Publié le 21 Jun 2019 - 13:47
MANIFESTATIONS CONTRE LA CORRUPTION PRESUMEE AFFAIRE PETRO-TIM

Sonko tente d’instaurer un rapport de force  

 

Le gouvernement dans les cordes, dans l’affaire Petro-Tim, Ousmane Sonko tente d’instaurer un rapport de force pour que la révélation de ce scandale par la Bbc aboutisse à une judiciarisation. Il appelle les Sénégalais, les jeunes notamment, à se mobiliser pour que cette affaire ne passe pas par pertes et profits.

 

La communication du camp d’en face a donné la cravache et prêté le flanc pour se faire battre. Et quand c’est son adversaire le plus coriace qui tient la férule, ce n’est pas que candeur et douceur. En conférence de presse hier, Ousmane Sonko, Président du parti Pastef-les-patriotes, ne s’est pas privé, d’abord, de brocarder, actualité oblige, les couacs dans les arguments de défense du gouvernement.  

‘‘C’est très difficile de garder une cohérence dans le mensonge’’, a-t-il déclaré, suite à la sortie d’El Hadj Kassé sur Tv5, renvoyant les autorités à toutes leurs contradictions, depuis l’éclatement de cette affaire. Les tiraillements du camp du pouvoir sont à son avantage, mais le leader estime ne pas avoir de temps à perdre avec eux. Soit !

Il s’est surtout préoccupé du fait que les Sénégalais doivent être exigeants avec ce qui apparait ‘‘être le plus grand scandale’’ politique et financier du pays. ‘‘Nous disons que c’est au peuple sénégalais d’assumer sa responsabilité, aujourd’hui. Particulièrement cette jeunesse sénégalaise qui souffre et n’a d’autre alternative que de prendre l’océan ou d’être conducteur de moto-Jakarta. L’enjeu fondamental est là’’, déclare-t-il.  Ou encore plus intense : ‘‘Il faut que le peuple sénégalais sorte. Pacifiquement ! Mais si on veut nous refuser le droit élémentaire que nous confère la Constitution, c’est-à-dire le droit de nous rassembler et de marcher, il faut refuser et faire face. Mais il faut que le peuple fasse pression sur Macky Sall, jusqu’à ce qu’il prenne les mesures idoines’’, exhorte-t-il.

Rien n’a été oublié. La référence à la Révolution française de 1789, les millions de Hongkongais qui défient et défilent quotidiennement contre le projet de loi d’extradition en Chine continentale, les Soudanais et les Algériens qui exigent, en dehors de leurs présidents déjà démis, le changement de système qui les gouvernent, depuis des décennies... Ousmane Sonko estime que l’heure n’est plus aux palabres, puisque tout ce qui pouvait être dit sur cette affaire l’a déjà été.

‘‘Ce combat, c’est la mère des combats. On a assisté à toutes sortes de scandales, depuis l’indépendance, mais un tel, de cette envergure, on ne l’a jamais atteint. C’est le moment de mener la mère des batailles’’, avance Ousmane Sonko, appelant les Sénégalais à se mobiliser et massifier davantage ; mieux que la manifestation de vendredi dernier. Il a minimisé le retrait médiatisé de l’imam Makhtar Kanté de la plateforme Aar Li Nu Bokk, l’une des identités remarquables, en invoquant le libre choix de ce dernier.

Sonko sur Macky : ‘‘Ce qu’il a fait, c’est de la haute trahison. J’insiste !’’

Finalité de cette mobilisation ? Que les principaux accusés répondent de leurs actes. Le député de l’opposition a dénoncé la corruption ainsi que tous les délits qui lui sont voisins. Prise d’intérêt illégal, fraude fiscale d’envergure, concussion, délit d’initié... La liste de Sonko est longue et il estime que Macky Sall doit enclencher ‘‘une procédure contre son frère’’. Mieux, ou pire, Ousmane Sonko est d’avis que c’est la responsabilité directe du chef de l’Etat qui est engagée et qu’à ses yeux, il est déjà coupable, en ignorant les intérêts supérieurs du Sénégal, au point que Frank Timis accapare des redevances aussi mahousses de la manne gazière.  

‘‘C’est gravissime, les 10 milliards de redevance. Un homme qui n’a fait aucun effort au Sénégal et qui va se retrouver à percevoir, à lui tout seul, plus que 15 millions de Sénégalais réunis. C’est inadmissible ! C’est le crime fondamental de Macky Sall (...) Ce qu’il a fait, c’est de la haute trahison. Il devait être jugé pour ça. Macky Sall a lourdement fauté et il l’a fait sciemment. C’est pour cela que c’est de la haute trahison. J’insiste !’’, vitupère le leader de Pastef-les-patriotes.

S’il est convaincu que seule la judiciarisation doit être la suite logique des révélations, Ousmane Sonko ne se fait pas d’illusions sur la capacité de la justice sénégalaise à traiter cette affaire. ‘‘Pas tant que Macky Sall et son procureur politique sont là’’, pense-t-il.

D’ailleurs, l’entrée en scène du chef du parquet, Serigne Bassirou Guèye, dans cette affaire, ‘‘rentre dans une stratégie de diversion’’, selon lui. Après le manque de réaction de ce dernier, suite à leurs échanges épistolaires, Sonko s’étonne du regain d’activité du parquet et ironise sur la méthode du procureur de la République pour faire la lumière. ‘‘Nous avons vu un procureur politique qui était dans son meeting et qui, dans la stratégie de diversion du pouvoir, essaie de créer de fausses pistes. Depuis quand a-t-on vu procureur faire appel à témoins, alors qu’il ne dit pas quel est le crime qui a été constaté ? Ils disent qu’il n’y a pas de crime, alors ils appellent à témoigner sur quoi ?’’, se demande-t-il. 

Préjugé défavorable sur la justice sénégalaise ? En tout cas, le troisième à la dernière présidentielle a vite fait de faire remarquer qu’à l’éclatement de cette affaire, ‘‘certains n’ont plus mis les pieds aux Etats-Unis, depuis 2016’’.  Dans ce pays, le Foreign Corruption Practices Act (Fcpa), la Bribrey Act en Grande-Bretagne et même la Loi Sapin en France sont, d’après Sonko, des législations assez dissuasives qui expliquent que les personnes citées dans cette affaire préfèrent zapper ces pays.

En tout état de cause, il a demandé à Serigne Bassirou Guèye de prendre ses responsabilités. ‘‘Dans ce cas, les auteurs ont été identifiés. Il s’agit d’Aliou Sall, d’Aly Ngouille Ndiaye, de Macky Sall lui-même. Le procureur, ce qu’il a à faire, indépendamment de l’obstacle que peut constituer l’immunité, est de convoquer ces gens, les entendre et les déférer, parce qu’ils ont gravement fauté’’, a-t-il déclaré.

Bp rappelé à ‘‘sa turpitude’’

Ce ne sont pas seulement les personnalités locales qui se trouvent dans l’œil du cyclone médiatique que Sonko a interpellées. Il s’en est également pris à la responsabilité des sociétés étrangères citées dans l’enquête de la Bbc, à savoir Kosmos Energy et Bp. Selon lui, des avertissements clairs ont été faits au major britannique, en juin 2017, par le Collectif sénégalais pour le recouvrement des avoirs pétroliers et gaziers, que les actifs qu’il s’apprêtait à racheter (une partie des parts de Kosmos et une partie des parts de Timis) ‘‘avaient été obtenus frauduleusement’’. Pour lui, Bp a fait fi de cet avertissement et s’est tout de même engagé.

Quant à la junior américaine Kosmos Energy, elle a signé en connaissance de cause, puisqu’elle a exigé, selon Sonko, qu’Aliou Sall soit retiré des négociations à Londres, car conscient du degré de responsabilité du frère du chef de l’Etat. Pour lui, le Sénégal veillera à ce que les malédictions des ressources naturelles ne lui tombent pas dessus et les exemples norvégien ou qatari doivent être reproduits.

‘‘Ces entreprises, nous allons les poursuivre. Si elles pensent que le Sénégal sera le Congo ou le Gabon ou je ne sais quel autre pays, elles se trompent. Les ressources du Sénégal profiteront d’abord aux Sénégalais, car on en a plus besoin. Il faut que ces multinationales comprennent que l’Afrique qu’elles connaissaient n’est pas cette Afrique-là et que notre génération ne peut pas continuer à laisser faire’’.

Le président de Pastef va même plus loin, en prônant une révision complète de tous les secteurs de l’industrie extractive sénégalaise. Contrairement au ministre-conseiller El Hadj Kassé qui a avancé l’impossibilité de renégocier les contrats sur le plateau de Tv5, Sonko pense et exige la ‘‘renégociation totale, entière et complète de l’ensemble des contrats léonins qui ont été signés dans le domaine du pétrole et du gaz, dans le domaine du zircon, de l’or, du fer, des ressources halieutiques. Ça nous permettrait de multiplier le budget du Sénégal du simple au quintuple, en moins de cinq ans. Ce sont là les enjeux’’, explique-t-il.

Dans l’immédiat, la solution est d’engager les vraies réformes en profondeur, car ‘‘le Code pétrolier laisse trop de pouvoirs au ministre de l’Energie. Dans le régime hybride que nous appliquons, le ministre peut s’enfermer et faire ce qu’il veut. Avec ce système, le niveau de corruption sera inimaginable, parce que très peu de Sénégalais peuvent résister à la tentation des milliards. Les investisseurs, on le sait tous, ne passent pas par quatre chemins’’, conclut-il. 

OUSMANE LAYE DIOP

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