Publié le 23 Mar 2014 - 02:23
ME NDOUBALO LAMIAN ABDOU (BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DU TCHAD)

“Les choses seront très compliquées pour la partie civile” 

 

Pour le président du Conseil  de l’ordre des avocats du Tchad, Hissein Habré, par sa stratégie du silence, sait parfaitement ce qu’il fait, en attendant un éventuel procès.

 

Quel regard porte le Bâtonnat du Tchad sur le dossier Hissein Habré dont les procédures d’instruction ont été enclenchées ?

Nous attendons beaucoup de l’issue de cette procédure, surtout que cela se passe dans un pays africain francophone qui est considéré comme une référence. Nous pensons que les choses se passeront bien. Nous faisons confiance aux magistrats qui ont été choisis dans ce contexte et sommes convaincus qu’ils feront le travail pour lequel ils ont été désignés. Nous n’avons pas de crainte à ce sujet au regard de leur compétence reconnue au plan international.

Quelle est votre position face à la constitution de partie civile demandée par l’Etat tchadien ?

L’avocat de l’Etat tchadien est peut-être mieux placé que moi pour justifier cette volonté. L’Etat est une continuité, les parties civiles sauront désintéresser les victimes. Les personnes seront désintéressées par qui si ce n’est par l’Etat lui-même ? Si l’avocat devient partie civile, je crois que son avocat pourra mieux justifier tout cela.

Mais vous, quelle lecture en faites-vous au plan juridique au regard de l’évolution du dossier Habré ?

Là je parle en tant que bâtonnier. Nous déplorons que dans ce dossier-là, le barreau du Tchad soit mis à l’écart. C’est quand même un dossier marquant pour l’histoire de l’Afrique en général, l’histoire du Tchad en particulier. On nous tient soigneusement à l’écart et on apprend comme vous à travers la presse comment les choses évoluent. C’est en cela que nous nous réjouissons de votre déplacement vers nous pour nous interroger.

A quel niveau souhaitez-vous y être associé ?

Le barreau du Tchad doit quand même rendre compte aux générations futures de ce pays de ce qu’elle aura fait dans cette affaire. Nous estimons devoir bénéficier au moins du titre d’observateur pour voir comment les choses se passent. Mais effectivement, nous ignorons tout de ce qui se passe !

Êtes-vous prêts à défendre Hissein Habré s’il sollicitait vos services ?

Pourquoi pas ? C’est un citoyen tchadien, d’Afrique, et plus simplement un être humain. Il bénéficie actuellement de la présomption d’innocence. Alors, et je l’ai dit en d’autres occasions, si je peux le défendre, je le ferai, sans arrière-pensée.

Vous estimez que Habré est une victime. Expliquez-nous.

Je ne dis pas qu’il est victime mais il peut être victime aussi. Nous sommes dans nos Etats en Afrique dans un système où on accompagne le chef dans tout ce qu’il dit, son entourage l’accompagne. Personne ne conteste et à un moment, on se croit un petit dieu qui peut tout se permettre. Vu sous cet angle, on peut considérer Hissein Habré comme victime.

Vous ne craignez pas le pouvoir en place si vous deviez accepter cette charge ?

Pas du tout. Ici au Tchad on défend déjà des dossiers assez délicats. Je dis que je peux défendre Hissein Habré car la profession que j’exerce me l’impose, m’en donne le droit. Je n’ai pas un problème de clause de conscience quand bien même j’ai des parents qui sont morts sous le régime de Habré dont mon petit frère à moi, celui qui est venu après moi. Cela ne m’empêche pas de participer à la manifestation de la vérité.

Avocat, que pensez-vous de la stratégie du silence des avocats de Hissein Habré ?

Je ne peux pas savoir mais je crois qu’ils se réservent pour se manifester le moment venu. Ils préparent leur défense.

Vous pensez qu’ils vont entrer dans le procès ?

Cela dépend de l’étape de la procédure qui en est à l’instruction. Ils évitent peut-être des sorties médiatiques désordonnées.

Vous lui auriez conseillé le silence, vous ?

Je ne connais pas très bien le dossier, alors il m’est difficile de me prononcer. Mais je crois que c’est une affaire importante. Dans le dossier d’un confrère ici au Tchad, pendant que nous n’étions pas là, le secrétaire de l’Ordre et moi, la procédure a été biaisée et le collectif des avocats a demandé à son client de ne pas répondre aux questions du juge. Tout dépend de l’allure que prend la procédure.

Que pensez-vous de Me El Hadj Diouf, un des avocats de Hissein Habré ?

Il sait ce qu’il fait. Il ne m’appartient pas de critiquer son attitude ou sa manière de procéder. Il n’agit pas seul, il agit dans un cercle d’avocats et je crois que c’est de concert avec ses confrères qu’il joue ce rôle. On ne peut pas lui en vouloir pour cela, pour le moment. (…) Hissein Habré n’a pas fait du hasard en choisissant Me El Hadj Diouf, il sait ce qu’il fait.

Vous nous disiez que des difficultés peuvent survenir pour l’accusation.

Effectivement, la partie civile doit démontrer preuves à l’appui sur quoi elle fonde ses prétentions. C’est un rôle difficile !

Les choses vous semblent plus faciles pour la défense ?

Pour la défense, ça dépend. (…) J Je pense que le procès est bien parti d’autant plus qu’au moment où nous en sommes, des enquêteurs sillonnent le Tchad et ont des éléments de preuve à leur disposition. Ce qui va sûrement amener la défense, un jour où l’autre, à faire face à ces preuves-là et à se prononcer. Je ne sais pas à quel moment elle va se décider à le faire mais je pense que les preuves sont là, avec beaucoup d’enquêteurs sénégalais.

Les avocats de Habré ne sont jamais venus au Tchad. C’est une anomalie ?

Peut-être qu’ils estiment que ce déplacement ne servira pas à grand-chose. Peut-être aussi que leur client leur a fourni assez d’éléments pour étouffer la défense. Ça m’étonne aussi qu’en venant ici au Tchad ils rencontrent des gens disposés à leur fournir des éléments pour étayer leur défense.

Tout à fait autre chose, quelle est la situation des droits de l’Homme aujourd’hui au Tchad ?

Comparativement à l’époque passée, il y a des efforts qui se font, de manière plus ou moins timorée mais ça marche quand même. Mais la maladie de nos Etats reste la mésentente entre le pouvoir Exécutif et les composantes de ce que l’on appelle le quatrième pouvoir dont la presse et les organisations de la société civile en générale. Je ne pense pas que cette mésentente soit excessive mais c’est regrettable que des hommes des médias soient inquiétés.

Dans le cas du Tchad, cela arrive quand il y a généralement violation des règles déontologiques qui guident la profession de journaliste. Des poursuites sont alors engagées, les avocats assistent les journalistes de manière régulière et des décisions tombent. Je crois que nous sommes quand même dans un jeu démocratique, ce qui ne peut être à l’origine de violations massives de droits de l’Homme.

PAR MOMAR DIENG (Envoyé spécial au Tchad)

 

 

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