Publié le 1 Jun 2016 - 02:16
MAURICE SOUDIECK DIONE, ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UGB

‘’Le Pds est un parti qui n’a jamais refusé le dialogue’’

 

La participation du Parti démocratique sénégalais (Pds) au dialogue national initié par le président de la République, samedi dernier, ne doit pas être surprenante. Selon Maurice Soudieck Dione, enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Wade n’a jamais refusé le dialogue, ‘’même au plus fort de la crise politique de 1988’’. Dans cet entretien avec EnQuête, il soutient que la participation du Pds à ces concertations n’est pas un danger pour les différentes coalitions de l’opposition.

 

Quelle lecture faites-vous du dialogue national du samedi 28 mai ?

Le dialogue national a été un moment d’échanges directs, sincères et fructueux entre les différents acteurs sociaux conviés, notamment entre le pouvoir et l’opposition.

Le président de la République a réussi à rassembler presque l’ensemble des segments de la société autour d’une table. En termes de retombées, que peut-il attendre de ce dialogue ?

Le fait d’avoir réuni l’essentiel des forces vives de la nation décrispe les tensions sociales et politiques. On peut espérer que si l’organisation et la méthode sont au rendez-vous pour poser judicieusement les problèmes ainsi que des modalités pratiques et efficaces de concertation et de synthétisation des échanges, cela peut permettre de surmonter beaucoup de difficultés auxquels le pays fait face.

Politiquement, qu’est-ce que le président de la République peut tirer de ce dialogue ?

Sur le plan symbolique, le Président gagne en renforçant sa posture d’autorité suprême de la nation. Il engrange également des dividendes politiques par une certaine mise en confiance des acteurs, notamment politiques, qui ont été nombreux à répondre à son appel. Le dialogue, s’il aboutit, devrait également l’aider à améliorer sa gouvernance aux plans politique, économique et social. Il devrait permettre aussi de dégager des consensus forts sur des questions vitales d’intérêt national, comme la gestion du foncier, de l’environnement, des ressources pétrolières et gazières, les réformes territoriales etc., et sur des questions névralgiques pouvant cristalliser des tensions politiques et mener à des crises, comme celles relatives à la gestion du processus électoral et plus généralement à la liberté, à l’égalité et à  l’équité dans la compétition politique. Cela est un gage de paix et de stabilité nationale, qui sont des conditions sine qua non pour apporter des réponses urgentes et pertinentes aux préoccupations des Sénégalais.

Contre toute attente, le Parti démocratique sénégalais (Pds) a répondu à l’appel du chef de l’Etat. Comment analysez-vous sa posture ?

Il faut dire à la décharge du Parti démocratique sénégalais que c’est un parti qui n’a jamais refusé le dialogue. Rappelez-vous qu’au plus fort de la crise politique de 1988, après avoir subi toutes sortes de brimades et envoyé en prison, Me Wade n’a jamais refusé de saisir la main tendue par le pouvoir pour éviter de faire sombrer le pays dans le chaos. Le Pds n’a jamais boycotté d’élections nationales, bien qu’il ait été le parti qui a le plus durement subi les pratiques politiques et électorales déloyales et les manœuvres de déstabilisation du régime socialiste d’alors. Il a participé à deux reprises à des gouvernements de majorité présidentielle élargie, de 1991 à 1992 et de 1995 à 1997, qui, replacés dans leur contexte, ont pu être analysés comme des stratégies pour faire évoluer le système démocratique de l’intérieur.

Comment appréciez-vous sa participation et son discours tenu devant le Président Macky Sall ?

Cela a été un moment de vérité. Le Pds a fait part de tous les griefs qu’il reproche au pouvoir en place : interdiction quasi-systématique de manifester, un droit pourtant reconnu par la Constitution, violation des droits et libertés des opposants, arrestations et détentions arbitraires, revitalisation d’une juridiction d’exception très controversée, la Crei, perçue comme un instrument de règlement de comptes politiques, un certain ostracisme dans la gestion des questions électorales etc.

‘’L’opposition vous respecte et reconnaît votre autorité’’, a dit Oumar Sarr à Macky Sall. Comment comprendre une telle précision ?

Je pense que c’était une précision importante. Car pendant longtemps, l’idée était véhiculée que le Pds n’acceptait pas l’autorité du Président Sall, Président de tous les Sénégalais. Donc c’est une mise eau point qui arrive à son heure. Peut-être que cette méprise a beaucoup joué dans les relations heurtées entre pouvoir   et opposition. Il est bon que l’opposition fasse preuve de retenue à l’égard de l’Institution présidentielle qui dépasse la personne de celui qui exerce la fonction. Car si l’Institution est fragilisée, c’est un risque pour tout le pays, y compris pour eux-mêmes puisqu’ils aspirent à exercer la fonction. Mais il ne faudrait pas perdre de vue que le président de la République, vu les ressources extraordinaires dont il dispose sur le plan informationnel, sur le plan coercitif, par rapport aux nombreuses gratifications qu’il peut distribuer, les ressources financières énormes dont il dispose, il est bon qu’on lui rappelle qu’il n’est ni un roi ni un dieu, mais un être humain qui peut oublier et se tromper, prendre de bonnes mais aussi de mauvaises décisions, surtout lorsqu’il est en même temps chef de parti. Les critiques objectives qu’on peut lui faire constituent le meilleur service qu’on puisse lui rendre.  

Derrière ce discours, certains observateurs décèlent des retrouvailles entre Macky Sall et son prédécesseur Abdoulaye Wade. Quelle est votre appréciation ?

Il peut y avoir des retrouvailles sur le plan humain et personnel entre les deux hommes. Cela est souhaitable, car le Président Sall doit beaucoup au Président Wade dans sa carrière politique. Ces retrouvailles, après des conflits et une période de compétition, peuvent participer à détendre le jeu politique. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des valeurs et principes démocratiques. Car les Sénégalais ont clairement sanctionné le PDS et ses alliés en 2012 pour élire le Président Macky Sall. Il faut que leur volonté soit respectée et qu’elle ne soit pas violée par des retrouvailles politiciennes qui portent atteinte à la qualité de notre démocratie. 

Ce dialogue national qui a vu la participation du Pds est perçu par certains observateurs comme une stratégie mise en branle par le président de la République pour disloquer l’opposition. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que l’opposition, notamment le PDS, est suffisamment mûre et expérimentée pour ne pas tomber dans ce piège. Mais en réalité, en politique, on ne nuit qu’à soi-même, car même si toutes les qualités n’y sont pas récompensées, toutes les fautes se payent, et parfois cash !

La posture du Pds par rapport à ce dialogue n’augure-t-elle pas une rupture avec ses alliés du Front patriotique pour la défense de la République ou encore de la coalition du NON/Gor ca wax jà ?

Cela ne me semble pas constituer un danger pour les différentes coalitions de l’opposition. Car les problèmes exposés par le PDS au dialogue national sont des problèmes transversaux qui intéressent toute l’opposition. D’autant plus que cette posture de construction du jeu démocratique entre concurrents-associés est nécessaire à la pacification du pays et à l’approfondissement de la démocratie et de l’Etat de droit. Mais les uns et les autres doivent avoir à cœur que la démocratie, c’est une majorité qui gouverne et une opposition qui s’oppose en vue de se poser, avec un projet alternatif, à l’issue d’élections libres et transparentes. Et qu’en attendant, son rôle donc est de surveiller, de critiquer l’action gouvernementale et de travailler à bâtir de meilleurs programmes. C’est à ce niveau que se trouve le vrai débat.

Comment analysez-vous la posture d’Idrissa Seck, de Pape Diop et de Malick Gackou ? 

C’est un peu la continuation d’une posture de confrontation. Mais la confrontation ne devrait pas exclure la possibilité de se retrouver de manière ponctuelle autour d’intérêts nationaux, car cela ne saurait entraver en rien les ambitions des uns et des autres pour remplacer le locataire de l’Avenue Léopold Sédar Senghor.

PAR ASSANE MBAYE & HABYBATOU TRAORE

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