Publié le 8 Aug 2012 - 22:59
MANSOUR CAMA, PRÉSIDENT DE LA CNES

‘’La préférence nationale, ce n'est pas choisir les Sénégalais de manière inéquitable’’

 

Le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES) accepte, pour EnQuête de faire un tour d’horizon de l’actualité politique et économique. Dans cet entretien, Mansour Cama, sans langue de bois, aborde la question des audits de l’ARMP, la concession du King Fahd qu’il trouve ‘’léonine’’, l’augmentation du prix de l’électricité ou la taxe de 5% sur le chiffre d’affaires des entreprises minières. Sans oublier la politique avec une position ‘’ferme’’ sur le Sénat ‘’à supprimer’’.

 

 

M. Cama, vous êtes membre du Comité national des assises. Aujourd’hui après 4 mois d’exercice de ce pouvoir par rapport à l’application de ces conclusions, qu’est-ce que vous avez à dire ? Sommes-nous sur la bonne voie ?

 

 

Nous sommes sur la bonne voie. Quand le président Macky Sall s’est installé au Palais de la République en tant que président, il a eu le souci d’échanger avec nous et de recevoir le directoire des Assises et c’était pour examiner les modalités de mise en œuvre des conclusions. Donc, nous n’avons pas de doute sur la volonté du président de la République de respecter son engagement de mettre en œuvre les conclusions des assises. Maintenant, il y a beaucoup de débats autour de quelques questions.

 

 

Qui sont quand même fondamentales…

 

 

Je pense que toute question qui va vers la rupture par rapport à des pratiques qui avaient cours avant, est une question essentielle. Nous sommes aussi restés sur notre position de vigilance en tant qu’Assises nationales. Lorsque nous nous sommes réunis samedi dernier, dans le cadre du Comité national de pilotage, nous avons abordé toutes ces questions.

 

 

Et vous en êtes arrivés à quelles conclusions ?

 

 

Sur la question du Sénat, les Assises nationales maintiennent le principe, tel qu’il a été édicté dans nos conclusions et dans nos travaux. C'est-à-dire qu’il est une structure inutile et coûteuse, en l’état actuel. Et donc nous, nous sommes pour sa suppression. Est-ce que le président de la République va supprimer le Sénat ? Il semble que non. Nous retenons que nous avons, au niveau des Assises, dit qu’il faut supprimer le Sénat.

 

Et dans ce cadre que feraient les Assises?

 

Le débat est peut-être plus compliqué que cela puisque les politiques, j’entends certains parmi les parties prenantes des Assises, vont dans le sens de son maintien.

 

Donc, ils font du wax waxeet ?

 

Ils disent qu’ils ne font pas du wax waxeet. Ils restent toujours sur cette position mais ils considèrent que les choses n’ont pas évolué dans un sens aussi négatif qu’on pourrait le dire et que ce que nous voulons mettre à la place du Sénat, ils sont d’accord. D’autres défendent la thèse selon laquelle, la Constitution actuelle, promulguée par Abdoulaye Wade, a toujours cours et au nom de cela, pour pouvoir changer les choses, il faudrait peut-être bâtir une nouvelle constitution et la faire adopter par un référendum. Ce qui fait partie d’ailleurs du programme des assises. Donc, je dirais que devant la complexité de cette question, les Assises restent opposées, au plan du principe, à l’idée du maintien du Sénat. Maintenant, le président de la République et certaines parties prenantes des Assises semblent tirer dans une autre direction pour maintenir un statu quo, même si on annonce qu’on va modifier la manière dont les gens sont nommés au sein du sénat. En tout cas, sur le plan du principe et de la position, nous restons fermes.

 

 

Et qu’en est-il du président de la République chef de parti ?

 

 

Là aussi, nous avions enregistré, de la part de M. le président de la République, une position qui nous a paru plus honnête compte tenu des circonstances. Il ne nous a pas caché que son parti était nouveau et qu’il venait d’être élu à la tête du pays et qu’on allait vers des élections législatives. Nous avons enregistré sa position comme étant une position qui allait évoluer pour rejoindre celle des Assises mais qui semblait être une sorte de transition pour permettre à celui qui a été élu de gérer toute cette situation. Ce qui est normal car après tout, c’est lui qui a été élu. Donc, nous ne sommes pas gênés sur ce plan-là. Nous pensons que d’ici quelques mois, on devrait voir un peu plus clair sur cette question.

Il demeure certains points sur lesquels nous avons attiré l’attention et nous allons encore les reprendre dans le cadre de la commission nationale. C’est l’appel à candidature en ce qui concerne les charges publiques. Il est important et impératif que cette question soit prise en charge le plus rapidement possible.

 

 

Mais comment concilier cela face à la real politik qui rattrape un homme au pouvoir ? Ne sommes-nous pas dans une situation où les Assises étaient de belles intentions et que son application devient difficile ?

 

 

Non ! Nous sommes persuadés que même si certaines conclusions des Assises ne sont pas appliquées aujourd’hui, elles le seront tôt tard. L’avenir appartient à la bonne gouvernance, à la transparence et au respect de l’éthique. On ne peut pas développer le Sénégal si nous ne passons par là. On ne peut pas évidemment faire des choses dans le vide. Nous avons une rupture à opérer. Est-ce qu’elle peut être opérée brutalement ou est-ce qu’elle peut passer par une sorte de transition ? Nous sommes persuadés que tôt ou tard, les conclusions seront appliquées. Nous sommes conscients que certaines sont applicables dans un délai de court terme (12 mois), d’autres passeraient dans un délai de moyen terme (2 ou 3 ans) et enfin d’autres qui peuvent même dépasser le mandat de Macky Sall. Nous n’avons aucune illusion par rapport à la complexité de certaines questions. Mais, nous appliquerons ces conclusions et nous le ferons appliquer sans naïveté aucune parce que nous savons que nous avons affaire à des politiciens et à des politiques. Et je reste persuadé que le président Macky Sall comprend parfaitement tout l’intérêt qu’il a à s’inspirer de plus en plus des conclusions des Assises. Pour qu’il puisse être à l’aise dans le choix des gens, en ce qui concerne un certain nombre d’orientations (politiques, économiques ou institutionnelles), s’appuyer sur les Assises lui permet, tout en tenant compte de la real politik, de gérer des situations et des relations qui sont issues d’alliances qu’il a bâties dans l’exigence de conquérir le pouvoir. En s’appuyant sur les Assises, il aura beaucoup plus de marge de manœuvre qu’il n’aurait s’il ne s’appuyait que sur ces alliances.

 

 

Pensez-vous que la rupture demandée par le peuple sénégalais sera au rendez-vous avec cette nouvelle Assemblée nationale ?

 

 

Absolument ! D’abord je pense qu’il ne faut pas aller vite en besogne. Premièrement, c’est de nouveaux élus même si certains sont là depuis longtemps et qui ont blanchi sous le harnais de la politique. Deuxièmement, l’une des plus grandes ruptures était quand même l’intrusion du citoyen dans le jeu politique et dans la démocratie. Aujourd’hui, les gens ont conscience qu’ils ne peuvent pas faire toujours n’importe quoi parce que des citoyens sont plus vigilants sur ces questions. Si à l’Assemblée nationale, le jeu de la démocratie n’est pas respecté, les citoyens seront tentés de refaire ce qu’ils ont fait le 23 juin 2011. Le 23 juin, les citoyens se sont rassemblés pour dire non à une Assemblée nationale qui était sur le point de voter une loi inique. Est-ce que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets ? Il faut faire très attention au fait que la rupture marche et que la participation citoyenne dans le jeu de la démocratie va être le tournant majeur à une rupture politique de notre pays.

 

 

Cette rupture politique, c’est aussi le respect du calendrier institutionnel. Mais voila 4 mois que le Premier ministre est installé mais il tarde toujours à faire une déclaration de politique générale…

 

 

Je dois dire que personnellement, ça ne m’a pas gêné que le Premier ministre ne fasse pas une déclaration de politique générale devant une Assemblée nationale qui n’était pas encore constituée. Aller faire une déclaration de politique générale devant une Assemblée qui était à la veille d’élection pourrait paraître incongru. Cette assemblée elle-même pouvait s’amuser à sanctionner un discours sans pour autant avoir les moyens politiques dès le lendemain, de pouvoir mener à bien son projet politique. Aujourd’hui, ce qui est annoncé, et ce n’est pas loin, c’est au mois de septembre. Et j’observe quand même que le Premier ministre a pris la précaution, au bout de 100 jours, de communiquer sur un certain nombre de choses qui avaient été faites. L’exercice m’a paru intéressant du point de vue d’une attente, vers ce qui allait être déroulé dans le discours de politique générale.

 

 

Mais entre le discours de politique générale et maintenant, il y a les vacances du gouvernement 3 ou 4 mois après sa prise de fonction. Comment jugez-vous cela ?

 

 

Je pense que c’est un mauvais procès. Ce qu’on appelle les vacances, qui sont d’ailleurs nécessaires à tout organisme, peuvent provenir du fait que les gens ont eu, pour la plupart, à être sur la sellette pendant la période préélectorale, les élections présidentielles et législatives. Quand je vois les programmes, rendez-vous, rencontres et audiences qu’on nous propose, je ne pense pas que les gens soient en vacances. Ce sont des vacances peut-être par rapport aux Conseils des ministres mais non des vacances de manière nette comme nous chefs d’entreprises avons l’habitude de faire. Je n’ai pas le sentiment que ça soit cela. Les Sénégalais aiment bien parler du sexe des anges. Mais ça, ce n’est pas utile d’en faire un débat.

 

 

Qu’avez-vous à dire sur les audits rendus publics par l’ARMP ?

 

 

L’ARMP respecte ses textes fondamentaux. C’est nous qui sommes à l’origine, avec le gouvernement, de la promulgation du nouveau Code des marchés publics. Dans ce nouveau code, une partie importante est laissée à la communication, tant pendant le processus d’appel d’offres, qu’après. Et ensuite, il a été entendu que, pour pouvoir vérifier que le code était appliqué dans les meilleures conditions, dans le respect de ce qui est édicté, des audits seraient faits, en choisissant des entreprises qui utilisent l’argent public. Et il était entendu ensuite que ces audits seraient publiés. Donc, aujourd’hui, il y a rien d’extraordinaire que l’ARMP publie les audits. Maintenant, qu’est-ce qui est fait des audits ? C’est là la question fondamentale. Ces audits, est-ce que nous devons les mettre sous le coude, comme l’avait fait Abdoulaye Wade ? Ce n’était pas normal. C’était à la base de dérives graves dans la mesure où si vous êtes épinglé, mais que vous êtes garanti qu’il n’y a pas de poursuites, l’année suivante, vous allez crever le plafond. Par contre, vous devez être sanctionné de la manière la plus juste. Mais encore, faudrait-il que nous administrions la justice, sans esprit de revanche ou de règlement de comptes, mais en essayant d’être objectifs et de donner aussi les moyens de défense à ceux qui sont accusés parce que c’est une présomption de culpabilité et il faudra démontrer que les gens ont fauté. Et si les faits sont patents, la sanction peut tomber et tout le monde saura que le Sénégal, dans son dispositif de démocratie de pays avancé, a aussi une justice qui marche bien.

 

 

Et les sanctions pour les entreprises fautives ?

 

 

Tout à fait ! Il faut le faire ! Je vais vous donner un exemple pour vous dire la position de la CNES sur ces principes. Lorsque les dépenses extra-budgétaires avaient défrayé la chronique, des audits avaient été lancés sur ces dépenses. Et il a été prouvé que dans bien des cas, les entreprises n’avaient pas réalisé les travaux ou services, elles étaient de connivence avec l’autorité contractante. A cette occasion, une réunion s’est tenue ici à la CNES où j’ai dit de la manière la plus solennelle, que toutes les entreprises, je ne sais pas si c'est des entreprises de la CNES, mais celles qui seraient membres de la CNES, peuvent être sûres que nous ne les défendrons pas et que si des actions tombent sur elles, ce ne serait que justice. La deuxième chose, j’ai demandé à l’ARMP que les entreprises qui ont fauté figurent sur une liste noire et qu’on les exclue des marchés. Cela aussi fait partie des mesures à prendre pour éviter que les gens qui ont fauté, en complicité avec les délinquants qui ont été épinglés puissent se réfugier derrière le fait que c’est le délinquant qui est le seul fautif. S’il y a des brebis galeuses, je suis tout à fait d’accord qu’on les sanctionne. Même la banque mondiale fait une black-liste des entreprises. Nous devrons appliquer le même système.

 

 

Par Bachir Fofana,Aliou Ngamby Ndiaye et Mamadoune Gomis

 

 

A suivre

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