Publié le 9 Mar 2018 - 12:58
MEDECINE LEGALE

Inquiétude sur le déficit de médecins légistes 

 

Dans la justice comme dans la médecine, ils jouent un rôle important. Et pourtant, les médecins légistes sont peu nombreux et très mal répartis à travers le territoire. Le sujet a été abordé mercredi, lors du démarrage de la 7e Conférence annuelle de la Société africaine de médecine légale.

 

Au Sénégal, ils ne sont que 32 médecins légistes pour une population de plus de 14 millions d’habitants. Ils sont très mal répartis dans le pays. Les régions de Thiès, Saint-Louis, Tambacounda et Ziguinchor n’en disposent pas, d’ailleurs. Pour le professeur agrégé qui s’est exprimé ce mercredi, à l’occasion de la 7e Conférence annuelle de la Société africaine de médecine légale, la problématique réside dans la formation et ne concerne pas uniquement la médecine légale. Elle touche toutes les autres spécialités. Pour les jeunes médecins qui passent à l’internat, a expliqué le professeur Mohammed Soumah, il leur est demandé de faire une spécialisation en 4 ans, après le Doctorat. Et cela entraine des coûts supplémentaires. L’Etat a consenti un énorme effort, en mettant en place des bourses pour les formations, mais tout le monde ne peut en bénéficier. Ce qui fait qu’il y a un manque dans l’offre de formation en troisième cycle pour les étudiants en médecine.

‘’A côté de ces difficultés médicales, nous avons des problèmes sociaux. Quand un jeune médecin sort, la famille est derrière. C’est un diplômé ; qu’on lui demande 4 ans de plus, en ressources additionnelles, c’est parfois difficile’’, souligne-t-il. Pour le professeur Mamadou Lamine Sow, le nombre de médecins légistes au Sénégal est trop minime.  ‘’En France, il y a 300 médecins légistes pour une population de 60 millions d’habitants. En Guinée, il y a 5 médecins légistes pour 12 millions d’habitants, en Côte d’Ivoire il y en a 6 pour 15 millions d’habitants. Il faut revoir cela’’, a-t-il plaidé.

Selon le maitre de conférences agrégé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Mohammed Soumah, un médecin ne peut pas être un spécialiste de l’évaluation corporelle, s’il n’est pas impartial. ‘’Nous sommes les juges du médecin, en même temps le médecin des juges. Nous sommes l’interface. Lorsque le juge a besoin de médecin pour évaluer certaines choses pointues dans la médecine, il fait appel à nous. Mais, en même temps, nous sommes les juges des médecins. Si un confrère est accusé pour une faute médicale, on peut nous commettre comme expert en responsabilité médicale pour voir s’il a réellement commis une faute médicale. Pour ces différents aspects, si le médecin légiste n’est pas le premier gardien de ce code de déontologie, il ne peut pas se faire appeler médecin légiste’’, a-t-il précisé.

S’agissant des autopsies qu’ils sont les seuls habilités à faire, il a soutenu qu’un projet de loi est en cours de rédaction pour une révision des tarifs. Pour lui, les autopsies interviennent quand il y a une mort suspecte et subite. Dans ces deux cas, précise-t-il, l’autopsie est obligatoire, ce qui n’est pas le cas quand elle est dite naturelle. La mort subite est celle qui intervient de manière tout à fait soudaine chez un sujet apparemment sain. Selon le spécialiste, cela arrive souvent dans le sport. Il peut soulever des questions, mais, le plus souvent, après autopsie, cette mort subite se révèle être une mort naturelle. ‘’C’est le troisième type qui pose le plus de problème. C’est la mort suspecte’’, a expliqué le Pr. Soumah.

A l’en croire, dans les morts naturelles, le résultat est l’aboutissement d’un processus endogène. Par contre, pour la mort suspecte, on pense que c’est quelqu’un d’autre qui a entrainé le décès. Pour ces disparus, c’est la loi qui demande l’autopsie pour la préservation de l’ordre public. Pour que personne ne puisse tuer impunément. ‘’Il revient au juge de nous saisir ; nous prononçons un obstacle médico-légal à l’inhumation’’. En outre, l’autopsie n’est toujours pas comprise par les populations qui tentent souvent de s’y opposer. Pourtant, a-t-il précisé, les plus grandes découvertes concernant les maladies, en médecine, ont été faites à partir de l’autopsie. ‘’C’est à travers l’autopsie qu’on a pu avoir une description complète de certaines maladies pour pouvoir mieux prendre en charge ceux qui sont encore en vie. Cette résistance existe partout, c’est à nous de faire comprendre que c’est pour la société’’.

En fait, l’autopsie est une prescription légale. Au Sénégal, l’autopsie médico-légale a débuté en 1975. Auparavant, la famille de la victime avait le droit d’y opposer son veto. Mais aujourd’hui, pour toute mort suspecte, inexpliquée, il faut une autopsie, a indiqué le médecin légiste.

L’autre facette du médecin légiste

Le médecin légiste est sans doute mal connu des Sénégalais. Beaucoup pensent que son rôle se résume à examiner des morts. D’où l’expression ‘’médecin après la mort’’ qui leur colle à la peau. Pourtant, le médecin légiste intervient dans beaucoup de domaines et surtout avec les vivants.

Selon lui, le médecin légiste intervient auprès des vivants pour analyser des situations de violences (dans la prise en charge judiciaire des victimes). Dans ce cas, dit-il, ils sont amenés à collaborer avec de nombreux autres spécialistes (gynécologues, pédiatres, médecins urgentistes, etc.) pour évaluer les séquelles des accidents, des agressions. D’ailleurs, c’est grâce aux médecins légistes que beaucoup de maladies sont découvertes, des vies sauvées.

Ils essayent aussi de déterminer la ou les causes de lésions ou  de décès suspects. ‘’Il intervient classiquement pour faire parler les corps morts, lors d’une autopsie. Il peut être amené à faire une recherche de toxique, des analyses biologiques ou encore utiliser des techniques d’imageries médicales’’, a expliqué un spécialiste.

VIVIANE DIATTA

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