Publié le 9 Jun 2016 - 03:46
ME JEAN BAPTISTE KAMATE, (PRESIDENT DE L’ORDRE NATIONAL DES HUISSIERS DE JUSTICE DU SENEGAL)

‘’Notre travail participe au fonctionnement quotidien des juridictions mais…’’

 

En marge de la cérémonie d’ouverture des 4èmes rencontres Afrique-Europe des huissiers de justice et des officiers judiciaires, le président de l’Ordre national des huissiers de justice du Sénégal, Me Jean Baptiste Kamaté, a levé un coin du voile sur leur profession. Entre préjugés, fausses considérations et confusions entre huissiers et clercs d’huissiers, Me Kamaté apporte des réponses.

 

La profession d’huissier n’est pas très connue au Sénégal. Pouvez-vous nous dire quelles sont aujourd’hui vos difficultés dans le cadre de votre travail ?

Notre profession se porte assez bien, avec beaucoup de progrès mais, malheureusement, ces progrès ne sont pas connus. Maintenant, notre première difficulté, dans le cadre de notre travail, c’est la question de l’assistance à exécution. Je dirais même la problématique de l’assistance à exécution. Pour la comprendre, il faut simplement imaginer qu’un huissier soit en face d’une rébellion physique au cours de saisie, de démolition, d’expulsion.

Au début, c’est une personne, après un groupe. Il y va de votre intégrité, de notre vie. Et la formule exécutoire qui est apposée sur les décisions dit clairement ceci : la République du Sénégal mande et ordonne à tout huissier sur ce requis de mettre à exécution ledit jugement, aux procureurs généraux, aux procureurs de la République, aux commandants des forces de l’ordre, de prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis. Au départ, la décision est rendue au nom de la République du Sénégal. A la fin, le Sceau mande et ordonne aux huissiers. Ce sont des ordres qui leur sont donnés pour exécuter la décision. Donc, quand on fait face à une difficulté, on introduit une requête pour demander l’aide des forces de l’ordre.

Nous avons observé et il nous est revenu, par les rapports des confrères, qu’il est devenu extrêmement difficile d’avoir l’assistance de ces forces publiques-là. Il y a sans doute des raisons objectives qui l’expliquent mais, nous ne devons pas nous en arrêter là. Nous devons faire preuve d’imagination, voir comment contourner ces raisons objectives-là.

Si la décision n’est pas exécutée, c’est le lit d’une insécurité juridique et judicaire, c’est le lit d’un développement de mode alternatif privé de règlement de litige. Donc, c’est une grande problématique.

Au lendemain d’un séminaire en septembre 2014, il a été recommandé un conseil interministériel et de là pourraient, peut-être, découler des solutions pratiques.

Hormis la difficulté relative à l’assistance, il semble aussi que vous avez des problèmes d’ordre financier dans le cadre de votre travail

Oui. C’est vrai. L’un de nos problèmes est lié au fait que toute prestation mérite un salaire, une contrepartie. Le tarif des huissiers, parce que notre profession est réglementée, normée, ne peut pas souffrir d’une inflexion autre que celle faite par le juge, dans le cadre d’une taxation. Autrement dit, pour des raisons de confraternité, de conformité à la réglementation tarifaire, il est interdit à l’huissier de faire une sous tarification.

Mais, il y a derrière ce beau principe une grande difficulté liée au fait qu’en février 2012, est intervenu un nouveau décret qui réaménage les droits de recouvrement des huissiers sous forme de motivation pour service fait. Ce texte dans son principe fixe les droits de recouvrement sur la base des sommes recouvrées, selon un taux dégressif allant de 5% à 1.5%. Sur ce poste bien précis, les huissiers de justice sont les moins bien payés des Etats de la sous région. Il peut arriver que l’on ne recouvre que le versement, que l’encaissement ne se fasse pas par l’huissier ou que le versement n’ait pas lieu entre ses mains. Donc, la question de la preuve se pose. On vous demande de rapporter la preuve de l’encaissement ou du recouvrement si vous voulez faire la taxation. Donc, le travail est fait mais, malheureusement, le paiement est différé.

Autre difficulté, vous savez, l’huissier intervient dans la matière pénale pour convoquer les parties au procès à la requête du ministère public. Cela participe au fonctionnement quotidien des juridictions, c’est important car, si les parties ne sont pas convoquées, la personne en détention y demeure.

Donc, on peut comprendre que cela ait des conséquences sur la population carcérale ?

Effectivement. Voilà un effet sur la population carcérale. C’est à la charge de l’Etat puisque ça participe du fonctionnement des juridictions. Nous avons relevé la périodicité dans le paiement. Il se trouve que des états, à ce jour, sont demeurés impayés depuis 5, 6 ans. Il y a aussi la modicité du coût. Ce tarif en matière pénale date de 1966 et a été légèrement révisé en 1975. Le tarif n’a pas évolué.

Les frais dus à cet effet sont logés dans ce qu’on appelle les frais de justice criminelle et correctionnelle. A l’époque des assises, on puisait sur ces fonds. Aujourd’hui, les Chambres criminelles puisent sur ce fonds-là. C’est plusieurs personnes qui concourent aujourd’hui avec les experts, les traducteurs, l’organisation des Chambres criminelles, les huissiers. Or, ce fonds nous paraît faible. Il faudrait peut-être voir comment les autorités compétentes peuvent la relever. Mais en convoquant les statistiques, les huissiers peuvent dire sur l’étendue du territoire : voilà le nombre de citations faites, la masse que ça représente. En faisant dans la perspective, on peut avoir un élément de pondération pour trouver de manière graduelle l’évolution de ce fonds. Il nous paraît aussi nécessaire d’aller vers l’institution d’un compte spécial du trésor pour sécuriser le paiement de ces états. Parce que, pour ceux qui sont dans les régions, il n’y a pas de matière civile ni commerciale.

C’est le parquet qui les fait travailler. Et en travaillant avec le parquet et en n’étant pas payés, ils ont de grands soucis de trésorerie ; cela peut déteindre sur la qualité du travail. C’est une grande question pour laquelle il faut des solutions. L’une des conséquences directes, c’est que des confrères sont décédés, à ce jour, leurs états n’ont toujours pas été payés. Des confrères sont à la retraite et ils sont dans la même situation, dans un système où il n’y a pas de retraite organisée en tant que tel. Mais là, le rôle de l’ordre consiste à pouvoir concevoir et mettre sur place un système de retraite. C’est la porte ouverte avec les assureurs, les banques. S’ils étaient payés, ils auraient pu investir ailleurs.

Pouvez-vous nous expliquer clairement la différence entre le huissier et le clerc d’huissier parce qu’il y a souvent une confusion entre ces deux titres…

Le clerc, c’est un collaborateur de l’huissier. Il travaille avec et sous la responsabilité de l’huissier. C’est un agent de l’huissier. En tant qu’agent, l’huissier fait prêter serment au clerc, l’huissier fait des actes authentiques et tous ces actes sont signés par lui-même. Maintenant, le clerc va souvent sur le terrain. S’il n’y avait pas de clerc, l’huissier serait submergé. Le clerc, c’est un facteur humain de l’exploitation d’une charge d’huissier.

Quelles sont les conditions pour être clerc

Les clercs sont logés en 3 catégories : les clercs de troisième catégorie, de deuxième catégorie et de première catégorie. Les clercs de 3ème catégorie ont le niveau scolaire du BFEM. En l’absence du diplôme, une formation peut leur être organisée par l’Ordre des huissiers avec une attestation au bout de la formation. Et sur la demande de leur patron, ils prêtent serment.

On est clerc de 2ème catégorie quand on a le niveau bac et avec deux à trois ans d’expérience, on est clerc de 1ème catégorie,

Pour la première catégorie, il faut quelques notions juridiques, notamment avoir le DEUG en droit ou avoir deux à trois ans d’expérience comme clerc de 2ème catégorie. Ce sont des collaborateurs organisés, figurant sur des registres, attachés à des cabinets. Ils ne sont pas volants, ils sont attachés à des cabinets. Ils ne sont pas free lance. Un clerc a toujours une carte professionnelle par devers lui. Il est clair que le justiciable est dans son droit de demander à quelqu’un qui vient lui remettre un acte de lui présenter sa carte professionnelle. A défaut, il faut appeler l’Ordre ou l’huissier le plus proche pour qu’il vienne faire son constat parce qu’il peut y avoir des abus, usurpations de titre.

Pouvez-vous nous expliquer cette question relative au statut d’huissier stagiaire et d’huissier

Ce que je veux dire, c’est qu’à la fin des deux ans, le certificat obtenu, vous perdez le statut de stagiaire mais vous n’êtes pas huissier. Cela dit, tant que vous n’avez pas de charges, vous n’avez pas encore la qualité d’huissier. Il faudrait voir comment progresser car ça peut être frustrant de faire un stage et d’attendre trois, quatre, cinq ans. On peut faire tout ce qu’on veut mais, quand une charge se libère, vous venez compétir pour l’avoir.

Que se passe t-il quand un huissier décède ?

Quand un huissier décède, ce qui se passe, c’est que le procureur général fait apposer des scellés sur l’étude, avec un jour qu’il va déterminer, en présence de l’Ordre des huissiers, aux fins de procéder à l’inventaire des lieux. Après cet inventaire, les minutes des actes sont transmises à l’ordre des huissiers et les pièces sont transmises à l’huissier qui est chargé d’assurer l’intérim. Entre-temps, il faudra qu’un intérimaire soit désigné. Le ministère prend un arrêté pour désigner quelqu’un qui doit assurer l’intérim. Maintenant, pour être huissier intérimaire, il faut appartenir au même ressort.

Pourtant, il n’y a pas d’huissier partout sur tout le territoire national

Il y a la nécessité d’existence d’huissiers sur le territoire mais, il y a aussi les conditions de vie, d’existence de ces huissiers. Et en ce sens, l’Etat a son rôle à jouer pour créer les conditions afin que les huissiers puissent être partout sur le territoire national mais aussi, les huissiers doivent faire preuve d’imagination. Aujourd’hui, à la faveur du nouveau décret du 20 mars 2015, c’est possible. Parce qu’il faut le dire, notre profession a connu de réelles avancées mais, elles sont malheureusement inconnues. Vous pouvez être désigné séquestre, conciliateur, médiateur, administrateur de biens, gérer des immeubles, faire de la politique.

Quand on a ces compétences-là, il reste la prise en charge. Moi, je crois que les huissiers doivent sortir de leur monopole.  Dire que je fais ça, c’est ma profession, A mon avis, ce n’est pas prendre pleinement conscience de ces opportunités qui nous sont offertes. En ce sens, l’Ordre doit aller vers la formation pour faire prendre connaissance aux confrères des opportunités qui s’offrent à nous, qu’on puisse mettre tout le monde à niveau. C’est ça l’inflexion du nouveau décret.  Le tarif est organisé par un décret. Mais le statut dans ces dispositions prévoit que dans toutes les compétences facultatives, l’huissier est relevé du tarif. Ces coûts sont déterminés à l’amiable.

 

Section: