Publié le 26 Oct 2018 - 02:35
MARGINALISEE DE SON PROJET DE 8 MILLIONS D’EUROS

Les griefs d’Energie R contre l’Aser et le Cereec

 

La société Energie R nourrit de graves suspicions dans un marché de plus de 5 milliards de francs Cfa dont elle est attributaire. Elle est presque laissée sur le carreau par ‘‘une entente directe’’ entre un de ses partenaires, Cereec, qui a fait cavalier avec l’Aser.

 

Energie R Sarl aurait-elle été mangée par de plus gros requins dans le marché d’Electrification rurale d’initiative locale (Eril) dans 40 villages des régions de Ziguinchor, Kolda, Sédhiou et Tamba ? A-t-elle perdu 8 millions d’euros après avoir gagné un appel à projet de l’Union européenne ?

Dans les couloirs de cette Pme, le fait que ce projet visant l’amélioration de l’accès aux services énergétiques propres et à moindre coût ait changé de main, a le goût d’une pilule amère. ‘‘Au moment où l’on parle, on se sait pas ce qui se passe. On s’est réveillé un beau matin pour constater qu’on est en train de nous faire éjecter de notre propre projet par l’Aser et le Cereec’’, nous souffle-t-on dans les couloirs de cette entreprise. Pis, au-delà de cette mise à l’écart institutionnelle, les responsables d’Energie R sont certains que cette récupération est d’autant plus préjudiciable que le projet risque de tomber à l’eau pour manque de suivi.

Les 3 000 usagers, 150 infrastructures et 120 activités génératrices de revenus qui devaient initialement bénéficier de cette connexion, sont sous la menace de voir l’initiative échouer. Le topo est que ce projet dénommé Développement durable par les énergies renouvelables (Dper Sud-Est Sénégal) a été initié et conçu par Energie R et cofinancé par l’Union européenne (74 %) et l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser 26 %) suite à un appel à projet initié par l’Ue.

La Pme Energie R, qui s’est alliée à une société allemande (Solar 23 Gmbh) pour mener à bien ce projet, a eu le mérite de voir son ‘‘bébé’’ faire partie de la trentaine sélectionnée parmi les milliers d’autres du monde entier. Néanmoins, elle s’est vue marginalisée de son propre projet en cherchant à compléter le financement résiduel. Après s’être démené pour décrocher 74 % des 8 682 115 millions d’euros de financement, cet opérateur dit s’être fait coiffer au poteau par son autre partenaire, le Centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la Cedeao (Cereec - Ecreee en anglais) qui était chargé de trouver les fonds restants, condition à laquelle la coordination du projet allait lui échoir. ‘‘Ce dernier est allé trouver l’Aser pour revendiquer les 74 % à son compte et a requis les 26 % résiduels. Au finish, on ne sait sur quelle base Energie R a été marginalisée, et l’Aser et le Cereec se sont retrouvés seuls aux commandes du projet’’, explique la source qui dit avoir contacté toutes les autorités concernées pour leur signifier ces manquements. 

En effet, le directeur exécutif du Cereec leur a notifié la décision d’invalidation de la convention de partenariat le 23 avril dernier, ultérieurement à sa démarche de facilitation. Ceci au motif que la Banque islamique de développement n’a pas réussi à mobiliser sa quote-part dans le financement global du projet. 

A Energie R, cette entente directe Aser-Cereec passe mal. L’on soupçonne ouvertement les violations de clauses de convention de la part du maître d’œuvre (Aser) et du coordinateur (Cereec). ‘‘Le projet ne peut atteindre sa conduite optimale à cause de la rétention des fonds alloués à Energie R et Solar 23 (plus de 2 millions d’euros) pour dérouler les activités qui nous sont imparties au terme des conventions de partenariat’’, s’offusque les responsables de cette boite. D’autres raisons de leur courroux ont trait à l’affectation péremptoire et non justifiée de ces activités à d’autres entités, la signature de contrats tous azimuts attribués en aparté par Cereec et Aser, la non-tenue de réunion de coordination depuis deux ans, malgré les sollicitations, sans suite, du codemandeur allemand Solar 23.

Les mises en garde de l’Ue

En tout cas, cette rupture de convention préconisée par la structure sous-régionale en avril dernier, n’est pas du goût de l’Ue. Saisie par Energie R, l’instance européenne co-financeur du projet à 74 % a averti le Cereec par courriel que les modifications ultérieures pourraient être rédhibitoires. ‘‘Le fait énoncé par le coordinateur selon lequel la convention signée entre les parties ne serait plus d’actualité parce qu’ayant été remplacée par une convention directe Aser-Ecreee ne change en rien les termes du contrat de subvention conclu entre les parties.

Celui-ci ne peut être modifié ou cédé à un tiers de quelque manière que ce soit sans l’accord préalable de l’Ue’’, précise-t-elle. Mieux ou pis, l’Ue avance que toute modification du contrat de subvention y compris le changement de bénéficiaire (Energie R) doit obligatoirement suivre les dispositions contractuelles et ne pourrait avoir pour objet les changements susceptibles de remettre en cause la décision d’octroi de la subvention. Toutes complications qui font que le projet, qui est déjà arrivé à échéance en septembre 2018, risque de voir la finalisation de sa phase opératoire reportée sine die. Inquiétude de plus pour l’opérateur Eril, un passage à l’échelle était envisagé en cas de réussite du Dper Sud-Est. Un projet d’envergure plus imposante, impliquant 40 villages, était en ligne de mire d’Energie R, en cas de test réussi. Mais il n’a d’autre choix que de renoncer à ce marché plus juteux ; de s’offusquer vivement ‘‘de ces agissements de l’Aser et du Cereec et demande une reprise du projet dans l’esprit et la lettre des clauses dans l’intérêt des populations cibles dont l’attente n’a que trop duré’’, déplore-t-on du côté d’Energie R. 

Baba Diallo, Dg Aser : ‘‘Ecarter, ce serait trop dire’’

Ces tiraillements ont-ils poussé le président de la République Macky Sall à zapper la visite de ce projet dans sa récente tournée économique ? Aucune référence n’y a été faite et des projets d’envergure moindre ont pourtant été surmédiatisés. En ce qui concerne les co-contractants de Energie R, l’un des project-managers du Cereec, contacté par téléphone, nous a redirigé vers l’Aser qui est son représentant à Dakar, à l’en croire. Ce qu’a gentiment nié le directeur général de l’Aser, Baba Diallo. Ce dernier d’avancer que l’agence d’électrification rurale ne représente qu’elle-même, avant de se lancer dans des explications pour clarifier cette situation en renvoyant la balle à l’Ecreee.

‘‘Ecarter, ce serait trop dire. Le rôle d’Energie R dans la nouvelle configuration, on peut étudier ce rôle-là. Mais bon, seul Ecreee peut nous clarifier là-dessus. Pour le moment, ce n’est pas vérifié’’, a-t-il déclaré à notre téléphone. Qu’est-il donc arrivé pour qu’Ecreee préconise la rupture de la convention et instaure un duopole avec l’Aser au détriment d’Energie R ? Une question à laquelle M. Diallo croit savoir que ‘‘la rupture de convention c’est possible selon le développement du projet et qu’il y a eu certainement des développements qui ont motivé ce changement-là’’, poursuit M. Diallo.

Dans la convention signée en décembre 2015, l’Aser s’était engagée à accompagner Ecreee et ses partenaires Energie R et Solar 23 dans la mise en œuvre de ce projet. Elle devait réceptionner, contradictoirement à Energie R, l’ensemble des équipements installés dans le cadre du projet, les mettre en service, puis en parfait état d’utilisation en présentant les garanties de fiabilité et de sécurité.

De l’avis de Baba Diallo, il n’y a pas de souci à se faire. Explications : ‘‘Le projet est en cours d’exécution. Pour ce qui est du réseau, c’est prêt. Pour ce qui est des centrales solaires, les conteneurs ont commencé à arriver au port. Il n’y a pas de problème.’’  Les délais dépassés depuis septembre dernier ne semblent pas l’émouvoir outre mesure. ‘‘Dans tout projet, il peut y avoir dérapage sur les délais. On est en octobre. Si on arrive à le faire dans les deux ou trois prochains mois, ce serait un délai raisonnable. Un dépassement de trois mois est du domaine de l’acceptable. L’essentiel est d’identifier les causes, situer les responsabilités des uns et des autres dans ce dépassement. Il doit y avoir une concertation incessamment. Ce matin (lundi dernier) on a parlé à la partie Ecreee’’, s’est justifié le Dg de l’Aser. Pour ensuite s’étonner des soupçons portés à l'encontre de son duopole. ‘‘Je ne sais pas où les gens veulent en venir. De mémoire, c’est difficile d’avancer certaines choses comme ça’’.

Les frustrations de l’opérateur Eril, nées de cette situation litigieuse, trouveront peut-être une issue heureuse dans l’article 7 de cette convention de partenariat où il est stipulé que l’arbitrage du ministre chargé de l’Energie est requis, en cas de différend persistant.

OUSMANE LAYE DIOP

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