Publié le 11 Dec 2018 - 01:47
Me PAPE SENE, PRESIDENT DU CSDH

‘’Certains préfèrent les activistes, parce qu’ils font du tapage’’

 

Président du Comité sénégalais des Droits de l’homme et maire ‘’apériste’’ de Ndol-Ndol, Maître Pape Sène dresse un état des lieux sur le respect des droits et libertés des Sénégalais, sa double casquette d’homme politique et de défenseur des droits humains, entre autres.

 

Ce lundi, la communauté internationale célèbre le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Pouvez-vous revenir sur la situation des droits humains au Sénégal ?

La Déclaration universelle des Droits de l’homme, c’est le droit commun en matière de droits humains. C’est le texte fondamental sur lequel les défenseurs des Droits de l’homme peuvent se fonder pour mener à bien leur travail. A l’instar des autres pays, le Sénégal célèbre cette journée qui est organisée par le ministère de la Justice, puisqu’il préside le comité de pilotage dont nous sommes membres.

Par rapport à votre question, on peut dire que c’est une situation stable et nous avons des indicateurs dont le plus récent c’est la présentation du Sénégal, le 5 décembre dernier, de son rapport national devant le Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies. Comme vous le savez, le Sénégal a été plébiscité par plus de 122 Etats, même s’il lui a été fait 256 recommandations. Les 228 ont été validées séance tenante à l’occasion de la validation du rapport provisoire. Tous ces Etats ont décerné un satisfecit à notre pays, non seulement pour son engagement à promouvoir les Droits de l’homme, mais également à les faire respecter. Le Sénégal a ratifié presque toutes les conventions internationales ; il a transposé, dans son droit interne, l'ensemble de ces instruments et a mis en place les mécanismes de leur mise en œuvre.

Sur les textes, le Sénégal peut effectivement avoir fait des avancées. Mais c’est dans la pratique que cela pose problème. Il y a aussi des textes comme l’arrêté Ousmane Ngom que les gens considèrent comme entravant les droits des citoyens. Qu’en pensez-vous ?

Je ne comprends pas pourquoi les gens se focalisent sur cet arrêté. Beaucoup pensaient également que le Sénégal allait être interpellé sur des cas spécifiques. Mais ni l'affaire Khalifa Sall ni celle Karim Wade ou cet arrêté n'ont été évoqués parce qu'en réalité, ce sont des cas particuliers. Avec l'Epu, c'est l'environnement global des droits humains qui est évalué. Qu'est-ce que le Sénégal a fait ? Qu'a-t-il fait en termes de réforme, d'institution mise en place, de progrès ? Je pense que pour ce qui est de l'arrêté, il faut d’abord rappeler qu’il date de 2011. Je pense qu'il appartient aux différents acteurs de tout faire, s’ils estiment que cet acte réglementaire est contraire aux libertés, ou un excès de pouvoir. Tant que l’acte n’est pas rétracté ou annulé par la chambre administrative, elle est opposable à tout le monde. Mais ce n’est pas l’arrêté Ousmane Ngom qui interdit directement. A chaque fois, il y a un nouvel arrêté pour refuser à un demandeur l’organisation d’une manifestation sur ce périmètre. Les gens peuvent donc, s’ils le souhaitent, saisir les juridictions pour qu’elles statuent sur la validité ou non de ces interdictions. Si ces arrêtés récents sont remis en cause, Ousmane Ngom sera en même temps vidé de sa substance. Je pense que ce sont des épiphénomènes face aux avancées significatives de notre pays.

Après la validation, des Etats comme la France sont venus féliciter le Sénégal pour les mesures prises, et également saluer le courage de cette délégation présente à accepter, séance tenante, sans rejeter, presque les 95 % des recommandations. Je pense que c’est plus important que de s’attarder sur des individualités. Mieux, à partir du 1er janvier, le Sénégal va même présider le Conseil et c’est la consécration de nos efforts.

Justement, qu'est-ce que cela va apporter au Sénégal en matière de protection des droits humains ?

Lorsque vous présidez le Conseil, c'est parce que, quelque part, vous bénéficiez de la confiance de vos pairs. Cela montre que le Sénégal se positionne en matière de protection et de promotion des Droits de l'homme et il est évident que notre pays va bien continuer les efforts  entrepris dans ce sens. On ne peut être à la tête de ce Conseil et régresser. On va continuer à faire des réformes, à nous conformer aux engagements internationaux et améliorer l'environnement des droits humains. Le Sénégal est sur la bonne voie et ce n'est pas aujourd'hui, au moment où il préside le Conseil, qu'il va régresser.

C’est donc une source de motivation supplémentaire pour le Sénégal qui va renforcer son dispositif en matière de droit de l'homme, en accélérant les réformes entreprises et qui doivent être opérationnelles d'ici au prochain passage du Sénégal devant le groupe qu'il va présider.

Quand le Sénégal se fait consacrer par les pairs, l’Etat se réjouit. Quand il est condamné, il se rebelle. Pourquoi cette posture à double vitesse ?

Non, il ne s'agit pas de condamnation. La vocation de ces juridictions communautaires et internationales des Droits de l'homme, ce n'est pas de prononcer des décisions de condamnation. Dans ces affaires, ce qui a été dit est très clair. S'agissant de l'arrêt de la Cedeao, il a soulevé un certain nombre de dysfonctionnements dans le cadre du procès de Karim Wade devant la Crei. Lesquels dysfonctionnements ont entraîné une violation des Droits de l'homme. Tous les pays du monde sont confrontés à ce genre de problème. Il arrive très souvent, dans le cadre du service public de la justice, que des violations soient effectivement commises. C'est ce que la Cedeao a relevé. Maintenant, le plus important, c'est que le Sénégal puisse prendre en compte toutes les observations qui ont été faites. Je crois que le Sénégal, avec les dernières recommandations, a pris bonne note et je crois qu'il prendra le temps nécessaire, d'ici 6 mois, le 9 mai, pour apporter des réponses écrites parce que c'est un engagement international qu'il a pris et le Sénégal n'est pas prêt à se débiner. Les Droits de l’homme, au Sénégal, c’est une réalité. Bien qu’il y ait des imperfections de temps à autre, le Sénégal reste un bon élève.

Il y a aussi les restrictions faites par le gouvernement sur l’utilisation des réseaux sociaux. Pour beaucoup, c’est un recul par rapport à la liberté d’expression.

Nous, nous sommes des adeptes de la liberté d’expression. Si, aujourd’hui, nous célébrons le 70e anniversaire, la presse y a joué un rôle important. Nous militons donc pour la liberté d’expression, particulièrement la liberté de la presse. Mais la liberté n’est jamais absolue. Que ça soit la liberté de presse, que ça soit la liberté de manifester ou d’aller en grève, toutes ces libertés font l’objet d’un encadrement. Aujourd’hui, il est important de promouvoir ces nouvelles formes de communication basées sur les Tic, mais il est également important de mettre en place des garde-fous. Car la liberté des uns, comme on dit, s’arrête là où commence celle des autres. C’est dans ce sens qu’il faut inscrire cette réforme du Code des télécommunications et qui inclut donc les réseaux sociaux qui font des ravages. On n’a pas le droit, sous le prétexte de la liberté de la presse, de porter atteinte à l’honorabilité d’une personne. C’est aussi ça le rôle de l’Etat : garantir la liberté, mais aussi protéger chaque citoyen. Et la thématique de cette année est assez édifiante là-dessus.

Les gens craignent surtout des visées électorales avec cette mesure…

Moi, je ne le pense pas. Je pense que cela n’a rien à voir. C’est juste une catégorie d’hommes politiques qui font ce tapage médiatique pour parler de bâillonnement de la presse et des citoyens. Cette réforme, il faut la lire sous un angle positif. On ne peut faire le parallélisme avec l’élection. C’est un débat purement politicien. Et dans l’application, on se rendra compte que tout ce qui se dit n’est pas du tout fondé.

Comment se fait-il qu’on n’entend pas trop le Comité quand les droits des citoyens sont bafoués ?

Je pense que c’est une fausse perception. Ce qu’on nous reproche c’est de ne pas faire comme les activistes. Nous, notre vocation n’est pas d’être dans les médias à taper sur l’Etat. Nous avons la possibilité de recevoir des plaintes, de nous autosaisir de certaines questions, de faire des constats, rassembler des preuves, situer des responsabilités et faire des recommandations à l’Etat. C’est cela notre rôle, non de dire que l’Etat a tort, le citoyen a raison ou vice-versa.  On s’adresse directement à l’autorité concernée pour mettre un terme à la violation. C’est à peu près le même travail qu’effectuent les mécanismes des Nations Unies. Nous mettons aussi beaucoup l’accent sur la promotion des droits humains, car s’il y a une bonne promotion, on peut ne pas parler de protection. Dans les régions minières, par exemple, on fait beaucoup de choses pour promouvoir les droits des communautés. Nous avons même mis en place un observatoire national pour le respect des Droits de l’homme dans le secteur extractif. Le comité a aussi joué un rôle très important dans le cadre des travaux de l’Aibd. Nous avons pu éviter des conflits sociaux grâce parfois à l’intervention du Comité. C’est vrai que les populations, ou certaines, préfèrent ces activistes qui font du tapage. Ils sont dans leur rôle, mais nous n’avons pas le même profil. Nous sommes une institution nationale indépendante régie par la loi. Nous exerçons donc notre métier dans ce cadre. Nous le faisons en toute indépendance. Sans aucune injonction.

Votre casquette de membre du parti au pouvoir ne déteint-il pas négativement sur votre fonction ?

C’est une question à laquelle j’ai répondu depuis très longtemps. Ça fait maintenant trois ans que je suis à la tête de cette institution. Et ceux qui connaissent le Comité savent qu’il est devenu beaucoup plus actif. De par ma profession d’avocat, je suis un fervent défenseur des Droits de l’homme. Il faut me juger sur la base de mon travail. Il n’y a pas de confusion possible.

Pouvez-vous revenir un peu sur les missions du Comité ?

Le Comité est l’institution nationale de promotion et de protection des Droits de l’homme. Le Sénégal est un pionnier en manière de droit de l’homme. Dès 1970, notre pays avait son comité. La loi prévoit que le Comité est un organe d’observation, de consultation, de dialogue, mais également de conseil. Nous sommes aujourd’hui le premier conseiller de l’Etat en matière de droits humains. Nous jouons aussi un rôle d’interface entre la société civile et l’Etat. Chaque année, nous déposons un rapport dans lequel on revient sur la situation des Droits de l’homme, mais aussi renseigner sur les activités que nous menons dans le cadre de la promotion et la protection des droits des citoyens. Le tout sanctionné par des recommandations. Lesquelles recommandations ont été prises en compte aussi bien dans le cadre de la réforme des codes pénal et de procédure pénal. Il y a aussi l’introduction prochaine du bracelet électronique qui est une vieille doléance du Comité.

Finalement, ce que vous êtes en train de faire dans ce Comité, n’est-ce pas la même chose que ce que fait la Direction en charge des droits humains ?

Non, il faut faire la part des choses. La Direction est rattachée au ministère de la Justice. C’est l’administration. Le Comité, lui, est une institution indépendante. Cela ne pose aucun problème. Nous travaillons en parfaite harmonie, parce que les objectifs sont les mêmes. Chacun joue son rôle dans le respect des compétences des autres.

Quel regard portez-vous sur les dernières mesures rendues publiques par le ministre de la Justice pour résoudre le problème de surpeuplement des prisons ?

D’abord, nous saluons la nouvelle dynamique. J’en félicite le ministre de la Justice qui a d’ailleurs renoué avec les rencontres annuelles avec les magistrats du parquet. C’est une très bonne chose. Maintenant, la question du surpeuplement des prisons est une réalité qu’on ne peut occulter. Les récentes modifications de la législation s’inscrivent dans cette dynamique, mais je pense que ces réformes n’ont pas encore commencé à produire tous les effets escomptés. C’est pourquoi le ministère est en train de redéfinir la politique. Et l’usage du bracelet électronique est une solution parmi d’autres. Il faut aussi éviter les mandats de dépôt automatiques. La liberté est le principe. Le surpeuplement s’explique également par les longues détentions provisoires. Je pense que si elles sont bien mises en œuvre, ces mesures peuvent permettre de désengorger les prisons. A moyen ou long terme, il faudra construire des prisons et appliquer les peines alternatives.

Fatou Sy et Mor Amar

Section: