Publié le 2 Feb 2020 - 23:52
MARCHE NOO LANK

La Guy mania !

 

Plus son emprisonnement dure, plus Guy Marius Sagna semble entrer dans le cœur de nombre de Sénégalais qui ont tenu, hier, à lui manifester leur soutien, du fin fond de sa cellule.

 

Un temps de folie, de fièvre et de liesse. Hier, les allées de l’avenue Cheikh Anta Diop de Dakar ont vibré au rythme des manifestations du collectif Noo Lànk. Mais il semblait y en avoir que pour Guy Marius Sagna, considéré comme un martyr de la lutte des fronts populaires. De partout, sur la grande avenue de la capitale, on entend : ‘Libérer Guy Marius !’’, ‘’Macky Sall dictateur !’’, Procureur corrompu !’’. Arrivés à hauteur du rond-point Sahm, la fièvre monte d’un cran. Dopés par la forte mobilisation des jeunes, quelques manifestants chantent à l’unisson : ‘’Palais lanu dieum. Palais lanu dieum (On va au palais).’’

Du côté des responsables de l’organisation, on essaie de calmer les ardeurs. Aliou Sané, Coordonnateur du collectif Noo Lànk, Noo Bagn : ‘’C’est vrai que quand il y a foule comme aujourd’hui, c’est toujours difficile de canaliser tout le monde. Mais nous sommes des démocrates. Nous restons des républicains’’, sourit-il avant de donner rendez-vous au point de chute.

Ainsi, sous un soleil brûlant, la procession continue. Toujours avec les mêmes refrains, la même détermination, la même bravoure qui se lit, aisément, sur le visage des manifestants. Il est environ 17 h, la foule semble se gonfler de plus en plus, au grand bonheur de quelques passants et automobilistes supporters de la cause. Debout sur les toits de leurs maisons, des habitants de la Médina applaudissent et reprennent le ‘’Macky say-say leu !’’, comme s’ils étaient, eux aussi, en phase avec les contestataires.

Alpha, activiste, a du mal à cacher sa joie débordante. Chantant, dansant, il se réjouit de la belle mobilisation : ‘’C’est inédit ça. Guy ne doit pas être plus digne que nous. Il s’est battu corps et âme pour la libération du peuple. C’est à nous de nous battre pour sa libération.’’ En fond sonore, ses camarades continuent de donner le ton avec l’hymne mythique de la colère populaire : ‘’Sunu societe yeungetunaa… Sunu societe yengetunaa… Nanu am fayda, nanu am faydaa, nanu respecter sunu Senegaal.’’

Galvanisé, notre interlocuteur se lâche : ‘’Ce qui se passe dans ce pays est simplement écœurant. Comment on peut arrêter neuf personnes pour un même motif, libérer tout le monde et maintenir un seul au nom de je ne sais quoi ? Ce n’est pas la justice. Il faut se battre. En ce qui me concerne, je suis prêt à sacrifier ma vie pour cette cause, car Guy ne doit pas être plus digne.’’

Aliou Sané : ‘’Si on décidait d’aller au palais, aujourd’hui, personne ne peut nous en empêcher. Nous n’aurons pas toujours la même patience’’

Ainsi, le leader de Frapp/France Dégage était sur toutes les lèvres. Eclipsant même, le plus souvent, la cause relative à la hausse du prix de l’électricité. Sur deux kilomètres, les marcheurs l’ont chanté, applaudi, adulé. Chacun oubliant son mouvement d’origine, ses rancœurs, ses rancunes personnelles, tout, pour réclamer sa libération ‘’immédiate et sans condition’’. Le tout, sous l’œil vigilant du préfet de Dakar et des éléments de la police.

Finalement, les marcheurs sont arrivés au point de chute vers les coups de 18 h 30. Sans heurts, ni débordements majeurs !

Toutefois, le risque était grand, la tentation de certains manifestants perceptible durant tout le trajet. Même Aliou Sané, d’habitude très serein, a durci le ton : ‘’Comme vous l’avez vu, si on avait décidé, aujourd’hui, d’aller au palais, personne ne peut nous retenir. Nous avons cet engagement ; cet amour pour notre patrie, et Guy ne va pas être plus digne que nous.’’ Le leader de Y en a marre de lancer un message à l’endroit des tenants du pouvoir. ‘’C’est le troisième grand rassemblement que nous avons organisé. J’espère que, après cette manifestation, ils auront une bonne lecture de ce qui s’est passé. Nous n’aurons pas toujours la même patience. J’espère qu’ils vont bien le comprendre’’. 

Pour lui, la sève nourricière de cette forte détermination des marcheurs, c’est surtout l’amour pour la patrie. Il déclare : ‘’Nous sommes là, parce que nous aimons profondément notre pays. C’est ce qui fait vibrer le cœur à tous ces manifestants. Voilà pourquoi certains de nos camarades, passionnés du Sénégal, ont scandé ‘Au palais… !’ C’est parce qu’ils ne supportent plus d’assister à cette injustice que subit notre frère Guy Marius Sagna, l’homme de l’année.’’

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Le riz, l’huile et le lait s’invitent aux revendications

 

Hier, à la marche du collectif Noo Lànk, la question de l’inflation s’est aussi invitée aux débats. Pour Aliou Sané, cette hausse généralisée des prix était bien prévisible, car si le prix de l’électricité augmente, tout va flamber. Ainsi, a-t-il soutenu pour s’en désoler : l’huile est passée de 900 à 1 300 F, la tonne de riz de 240 000 à 280 000 F, le lait de 42 500 à 60 000 F. Suffisant pour que M. Sané crie son ras-le-bol. Il fulmine : ‘’Le peuple souffre, le Sénégal souffre, les Sénégalais sont fatigués. C’est pourquoi le combat va continuer.’’ Convaincu que c’est grâce à leur détermination que le régime leur a donné, cette fois, leur autorisation de marche, à la veille même de la manifestation, il peste : ‘’C’est parce qu’ils sentent notre détermination et la victoire n’est pas loin.’’

Rebondissant sur la sortie du président de la République avant-hier à Diamniadio, il interroge : ‘’Est-ce que le Sénégal est une démocratie ?’’ En chœur, le public, hystérique, répond par un ‘’Non’’ massif. Dopé par toute cette effervescence, le coordonnateur de Y en a marre ajoute : ‘’A partir d’aujourd’hui, on va les attaquer sur tous les fronts. Vous avez vu le travail qui est en train d’être fait par Amnesty, LSDH, Raddho et Article 19. Nous irons à la CEDEAO, à l’Onu, partout pour rappeler à l’ordre ce régime.’’

Car, fulmine le Y en a marriste en chef, leur patience, leur esprit citoyen, leur sérénité a des limites.

MARCHE NOO LANK

L’échec des tentatives de sabotage

Convoqués à 15 h, les manifestants du collectif Noo Lànk ont reçu un comité d’accueil pas du tout hospitalier au niveau de l’avenue Cheikh Anta Diop de Dakar, en face de l’université du même nom. Vers les coups de 15 h 20 mn, alors que les contestataires commencent à affluer au point de rassemblement, des jets de pierres commencent à pleuvoir en provenance de l’intérieur même de l’Ucad. C’est le sauve-qui-peut chez certains manifestants. D’autres, plus téméraires, bravent les pierres et forcent le passage de l’université, malgré l’opposition des vigiles en poste. L’un d’eux file droit sur le toit du pavillon des mariés (PM4) et a eu la chance de voir quelques saboteurs en fuite. Empruntant le chemin du pavillon en construction entre PM4 et PM5.

D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi ont-ils décidé de saboter la marche ? Mystère et boule de gomme. Devant le pavillon C, une dizaine de personnes semblent déterminées à en découdre avec les marcheurs. L’un d’eux, muni d’une arme blanche, somme les manifestants de quitter les lieux. N’eût été l’intervention de quelques responsables du collectif Noo Lànk, les choses auraient pu dégénérer. Chez les manifestants, en tout cas, il n’y a aucun doute. On invoque la thèse de l’instrumentalisation.  Idy Ka, autoproclamé le ‘’Révolutionnaire’’, vêtu de son tee-shirt à l’effigie de Balla Gaye, déclare : ‘’C’est juste une minorité composée essentiellement de cartouchards et avec la complicité des vigiles, qui ont tenté de saboter la manifestation. Mais c’est peine perdue. Ils sont juste instrumentalisés par certaines autorités. On se connait entre étudiants.’’

Pour lui, le maintien en détention de M. Sagna est tout simplement une entorse à la dignité humaine. Raison pour laquelle il est venu se battre aux côtés des forces citoyennes. ‘’Je participe pour la première fois à une marche. C’est parce que trop, c’est trop. Tout le monde doit se battre pour cette cause. Nous exigeons la baisse du prix de l’électricité et la libération du patriote Guy Marius Sagna’’.

Comme à son habitude, le tonitruant Malal Talla alias ‘’Fou Malade’’ n’a eu de cesse de donner de la voix. Véritable bête de scène, il a aussi répondu aux jeteurs de pierres qu’il qualifie d’individus payés pour faire le sale boulot. Aux manifestants, il dit : ‘’Vous n’êtes pas comme les chiens à qui on donne des sous pour tenter de perturber. Ils vont acheter des sandwichs, ils vont se taper quelques filles... Qu’ils sachent que nous sommes imperturbables.’’

Embouchant la même trompette, Sonhibou Ndiaye, étudiant, les accuse d’être des membres du Mouvement des élèves et étudiants républicains, mais sans donner de preuves. ‘’Nous allons faire face’’, fait-il savoir.

MOR AMAR

 

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