Publié le 23 Jan 2017 - 22:15
MARCEL ALAIN DA SOUZA, PRESIDENT DE LA COMMISSION DE LA CEDEAO

‘’C’est la diplomatie qui a été privilégiée’’

 

Peu de temps après le départ de Yahya Jammeh de la Gambie, Marcel Alain Da Souza a fait face à la presse, ce samedi dans la soirée. En compagnie des colonels Maïga et Samson, respectivement coordonnateur des forces en attente de la CEDEAO et coordonnateur de l’armée nigériane, il est revenu largement sur les temps forts de la médiation qui a amené l’ex-président gambien à rendre le pouvoir de manière pacifique et sur la stratégie qui a été déployée. Il soutient que Yahya Jammeh n’est pas à l’abri de poursuites judiciaires, s’il tente de semer le désordre en Gambie, partout où il se trouve.

 

Le président Yahya Jammeh a finalement accepté de rendre le pouvoir après quelques semaines de résistance grâce à la pression exercée par la CEDEAO qui a déployé une armée de 7 000 hommes. Quelle conclusion tirer de cette affaire ?

Nous sommes arrivés à montrer que l’Afrique peut régler ses problèmes en matière de promotion de la démocratie, sans qu’il y ait des aides extérieures. Les troupes de la CEDEAO ont joué un rôle important. J’ai été les rencontrer pour les féliciter de leur professionnalisme, la dextérité pour qu’en une semaine, elles aient pu mettre du matériel logistique et une stratégie pour mettre la pression. Si elles n’avaient pas été retenues, les troupes auraient déjà pris en main l’ensemble de Banjul et l’ensemble de tous ceux qui travaillent avec le président Yahya Jammeh. Mais il n’y a pas eu d’effusion de sang. Tout s’est passé pacifiquement. Nous avons rencontré le Président Adama Barrow qui souhaite le plus rapidement possible pouvoir aller à Banjul. Mais la stratégie veut qu’on puisse sécuriser d’abord Banjul et ensuite l’ensemble du pays, avant que le Président Adama Barrow ne puisse s’installer. Cela nécessite qu’on mette l’accent sur la sécurité et la défense. Il faut aussi mettre l’accent sur l’unité nationale pour qu’il n’y ait pas de chasse aux sorcières. Pour ce faire, nous devons immobiliser une partie des troupes pour que, pendant un certain temps, on puisse s’assurer que le calme est définitivement revenu et pour qu’il n’y ait pas d’actes de sabotage.

Comment appréciez-vous la médiation menée par les Présidents guinéen et mauritanien ?

Je voudrais saisir cette occasion pour féliciter d’abord le Pr Alpha Condé. Il est resté à Banjul jusqu’à hier (NDLR : avant-hier) et il vient juste de partir avec le Président Yahya Jammeh à Conakry. Il faut également féliciter le Président Ould Abdel Aziz qui a joué un rôle de dernière heure, mais très important. J’associe à ces félicitations le médiateur, le Président Muhammadu Buhari, pour le travail qui a été accompli. Par deux fois, il a dirigé une délégation avec Ellen Johnson Sirleaf pour aller à Banjul, proposer les meilleures conditions honorables pour le Président Yahya Jammef afin qu’il y ait un transfert pacifique du pouvoir. Ce n’est pas rien. Je tiens également à féliciter le Président Bay Krumah et l’ex-président du Ghana Mahamat. Tous ceux-là ont fait un travail remarquable. Mais une mention spéciale doit être faite pour le Président Macky Sall. 

Parce que le Sénégal a été le pays d’accueil. Comme on le sait tous, la Gambie est complètement enclavée dans le Sénégal et la seule façade qui reste est maritime. Les troupes ont été accueillies en moins d’une semaine, ont été mises en place et la stratégie a permis de quadriller la Gambie sur terre, sur mer et dans les airs. La récréation était terminée et tout était prêt pour que nous puissions avoir le résultat auquel nous avons abouti. On peut se féliciter, parce qu’il n’y a pas eu d’effusion de sang. Il n’y a pas eu de résistance majeure. Il faut seulement dire que le Président Yahya Jammeh aurait pu faire une sortie honorable lorsqu’il a reconnu la victoire de Adama Barrow et nous éviter d’engager des ressources et des troupes et d’en arriver à cette solution. Dieu merci, jusqu’à présent, c’est une opération propre qui permet de restaurer l’espoir et la démocratie et montrer que nul n’a le droit de s’opposer aux résultats d’une élection. Le peuple a parlé, il faut l’écouter et suivre ce qu’il a choisi.

Est-ce que Yahya Jammeh a posé des conditions avant son départ ?

Il a eu à poser un certain nombre de doléances pour d’abord la conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO, ensuite de l’Union africaine et des Nations unies. Premièrement, il a souhaité avoir une sorte d’amnistie pour lui et pour ceux qui ont dirigé avec lui. Mais aussi pour son parti, son cabinet et tous ceux qui sont proches de lui.

Mais comment identifier tout ce monde ?

Cela pose problème. Il a souhaité qu’il n’y ait pas de chasse aux sorcières, que les droits citoyens soient garantis, même à ceux qui l’ont toujours soutenu. Il a aussi souhaité qu’on lui donne des garanties pour que ses biens ne soient pas saisis. Au départ, il a souhaité résider dans son village. Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont souhaité que dans un premier temps, il quitte la Gambie. Il a voulu qu’on lui donne le droit de pouvoir revenir quand il veut et comme il veut pendant un certain temps. Voilà les exigences qu’il a eu à demander. Mais les négociations continuent. Il y a une déclaration qui a été préparée, mais qui n’a pas été adoptée. Il faut dire qu’au niveau de la CEDEAO, les chefs d’Etat ont parlé d’une seule voix. Le résultat auquel nous avons abouti montre qu’ensemble, même en Afrique, on est plus fort.

Est-ce que la CEDEAO va accéder à toutes ces doléances qui ont été posées par Yahya Jammeh et quel sort lui sera réservé ?

Le seul fait qu’il soit parti montre déjà qu’il n’est pas belliqueux. Il aurait pu dire : ‘’J’ai mes mercenaires, j’ai beaucoup d’armes, je vais résister, je vais organiser une guérilla’’. Il faut lui reconnaître que même si c’est au dernier moment, il a pu avoir cet esprit de dire : ‘’Il vaut mieux que je parte.’’ Il a été clair dans son discours. Maintenant, les doléances qu’il a posées sont à l’étude. Elles seront soumises aux chefs d’Etats de la CEDEAO, de l’Union africaine et aux Nations unies. On verra bien ce qui sera décidé. Elles sont nombreuses. Elles ne peuvent pas être toutes rejetées. Elles seront étudiées et dans la mesure du possible, on verra comment lui accorder une retraite paisible, si ses exigences vont permettre d’avoir la paix et une certaine quiétude au niveau de la Gambie.

Est-ce que Yahya Jammeh peut échapper à la justice internationale ?

Je ne peux pas répondre totalement à cette question. Il y aura certainement des gens qui vont porter plainte. Mais ce qui est certain, c’est que dans le pays où il va rester, on va lui assurer un minimum de protection. Il reviendra au Président Barrow de voir dans quelle mesure le Parlement peut statuer sur la question. Parce que la CEDEAO a déjà tenté de faire voter une loi pour lui accorder l’amnistie à lui et à ceux qui ont dirigé avec lui. Malheureusement, nous n’avons pas pu atteindre le quorum. Les députés étaient en fuite avec une bonne partie qui s’est réfugiée dans leurs villages et une autre qui était à Dakar. L’un des premiers problèmes, c’est de voir dans quelle mesure cela peut permettre de consolider la paix et l’unité nationale. Maintenant, les droits de l’Homme, il les a bafoués. A partir de cet instant, on ne peut pas interdire à des gens de porter plainte devant les tribunaux. On ne peut d’ores et déjà préjuger des résultats que cela va donner.

Yahya Jammeh libre en Afrique ne constitue-t-il pas une menace à la stabilité de la Gambie ?

Non ! Il revient à Yahya Jammeh de montrer qu’il respecte les principes de la démocratie. Il a dirigé ce pays pendant 22 ans. C’est son peuple. Il doit se considérer dorénavant comme un simple citoyen, il n’est plus chef d’Etat. C’est donc clair que, s’il commet des actes qui visent à créer des problèmes au sein de la population, il en répondra. Pour le moment, il est parti en Guinée Equatoriale qui n’est pas un pays voisin de la Gambie. Il va observer les lois et les règles qui sont en vigueur dans ce pays. Nous pensons qu’on pourra tirer les leçons de cette situation et lui offrir les conditions de vie les plus paisibles possibles. Mais s’il se met encore à crier pour créer le désordre, il aura à subir les conséquences de la loi.    

PAR ASSANE MBAYE

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