous a envoyé des semences de céréales de cycle court pour combler le gap. Le soutien aux populations s’est traduit par des mises en place d’importantes quantités de riz sur l’ensemble des 26 communes de la région. Tous les ménages recensés comme démunis ou défavorisés ont reçu cet appui de l’Etat. Cela s’est fait dans une grande transparence. Nous nous sommes impliqués nous-mêmes pour éviter une déperdition de ce soutien. A l’heure où l’on parle, aucune réclamation ne nous est parvenue. Les services techniques et les organismes qui nous avaient accompagnés ont fait le travail conformément aux orientations.

Un appui financier a également été assuré aux populations. D’abord, par le biais du cash-money, un transfert d’argent de 45 mille F Cfa par famille. Ces montants ont dépassé les 300 millions pour les départements de Ranérou et Matam.

De manière résumée, je tiens à redire qu’il n’y a jamais eu de famine à Matam, même si une certaine presse s’est empressée de l’annoncer. Le gouverneur que je suis tient à dire qu’il a toujours recadré et reprécisé les Ong. Il ne s’agissait pas de famine. Ces trois aléas qui nous ont surpris au cours de la saison ont conduit à des poches d’insécurité alimentaire dans certaines régions.

Il faut prendre en compte que nous sommes une région à fort taux d’immigration, qu’on ne compte pas uniquement sur l’agriculture. Ce qu’il faut noter, pour s’en féliciter, est que les immigrés matamois n’ont jamais abandonné leurs familles. Que les situations soient favorables ou défavorables, l’assistance des familles par leurs enfants à l’extérieur a toujours été une constante.

Les gens cèdent leur bétail pour avoir de l’argent et acheter des denrées. Est-ce que vous supervisez les ‘‘louma’’ pour éviter toute spéculation en défaveur des vendeurs ?

Nous avons effectivement constaté cela. Tous les bulletins de renseignements qui nous sont parvenus ont attesté de cette hausse drastique du prix de l’aliment de bétail qui doit être acheté par les éleveurs. Mais notre pays s’est inscrit dans la libéralisation, un domaine dans lequel l’autorité régionale n’a pas de pouvoirs, de compétences pour fixer les prix.

Par ailleurs, nous avons tendance à ne penser qu’à l’homme, lorsqu’on présente les cas d’insécurité alimentaire. Je dois avouer que le bétail a souffert de cette situation, car l’absence d’un hivernage pluvieux impacte sur le pâturage et la nourriture du bétail, sur la constitution de mares qui sont des abreuvoirs. Nous avions fait un rapport circonstancié adressé au ministère de l’Elevage qui a réagi favorablement. J’ai récemment réceptionné 300 tonnes d’aliments de bétail en guise de soutien du gouvernement à la région, en raison de 100 tonnes par département. Au moment où je vous parle, les commissions sont en train de les distribuer aux éleveurs pour passer cette période difficile en attendant la levée des premières herbes, suite aux premières pluies déjà notées.

Quelle est la périodicité d’un tel phénomène ?

Pour moi, c’est exceptionnel, car je suis à la tête de cette région depuis 2015. C’est la première fois que j’ai traversé cette situation difficile avec les producteurs et les éleveurs.

Que donnent les projections pour la prochaine campagne, celle de cette année ? Sont-elles plus optimistes ou pessimistes que celles de 2017 ?

Cette fois, nous n’aurons pas de problèmes avec le fleuve, son niveau est à la normale. Il peut même être favorable et permettra les cultures de décrue pour les populations installées tout le long de la vallée. Un effort important a été fait par la Saed pour réhabiliter l’ensemble des aménagements qui sont en difficulté. A cela s’ajoute l’aménagement d’un projet indien avec 5 600 hectares dans les départements de Matam et Kanel. Nous avons un engagement ferme des producteurs, à l’issue du Crd qui s’est tenu il y a une semaine, d’emblaver le plus grand nombre de superficies pour la saison hivernale. Nous avons acquis un important lot de matériels dans les programmes précédents, mais le dernier programme de dotation de matériel indien a affecté 40 tracteurs à la région avec l’ensemble des instruments qui vont avec pour tout rendre fonctionnel. C’est en toute objectivité, mais aussi avec espoir, que je dis que cette année sera plus optimiste que l’année précédente.

Les 3 sur-priorités du gouverneur

En marge de l’interview sur l’insécurité alimentaire, le gouverneur de la région a insisté sur les trois ‘‘sur-priorités de l’administration’’ de l’équipe dont il est à la tête. ‘‘Le suivi rigoureux de ce projet rizicole du chef de l’Etat pour l’autosuffisance alimentaire. La deuxième est de veiller à la stabilité de la sécurité et de la paix le long de la frontière avec la République islamique de Mauritanie. La troisième est de veiller à hisser la région à un niveau d’indicateur dans le domaine de l’éducation pour préparer nos ressources humaines dans les décennies à venir’’.

OUSMANE LAYE DIOP

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