Publié le 11 Jul 2017 - 07:35
MBAGNICK NDIAYE (MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION)

‘’Certains patrons poussent les reporters à être des mendiants’’

 

L’adoption du projet de code de la presse par les parlementaires étaient très attendue. Elle a eu lieu en début de semaine mais le texte dans sa totalité ne satisfait pas les organisations professionnelles de la presse. Dans cet entretien, le ministre de la Culture et de la Communication Mbagnick Ndiaye fait quelques précisions, dans cet entretien qu’il a accordé à EnQuête. Il diagnostique également, par moments, le secteur des médias.

 

Le code de la presse vient d’être voté, que ressentez-vous?

Il faut se féliciter que le code de la presse soit adopté car après 17 ans de tentative d’élaboration, voilà que nous arrivons au bout de rouleau. Il faut féliciter tous les acteurs qui ont participé à la rédaction de la dernière mouture. Je tiens à citer ici les anciens ministres de la Communication, Dr Bacar Dia, Moustapha Guirassy, Abdou Fall, Mamadou Diop Decroix, Aissata Tall Sall qui nous a dit qu’elle avait un empêchement, mais également les députés dont le président du groupe parlementaire (ndlr Benno Bokk Yaakaar, Moustapha Diakhaté). Il s’est battu corps et âme pour que le travail entamé soit terminé. Il faut également remercier Babacar Touré, Madiambal Diagne, Mamadou Ibra Kane de Africome. Ce sont des gens qui se sont beaucoup investis.

Il faut saluer et remercier les patrons de presse ainsi que toutes les associations de la presse et de l’audiovisuel notamment l’Urac, le Synpics, le Cored. C’est après qu’est née la Cap (Ndlr Coordination des associations de presse). Elle n’est pas une structure légalement reconnue. C’est un regroupement pour défendre des intérêts. Je remercie enfin les agents du ministère de la Culture et de la Communication sans oublier maintenant les rédacteurs initiaux du projet. Je pense à Mouhamadou Bamba Niang, un brillant magistrat, ainsi que M. Touré. Tout ce groupe a permis d’améliorer le projet. Une mention spéciale à Macoumba Koumé et Cheikh Thiam qui, du début à la fin, ont été les rapporteurs généraux.

Les associations professionnelles ne sont pas totalement satisfaites comme vous vous l’êtes !

Maintenant que le code est adopté, il y a beaucoup de récriminations. J’ai vu hier Lissa (ndlr Ibrahima Lissa Faye, Appel) à la télévision déverser sa bile. Il était au cœur de ce que nous avons fait en tant que président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel). C’est normal qu’il le fasse mais ce n’est pas le plus important. Le plus important aujourd’hui est que le Sénégal ait le code. C’est un pas de géant qui est fait avec cette adoption dans le cadre de l’organisation, de l’environnement de la presse d’une manière générale. Le code va permettre de savoir qui est journaliste et qui ne l’est pas. Je m’excuse du terme mais c’est n’importe quel Sénégalais qui se réveille et qui se dit journaliste. Le fait d’avoir une carte après passage devant la commission va constituer un moyen de laver à grande eau cette profession remplie de gens qui se réclament journalistes et qui ne le sont pas. C’est un acquis que les gens auraient dû  saluer.

Ces récriminations ne sont-elles pas justifiées si l’on considère que le consensus de Saly a été rompu ?

Il n’y a pas de consensus de Saly. Encore une fois, il faut qu’on se comprenne bien. C’est par la volonté de l’Etat qu’on les a associés. L’Etat aurait pu élaborer son document, le faire valider par les structures étatiques, l’adopter en conseil des ministres et l’envoyer sans pour autant les associer. Mais quand l’Etat a dit : faisons un code inclusif et consensuel, j’ai pris sur moi la responsabilité historique de convoquer les anciens ministres, d’associer toutes les personnalités qui auraient pu apporter quelque chose.

Lissa était au début de ce processus à Saly. On a discuté pendant des jours. Je me souviens, une nuit, on est resté à discuter jusqu’à 2h du matin pour nous entendre sur une disposition particulière : qui a le droit d’interdire ? On a dit l’autorité administrative, ils se sont agrippés. Ils ont dit que la tutelle ou le ministère peut faire telle ou telle autre chose. Ils ont dit que c’était de la politique politicienne. De discussion en discussion, on est tombé d’accord sur l’autorité administrative locale. Ce sont les Lissa, Bacary Domingo Mané qui se sont battus pour ça. Quand on est sorti du séminaire de Saly, on avait mis en place un petit comité d’intégration des observations. Après la rencontre de Saly (du 22 au 24 septembre 2016), on avait une mouture et avec ce comité, on avait une deuxième mouture. Et c’est cette dernière qu’on a  transférée au gouvernement pour étude.

L’Etat a fait ses observations. Il était d’accord sur un certain nombre de dispositions et ne l’était pas sur d’autres qui étaient anticonstitutionnelles ou qui allaient à l’encontre d’autres dispositions. Ça, c’est le rôle régalien de l’Etat. Ce n’est pas à des associations de le faire ni à des corporations. Quand la Cap a voulu défiler, protestant, manifestant, nous les avons reçus ici. Dans la discussion, nous avions pensé qu’au sortir de tout ça, avant que le dossier final ne soit validé, qu’on le leur transmette d’abord. C’était des concessions qu’on a voulu faire de part et d’autre. Mais immédiatement après, ils nous ont tous insultés. Ils nous ont accusés de vouloir bloquer l’aide à la presse. On  ne peut pas discuter avec quelqu’un, avoir un consensus avec lui, aller vers une direction consensuelle et lui jeter après des pierres. On s’est concertés au niveau du ministère et on s’est dit qu’on ne peut pas continuer à subir des attaques gratuites. Au moment où cela se passait, nous n’avons pas appliqué toutes les recommandations de la Cour des Comptes. Nous avons fait violence sur nous-même en prenant cette responsabilité historique de dire : on respecte certaines dispositions et pas d’autres. Nous sommes fautifs. Quand on donne l’argent, ce sont les patrons de presse qui en profitent, pas les journalistes. Je suis dans le milieu comme eux.

Vous considérez donc que ce sont les associations de presse  qui ont rompu le consensus ?

Ah ! C’est eux qui nous ont attaqués ! Et puis un consensus, c’est quoi ? On est tous parti à Saly. On est tombé d’accord sur un document global. Ils sont revenus ici dans la salle de conférence, ils ont réaménagé le document. On ne peut pas continuer à aménager, réaménager, etc. Un code est un cadre général, il comporte des perfections et des imperfections. Quand il a été approuvé, on a pensé qu’il était parfait. On a continué la discussion en cherchant d’améliorer ce qui n’était pas parfait à travers les décrets d’application. Il y a une bonne dizaine de décrets d’application qu’il faut prendre et ils sont extrêmement importants. Nous sommes en train d’identifier les différents décrets.

Cela ne va-t-il pas prendre trop de temps ?

Il faut une loi portant création de l’autorité de régulation de l’audiovisuel (Ara). C’est en préparation comme les décrets d’application. Je pense que d’ici la fin de l’année, tous ces textes seront bouclés. Parce qu’on a un mois de campagne électorale à partir de juillet. Nous qui sommes politiques et très souvent sur le terrain serons engagés. Ensuite, il y a les vacances gouvernementales. Mais à la rentrée, vous verrez une cascade de décrets d’application.

Peut-on s’attendre à ce que les termes ‘’secret défense’’, ‘’secret de l’instruction’’ etc. soient explicités dans ces derniers ?

Non, non, ils ne peuvent pas faire objet d’un décret. Ce sont des dispositions générales, particulières qui sont là pour encadrer les choses. Il faut le dire sans sourciller : chez vous les journalistes, il y en a qui n’ont pas de limites et disent ce qu’ils veulent. J’en suis victime tous les jours. Combien de fois m’a-t-on qualifié de tous les noms d’oiseaux ? Sur les sites internet, ce sont des insultes tous les jours. C’est dire qu’il faut encadrer l’exercice de cette profession. Je vais vous donner l’exemple des photomontages. Vous pensez que c’est sérieux ça ? Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Tout le monde se rappelle le photomontage fait avec une photo de Mame Madior Boye.

Regardez ce qu’ils ont fait avec le Président Macky Sall. Heureusement que lui, il a un grand cœur et a dit qu’il pardonnait au moment où les gens disaient le contraire. Cela a ému tout le monde. Il faut quand même qu’on ait des moyens pour assainir. Il ne faut dire ou écrire tout ce que l’on veut sous prétexte qu’on est journaliste. Le journaliste n’est pas un supra homme. Il est sénégalais comme nous tous. Nous mangeons le même ‘’ceebu jën’’, le même ‘’ñeleng’’, le même ‘’ngurbaan’’. Nous le mangeons ensemble, nous le partageons. Pourquoi voulez-vous après ça maintenant prendre  votre plume et me traiter de tous les noms d’oiseaux ? Je crois qu’il y a des dispositions que nous allons voir avec les journalistes pour encadrer certaines choses. On ne peut pas aussi permettre un libertinage.

Les organisations professionnelles de la presse demandent que ces termes soient définis !

C’est défini. Regardez la dernière mouture du code. Nous avons défini ce que nous entendons par ‘’secret défense’’. C’est la définition consacrée que nous avons prise.

Il faut reconnaître tout de même qu’il y a trop de sanctions

Les sanctions sont là et elles vont tomber. Elles ne sont pas excessives. Quand on se permet d’insulter ou de dire des mauvaises choses par exemple sur un simple citoyen et qu’après la sanction, on ose dire que c’est excessif ! Pourquoi en écrivant, l’on ne se dit pas que c’est excessif ? Il faut arrêter quand même ! On ne peut salir quelqu’un,  lui faire du mal et à sa famille et ne pas penser aux sanctions. Quand on écrit quelque chose et qu’on le met en ligne à la minute qui suit, c’est le monde entier qui est mis au courant. On insulte gratuitement ou parce qu’on est payé. Il faut le dire, souvent, on paie certains d’entre vous pour écrire des choses. Heureusement que ce n’est pas tout le monde qui accepte d’être payé pour insulter d’honnêtes gens. Et ça, je le reconnais quand même. Tous les acteurs sont d’accord qu’il faut assainir le milieu de la presse.

Quels sont les amendements majeurs apportés ?

Il y a deux amendements majeurs. Nous pensions que si quelqu’un ne suit pas une formation en journalisme mais qu’il a une licence dans une autre branche, il lui fallait 4 ans de pratique pour prétendre à une carte professionnelle. Certains ont trouvé que c’était excessif. D’autres ont dit : c’est bon. Parce que dans la première mouture de 2010, les gens avaient prévu licence plus 3 ans de pratique. Quand on lit vos journaux, convenez avec moi que les articles sont truffés de fautes.

Je lis toujours les journaux. Souvent je rectifie et je me permets même d’appeler dans les rédactions comme faisait Senghor. Si Senghor était encore là, beaucoup de journaux allaient fermer. La veille du vote du code, Bacary Domingo et Kane (Ndlr Mamadou Ibra Kane du Cdeps) étaient là dans mon bureau avec Moustapha Diakhaté. On a débattu sur cette question et finalement, on s’est dit : on laisse les 2 ans. Ce n’est pas un consensus ça ? Le deuxième amendement concerne le texte. Il était dit que pour créer une entreprise de presse, il faut que 51% des actions soient détenues par des Sénégalais. Il était indiqué dans une autre disposition qu’un étranger a droit à 20% au maximum. Ils ont proposé que cela soit 49% des actions qui peuvent être détenus par un Sénégalais comme par un étranger et cela a été changé.

Le code ne prend pas en charge le traitement salarial. Qu’est-ce qui va être fait pour changer la convention existante ?

On va réviser la Convention. Le ministre du Travail est déjà saisi. On va regrouper autour de l’Etat toutes les associations syndicales, professionnelles de la presse pour mettre en place la convention. Cette dernière a plus de 15 ans. Elle n’est plus en conformité avec la réalité. Le code est là et maintenant, qui n’est pas journaliste ne pourra pas exercer ce métier. Ainsi, les grilles salariales seront respectées. S’il y a des patrons qui ne veulent pas les respecter, il faut les traduire devant la Justice. Les journalistes ont une part de responsabilité dans cette affaire. Il y a des journalistes qui restent pendant 2, 3 ou même 4 mois sans être payés et qui ne disent rien. Certains patrons poussent les reporters à être des mendiants, à courir derrière l’argent, les séminaires et autres.

Que renferme le Fonds de développement de la presse qui remplace l’aide à la presse ?

AlhamdouliLah, il n’y a plus d’aide à la presse. AlhamdouliLah, il n’y aura plus d’aide à la presse, (Il se répète). Maintenant, il y aura un Fonds d’appui au développement de la presse. Il va nécessiter un décret d’application dans lequel seront énumérées toutes les procédures à suivre pour ceux qui souhaitent en bénéficier. Il faudra dégager les orientations pour lesquelles le Fonds a été mis en place. Il faut, pour le moment, retenir que le fonds va permettre à l’entreprise de presse d’évoluer. Quand l’entreprise a un dossier, un projet, elle peut le soumettre au fonds. Il l’appuie et après, elle rembourse. Ce n’est pas gratuit. Quand une société de presse a besoin de matériels par exemple, le Fonds peut procéder à l’achat de ces derniers et après, l’entreprise rembourse. Il n’y aura plus donc d’argent liquide à donner. Ainsi, les journalistes pourront être dans de meilleures conditions. Les entreprises peuvent investir pour avoir des moyens de déplacement, pas de ‘’Jakarta’’ mais de bonnes voitures.

Après les décrets d’application, que fera l’Etat pour faire respecter cette loi ?

Ce sont des journalistes qui siégeront au sein du comité chargé de délivrer les cartes professionnelles. Je pense qu’ils vont se faire le plaisir et l’honneur de se dire : on balaie, on nettoie. C’est extrêmement important. S’ils n’y arrivent pas, l’Etat va les y aider. Pour les manifestations, par exemple, la carte sera exigée. Cela va rendre crédible cette profession. L’Etat a mis un cadre général, c’est aux journalistes de se battre pour donner plus de crédibilité à leur corporation.

D’aucuns trouvent que vous êtes plus un ministre de la Culture que de la Communication, que leur répondez-vous ?

L’adoption du code de la presse relève du domaine de la communication et non de celui de la culture. Aussi, nous avons un secrétaire d’Etat à la communication. Il faut bien que, de temps en temps je m’éclipse pour qu’il prenne les dossiers. C’est ça la solidarité gouvernementale. Dans ma jeunesse, j’étais pigiste au ‘’Soleil’’ pendant plusieurs années. Je signais sous le pseudonyme  ‘’Mame Ndiaye’’. A l’époque, Amadou Gaye était chef du bureau de Thiès. Ablaye Bâ était le chef de celui de Kaolack. J’étais basé à Mbour. Je faisais du ‘'xar màtt’’. J’étais directeur du Cdeps de Mbour et correspondant du ‘’Soleil’’ dans le département. C’était pareil quand j’ai été affecté à Kaffrine. Je suis également président de ‘’Ndef-Leng’’. Je suis dans le milieu. Avec ce statut, j’ai trois stations qui fonctionnent actuellement : ‘’Ndef-Leng Fatick’’, ‘’Ndef-Leng Diourbel’’, ‘’Ndef-Leng Dakar’’ et il est prévu l’ouverture de ‘’Ndef-Leng Ziguinchor’’. C’est dire donc que  je ne suis pas un étranger dans le  milieu de la presse. 

BIGUE BOB

 

Section: