Un nouveau jour se lève pour Guy Marius Sagna. Aujourd’hui, il va passer son 92e jour dans les liens de la détention. Basta !, semblent gronder les nombreux manifestants sortis, hier, pour lui témoigner amour et sympathie.

 

Comme la chaleur qui s’intensifiait d’heure en heure, la foule prenait également de l’ampleur, minute après minute. Vers les coups de 16 h 30, démarre la longue procession. De l’échangeur de la foire au rond-point Liberté 6, la foule ne cessait de grandir. A quelques jets du Camp pénal, hystérie générale. Un vrai capharnaüm. On court, on siffle, on invective, on réclame surtout la libération de Guy Marius Sagna, en prison depuis le 29 novembre 2019. Du haut du camion de sonorisation, Fou Malade, véritable bête de scène, s’enflamme : ‘’Libérez Guy Mary (déformation de Guy Marius, NDLR), Arrêtez Aliou Sall…’’ Massé devant la mythique prison, le public reprend en chœur le refrain, pendant une bonne dizaine de minutes.

En face, un impressionnant dispositif sécuritaire est mobilisé pour parer à toutes les éventualités. Des barricades installées pour confiner les manifestants sur la voie allant dans le sens Foire - Rond-point 6 ; des policiers, grenades à la main, se préparant à des débordements… Tout semble mis en place pour faire face au pire. Du côté de l’animation, l’on ne cesse d’ailleurs d’appeler à la responsabilité et au calme. Mais, de plus en plus, la foule, fiévreuse, se déchaine. Elle insulte et exige la libération du leader de France Dégage.

Alassane Ba, 71 ans, l’œil gauche bien bandée, une main posée sur les barricades de la police, a du mal à camoufler toute son émotion. Plein de détermination, il déclare : ‘’Je suis très fier. Aujourd’hui, le peuple digne est sorti pour demander la libération de son digne fils. Je dis que Guy Marius Sagna n’a jamais travaillé au Coud pour acheter un kilo de niébé à 4 500 F ; jamais à La Poste pour détourner des milliards ; jamais au Prodac pour détourner 29 milliards ; jamais au Service des domaines pour détourner 94 milliards de francs...’’

Très remonté contre le régime, le vieux vient directement de l’hôpital où il avait rendez-vous avec son médecin, après une opération pour une cataracte. Il est convaincu que le leader de France Dégage est en prison, juste parce qu’il ne fait pas partie de l’’’Association des prédateurs de la République’’. Pourquoi n’est-il pas allé se reposer, après son pansement ? Il rétorque avec une énergie débordante : ‘’Pourquoi je vais me reposer ? Quand le peuple appelle, tout le monde doit être debout. Moi qui vous parle, j’ai été fonctionnaire. J’ai fait 30 ans à l’Isra, 30 ans au service de la recherche et du développement de mon pays. Je ne peux pas laisser les gens vendanger le pays sans rien faire.’’

Sur place, difficile de communiquer. Un seul slogan jaillit de toute part sur les deux voies de Liberté 6. Alla Kane, militant infatigable de la gauche, inspecteur des impôts à la retraite, a de quoi être fier. Avec Guy et des jeunes comme lui, il est convaincu que les flammes de la lutte populaire, allumées depuis l’époque coloniale avec le PAI, ne sont pas prêtes de s’éteindre. Il témoigne : ‘’Je suis très content de voir que la jeunesse se ressaisit et engage la bataille. Je connais bien Guy Marius. De l’intérieur, il a dû entendre les cris. Et ça lui fera un baume au cœur.’’

Pour le sexagénaire, au-delà de Guy, le combat pour la liberté a de beaux jours en perspective, vu la forte mobilisation de la jeunesse. La mise en prison de Guy, pense-t-il, ‘’a entrainé une mobilisation qui va crescendo et ça participe à la formation, à la conscientisation de la jeunesse. C’est quelque chose de positif. C’est avec des jeunes comme lui qu’on va booter dehors l’impérialisme et développer ce pays. Nous sommes là pour les encourager.’’

Selon lui, l’emprisonnement injuste du jeune activiste est tout simplement révoltant pour tout patriote de ce pays. ‘’Il faut exiger sa libération, car il est un otage. Guy est en prison parce qu’il a mis le doigt sur ce qui est à la base de notre sous-développement chronique : c’est-à-dire le néocolonialisme et la présence de la France. C’est pourquoi il a des ennemis partout, à l’intérieur comme à l’extérieur. En définitive, ceux qui nous gouvernent sont à la solde de l’ancienne puissance coloniale. Mais on va le libérer. Le peuple va libérer Guy Marius Sagna’’, crie-t-il avec hargne.

Très optimiste, son congénère, Abdoulaye Ba, renchérit : ‘’Par A ou par B, les choses bougeront. On ne peut pas vaincre un peuple ; on ne peut pas vaincre un peuple. La lutte sera peut être longue, mais la victoire sera du côté du peuple, j’en suis convaincu.’’

Sentant la nervosité gagner de plus en plus la foule, les organisateurs anticipent sur le programme et donnent injonction de continuer la procession. Jusqu’au point de chute où les communications doivent être faites. Le camion avance, avec le tube du groupe Keur Gui, ‘’Say-Say’’. Le pire est ainsi évité de justesse.   

Le coaching gagnant

Vêtu d’un blouson sombre, Abdoulaye Thiam, émigré ayant séjourné 30 ans en Allemagne et qui a décidé de retourner définitive au pays depuis un an, peut lui aussi s’estimer heureux. Les jeunes semblent avoir écouté ses sages conseils. ‘’Je suis heureux de constater que les deux dernières manifestations sont différentes, en termes de mobilisation. Moi, je n’ai eu de cesse de demander d’arrêter les manifs entre la place de l’Obélisque et le rond-point RTS. Cela n’a plus de sens. Il faut aller dans les secteurs où vivent les gens, parce que les déplacements sont parfois difficiles’’. Et puis, insiste-t-il, la place de l’Obélisque-RTS, ça devient trop monotone. Avant, les gens prenaient cet axe simplement parce qu’il n’y avait qu’une télé. Devant le Camp pénal, témoigne-t-il, c’était une forte émotion, tient-il à signaler. ‘’Quand j’ai vu cette foule déferler sur les allées du Camp pénal, ça m’a vraiment ému. Guy Marius le mérite amplement. Il mérite même beaucoup plus. C’est quelqu’un qui a toujours été prêt pour donner sa vie pour le Sénégal. Quelquefois, je me demandais même si les Sénégalais méritent GMS. Contre l’arbitraire, il faut se soulever’’, décrète le quinqua.

La marche des primo-participants

A côté des papys, toujours en première ligne, les femmes et les plus jeunes ont également répondu massivement à l’appel de Noo Lànk, pour demander, parfois implorer, la libération du combattant Guy Marius Sagna. Pour nombre d’entre eux, c’est une grande première. Marie Diop, teint clair, est de Bignona, dans la verte Casamance. Venue à Dakar pour un rendez-vous médical, la bonne dame n’a voulu pour rien au monde se faire raconter l’évènement. Malgré sa maladie. Elle dit : ‘’Je ne me sens certes pas bien, mais je ne pouvais pas rater cette occasion. De Bignona, je compatissais pour cette cause. Comme le hasard a fait que je sois à Dakar. Je ne pouvais manquer cette occasion de rendre un hommage à ce combattant de la liberté.’’

A 56 ans, la Casaçaise en appelle à la bienveillance du chef de l’Etat. ‘’Nous demandons simplement la libération de Guy Marius Sagna. C’est tout ce que nous voulons. Je me demande si Macky Sall a vu le père de Guy pleurer. Il doit, ne serait-ce, avoir pitié pour sa famille, ses enfants. Moi je suis une femme, j’ai des enfants. Je me suis mise à la place de ses parents, en me demandant : et si c’était mon enfant ? La réponse est que jamais je ne saurai le supporter. C’est triste’’, lâche-t-elle du bout des lèvres, non sans appeler à des mobilisations encore plus fortes pour aboutir à la victoire finale.

Comme elle, Aïda Lam, venue de HLM 2, n’en pouvait plus de rester à son domicile, pendant que Guy est encore maintenu en prison. Hier, c’était le déclic. Elle témoigne : ‘’Nous avons quelque part un sentiment de culpabilité. On se dit pourquoi il est en prison et nous dans nos maisons, alors qu’il se battait pour nous ? Participer aux manifestations, c’est le minimum qu’on peut faire pour lui.’’ Très peinée et meurtrie, touchée par les complaintes devant la prison, elle lance son cri du cœur et interpelle le président de la République. ‘’S’il vous plait, Monsieur le Président, nous vous supplions de libérer Guy Marius Sagna. Il n’a rien fait et il doit retourner auprès de sa famille’’, soupire-t-elle amère.

Egalement primo-participant, le jeune Abdoulaye a effectué le déplacement accompagné de son épouse et d’une amie. ‘’Aujourd’hui, confie-t-il, je me suis dit qu’il faut faire une action et non plus se limiter à condamner. Car Guy a déjà duré en prison, alors qu’il se battait pour une juste cause. Et je me rends compte que c’est très important. Seul, il a été jusqu’au palais pour nous tous. Ensemble, nous devons tout faire pour lui. Nous espérons qu’il sera libéré le plus rapidement possible’’. Mais, avec Macky Sall, il faut surtout se préparer à tout, prévient le militant M. Thiam. ‘’Quand on a un président qui n’a pas cette finesse politique, qui ne peut pas saisir et lire les messages, on ne sait jamais. Peut-être si on lui rend fidèlement compte, s’il voit les images, il va se ressaisir. Jusque-là, c’est pacifique, il ne doit pas pousser le peuple à bout. Sinon, il aura une fin très difficile’’.

La participation insolite du fils de Cissé Lo

Hier, à la marche de Noo Lànk, il y avait également des présences insolites. C’est le cas, par exemple, de la participation du fils du tonitruant député Moustapha Cissé Lo. Junior Lo ne veut surtout pas entendre parler de fils de... ‘’Ce qui importe, ce n’est ni le fils de Cissé Lo ni celui de Macky Sall, encore moins de Moustapha Niasse. Guy Marius Sagna est en prison parce qu’il combattait la cherté des factures d’électricité. On ne doit pas mettre en prison quelqu’un pour ça. Et je pense que tous les citoyens doivent sortir pour manifester leur colère, parce que ce n’est pas normal’’.

A la question de savoir si son pater est au courant de sa participation, il gronde : ‘’Cela ne m’intéresse pas qu’il soit au courant ou non. Nous sommes des citoyens et notre camarade jeune a été arrêté injustement et c’est pourquoi nous sommes sur le terrain pour nous battre. Guy n’a rien fait. Je pense que tous les jeunes du Sénégal doivent faire la même chose, aller marcher sur le palais… S’ils le peuvent, ils n’ont qu’à nous foutre tous en prison.’’

MOUSSA TINE, ACTEUR POLITIQUE ‘’Il y a une auto-prise en charge des questions démocratiques par les citoyens eux-mêmes’’ Hier, certains leaders politiques étaient bien présents à la manifestation. Outre le coordonnateur du Front de résistance nationale Moctar Sourang, Thierno Bocoum et des lieutenants de Khalifa Ababacar Sall, Moussa Tine était également de la partie. A ses homologues chefs de parti, il invite à une plus grande présence. ‘’Au-delà des Sénégalais, je lance un appel aux différents partis politiques de prendre en charge cette question. Cette question dépend aujourd’hui de la personne de Guy Marius Sagna. Elle est éminemment politique. C’est une question de respect des droits humains, de liberté constitutionnelle, du fonctionnement de notre démocratie’’. Selon son constat, de plus en plus, il y a une sorte d’auto-prise en charge, par les citoyens, des questions démocratiques et que les politiques doivent bien appréhender ces enjeux de l’heure. Par ailleurs, il condamne avec la dernière énergie le maintien en prison de Guy, alors que tous ses autres codétenus ont été libérés. ‘’Il est inadmissible, fulmine-t-il, dans un Etat de droit, que des gens puissent être arrêtés pour les mêmes raisons, que tous soient libérés et qu’un seul soit maintenu en prison. C’est une rupture de l’égalité entre les citoyens et ce n’est pas normal. Les autres ont été libérés simplement parce que des étudiants et professeurs ont mis la pression. Guy devait bénéficier de la même mesure’’. Selon lui, une marche sur le palais ne mérite pas d’emprisonner un citoyen. ‘’Le président doit être plus choqué de voir les populations de Colobane recevoir des grenades lacrymogènes que de voir des gens manifester devant le palais. S’il y a des gens qui veulent exprimer leur colère, ils doivent le faire au palais, pas à Colobane. Parce que c’est à lui qu’on a confié ce pays, pas aux populations de Colobane. Il n’y a rien d’extraordinaire’’. ‘’Les ‘khalifistes’ sont toujours là. Nous sommes là pour soutenir Guy Marius Sagna. Cette forte mobilisation est la preuve que les gens sont déterminés à faire libérer Guy Marius qui a été injustement libéré. J’étais triste pour lui. C’est un père de famille. Il a laissé dehors une épouse, une fille. Macky Sall a des enfants ; il doit se mettre à sa place. C’est une satisfaction de constater que les Sénégalais comprennent de plus en plus les enjeux’’.

MOR AMAR