Publié le 9 Aug 2012 - 00:05
MANSOUR CAMA, PRÉSIDENT DE LA CNES (Suite et Fin) :

‘’L’une des grandes ruptures, c’est l’intrusion du citoyen dans le jeu politique et dans la démocratie’’

 

 

Le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES) accepte, pour EnQuête de faire un tour d’horizon de l’actualité politique et économique. Dans cet entretien, Mansour Cama, sans langue de bois, aborde la question des audits de l’ARMP, la concession du King Fahd qu’il trouve ‘’léonine’’, l’augmentation du prix de l’électricité ou la taxe de 5% sur le chiffre d’affaires des entreprises minières. Sans oublier la politique avec une position ‘’ferme’’ sur le Sénat ‘’à supprimer’’.

 

 

Depuis l’avènement de ce pouvoir, il est beaucoup plus question de patriotisme économique. Lors d'une conférence de presse, vous aviez parlé de votre gêne à voir ceux qui avaient participé au pillage du pays avec l'ancien pouvoir, se rapprocher de ce nouveau pouvoir. Ressentez-vous toujours dans cette gêne ?

 

 

Ce que nous avions dit à l'époque, en tout cas si vous avez prêté attention au président de la CNES que je suis, j’ai dit de la manière la plus claire que la CNES a participé activement aux Assises nationales. Parce qu'en fait, le débat était venu de ce qu'avait dit avec beaucoup d'humour mon jeune frère Baïdy Agne, que le CNP est très content d'avoir des ministres du gouvernement. C'est à cela que j'avais répondu en disant que si le CNP est content d'avoir le Premier ministre, le ministre de l'Economie et des Finances parce que c'est d'anciens présidents de l’Association des professionnels de banque (APB), quid de la CNES qui a aidé, comme les 65% des Sénégalais, à élire le président de la République ? Ça veut dire que le président est un membre de la CNES. C’était de l’humour.

Par contre, il est indéniable que nous n'avons jamais été en odeur de sainteté pendant le règne d’Abdoulaye Wade. Tout le monde le sait, ça ne nous a pas empêché d’exister. Par contre, et je l'ai dit aux gens de la CNES, nous ne sommes pas des martyrs du régime de Wade. Nous sommes des entrepreneurs qui avons subi cela. Donc sur ce chapitre-là, nous n'avons pas de soucis par rapport à d'autres attitudes. Et c'est ça qu'il faut comprendre.

 

 

Pour en revenir au patriotisme économique…

 

 

Le patriotisme économique, nous n'en parlons pas que maintenant. Il remonte pour nous, aux années où nous étions avec le CNP que nous avons quitté. Nous sommes à la base de la création du CNP. La CNES est créée en 1983, le CNP a été créé deux ou trois ans après et à la demande des syndicats de l'époque qui étaient d'émanation coloniale, face à un syndicat qui était celui de nationalistes sénégalais et c'est cette idéologie-là, que nous, nous continuons à défendre. (…) Donc en arrivant aux Assises nationales, nous sommes venus déposer sur la table ces valeurs-là qui sont essentielles en termes d'avancée économique. Maintenant, Macky Sall arrive au pouvoir ; nous avons vécu 12 ans pendant lesquels le président de la République Abdoulaye Wade a eu ses préférences ‘’nationales’’ avec lesquels il a voulu travailler. Comme j'ai l'habitude de dire, si ça leur a permis honnêtement de développer leurs entreprises et de gagner leur vie, j’applaudis. Mais si ça a été fait au détriment de l’intérêt général ou en foulant au pied le principe d'une certaine équité devant les citoyens sénégalais, je dis attention ! L'accepter et aller dans cette direction-là, c'est aussi prendre le risque de voir demain un cas de changement ; les gens vous épingleront. Et c'est tout ce débat-là. Wade dira : tous ceux qui étaient avec moi, maintenant veulent être avec Macky. Mais ceux qui n'étaient pas avec Wade, qui ont soutenu Macky, comme nous, nous courons aussi derrière pour demander une récompense de quoi que ce soit. La préférence nationale, je le dis avec beaucoup de solennité, ce n'est pas aussi de dire : on choisit des Sénégalais, de manière inéquitable. C'est de donner la priorité aux Sénégalais en mettant tout le monde sur le même pied d'égalité. En œuvrant de sorte que s'il y a eu une compétition, que ça soit des Sénégalais et les meilleurs.

 

 

 

Dans ce cas, êtes-vous en phase avec la décision du pouvoir de revenir sur le contrat de King Fahd par exemple ?

 

 

 

Absolument ! La position de l’État est juste. Je vais même révéler une chose. Lorsque j'ai rencontré Racine Sy et Baïdy Agne à l'investiture du président Macky Sall, au Méridien, ils se souviendront que j'ai dit à Racine : ‘’Ton histoire du Méridien, on va en reparler’’. Il m'a dit : ‘’Ah bon !’’ Je lui ai dit : ‘’Je vais demander qu'on audite le Méridien’’. Il a dit : ‘’Ah bon mon président !’’ Je lui ai dit : ‘’Il faut le faire, parce qu'il faut mettre tout le monde à l'aise’’. Le deuxième point le plus officiel, nous avons été reçus par le Premier ministre et avant lui, nous avons reçu Youssou Ndour. Et nous avons dit à ce dernier : vous verrez dans les documents de la CNES que nous demandons qu'on audite le contrat et les conditions dans lesquelles cela a été donné à Racine Sy.

 

 

Pourquoi ?

 

 

Le Premier ministre ainsi que le ministre Youssou Ndour, ont pris la précaution de consulter un certain nombre de gens pour vérifier si le contrat était un contrat léonin ou pas. Je confirme que le contrat est léonin. Vous savez, nous avons les investissements dans l’hôtellerie aussi. Je ne connais pas un hôtel dans le monde où on paie 50% de revenu brut d’exploitation (RBE) à celui qui gère. Vous voyez bien que ce contrat a plusieurs choses qui vraiment mettent en péril l’intérêt général. Je crois que c'est dans l’intérêt de M. Racine Sy de se calmer et vraiment de croire en ses capacités et de dire qu'il est prêt. S'il est aussi convaincu qu'il est capable de mener le King Fahd le plus loin possible en tant que Sénégalais, nous serons les premiers à applaudir et même à faire des motions de soutien, à condition qu'il se rende compte que les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû l’être et qu’on revienne à la case départ, en toute transparence et je lui souhaite de gagner. Et je pense qu'il est important pour l'image du Sénégal, peut-être, que M. Sy, si demain il doit se présenter, aille chercher un partenaire étranger.

 

 

C’est vous le ''nationaliste'' qui le dit…

 

 

Nous avons beau être les champions de la préférence nationale, il nous faut toujours aussi être réaliste au point de savoir que la promotion de la destination Sénégal sera aussi marquée par la présence de grand nom de l’hôtellerie. C'est indispensable. Je vous assure que je suis très nationaliste mais je connais mes limites et je sais que, dans certains cas, il faut accepter de se mettre en partenariat parce que ces noms-là attirent les touristes. Et nous avons besoin de les attirer. Donc ce n'est pas une question de nationalisme à tous crins et de tous poils. Non ! C'est une question de réalisme.

 

 

Et que pense la CNES sur l'annonce de l'augmentation du prix de l'électricité que le ministre du Budget a essayé d'expliquer en disant que ça ne toucherait pas les ménages dit à faible niveau ?

 

 

 

Lorsque nous avons reçu la mission du FMI, la question a été abordée. Nous l'avons dit très clairement que nous sommes contre la hausse du prix de l'électricité. Parce qu'on semblait oublier que nous avons payé un prix très fort pour cette électricité, non seulement de mauvaise qualité, mais qui est arrivée en plus de manière erratique. On oublie que pendant trois ans, nous avons passé tout notre temps à produire avec des groupes électrogènes en mettant un carburant très cher. Et aujourd'hui on vient nous dire qu'il faut augmenter encore. Pour ce qu'a dit le ministre du Budget, j'attends de voir comment on va faire ces discriminations et faire porter encore aux entreprises le poids de la hausse. Parce que si on dit que les petits revenus ne peuvent pas payer ? Qui peut payer ? C’est nous, les grands revenus. Donc pour ça, je peux vous dire que le patronat est contre l'idée d'augmenter, et nous l'avons dit au FMI.

 

 

Et que pensez-vous de cette augmentation de 5% des taxes sur le chiffre d’affaires des entreprises minières ?

 

 

Cette question, nous l'avons évoquée au ministère de l'Economie et des Finances pour nous étonner que cette mesure ait été prise sans concertation. Si j'avais été à la place du ministre, j'aurais appelé les entreprises à la concertation. Parce qu’à chaque fois qu’un Etat met une taxe ou surtaxe, il veut avoir des ressources supplémentaires parce qu’il a une politique supplémentaire ou des choses à combler. Mais discutons pour voir si on peut le faire en mettant brutalement 5% ou bien s'il faut une graduation. Est-ce qu'il ne faut pas discriminer les entreprises, parce qu'une entreprise minière qui exploite de l'or n'est pas une entreprise qui fait du ciment. Il y a vraiment un champ à la réflexion. Lorsque nous avons parlé avec le ministre de l'Economie et des Finances, il est apparu nettement que les gens ne souhaitaient pas revenir sur cela. Nous avons pris acte de ça. Nous allons informer nos entreprises qui sont concernées.

 

 

Et qu’est-ce qui pourrait advenir ?

 

 

Maintenant il y a un risque. C'est que les gens augmentent les prix en appliquant les taxes sur le prix de revient car il faudrait que quelqu’un paie. Alors est-ce qu'un consommateur sénégalais sera prêt à payer son ciment plus cher quand cette taxe-là va s'appliquer ? Ça, c'est la question qui est sur la table aujourd'hui. Parce que je ne vois pas les entreprises de cimenterie et autres dire qu'elles vont accepter sauf si vraiment on leur fait des propositions et c'est là où l’intérêt de la concertation paraît important, avec des sortes de compensation pour atténuer cela. Il faut faire attention parce qu’une taxe peut générer de l'inflation. Et si les gens, de manière aveugle, disent : bon, vous avez prélevé 5%, on le met sur le prix du public, le gouvernement entendra le cri des populations.

 

 

Par Bachir Fofana,Aliou Ngamby Ndiaye et Mamadoune Gomis

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