Publié le 19 Sep 2018 - 16:38
MEDICAMENTS FRAUDULEUX SAISIS A TOUBA BELEL

Un procès et des zones d’ombre

 

Les trois cents colis de vingt-et-un types de médicaments d’une valeur de 1 335 160 000 F Cfa saisis par la gendarmerie de Touba Belel, continuent de défrayer la chronique. Qui sont les véritables commanditaires de ce trafic ? Le procès d’hier n’a pas permis d’y apporter une réponse. Le parquet a requis 7 ans de prison ferme pour les deux prévenus.

 

Le coin du voile n’a pas été soulevé, dans le procès des médicaments frauduleux saisis, le 11 novembre 2017, par les gendarmes du poste de Touba Belel. Ainsi, on n’en sait pas plus sur les commanditaires de ce vaste trafic de médicaments dans la ville sainte. L’avocat de la défense, Me Serigne Khassimou Touré, a même suggéré ‘’d’amener une délégation judiciaire, si on veut vraiment découvrir qui est derrière Bara Sylla’’. Toujours est-il que cette affaire, qui tient en haleine toute la ville, a enregistré, hier, une foule. La salle d’audience du tribunal de grande instance de Diourbel a été de nouveau prise d’assaut, dès le matin.

On se rappelle que, lors de l’audience du 17 juillet dernier, la défense avait soulevé comme exceptions ‘’l’incompétence de l’officier de police judiciaire de Touba qui aurait outrepassé ses compétences en interrogeant un prévenu appréhendé par la brigade de recherches, le non-respect des dispositions de l’article 55 bis du Code de procédure pénale et du règlement 5 de l’Uemoa, l’absence de présence ou  représentation de l’accusé lorsque des prélèvements ont été faits sur les médicaments saisis et la constitution de partie civile de l'Ordre national des pharmaciens et du Syndicat national des pharmaciens du Sénégal’’. Le tribunal les a toutes rejetées.

Après cette décision très attendue, pouvait débuter l’interrogatoire des prévenus. Le convoyeur Amadou Woury Diallo, né en 1941, a dit avoir fait ‘’la déclaration en douane, mais qu’il n’y a eu aucune vérification de la marchandise’’. Selon ses explications, ‘’c'est après dédouanement qu’on (lui) a remis les papiers justificatifs. C’est au niveau de la frontière entre la Guinée et le Sénégal que j’ai pris le camion. J’avais quitté Touba pour cela. Le véhicule était couvert, mais je ne savais pas ce que je transportais’’.

‘’C’est à Touba que le son de blé devrait être vendu, mais je ne sais pas qui devait le faire. Je devais laisser le son de blé à la place indiquée, dans un magasin, mais je ne sais pas à qui cela appartient’’, a-t-il ajouté. Interrogé sur ses relations avec Bara Sylla, le septuagénaire a laissé entendre qu’il l’a connu en prison, mais qu’il ne l’avait jamais vu auparavant. Amadou Oury Diallo a aussi contesté les accusations portées contre lui. ’’C’est à Alieu qu’on m’a arrêté. Si je savais que c'étaient des médicaments frauduleux, je ne les aurais pas amenés, parce que je sais c'est interdit’’.

Bara Sylla : ‘’Des pharmaciens viennent m’acheter des médicaments’’

Bara Sylla a lui accepté que les produits de massage lui appartiennent. Il dit les avoir achetés en Guinée. ‘’J’avais donné une avance de 10 millions et le reste, 20 millions, devait être remis après-vente. C’est mon vendeur qui assure les frais (transport, dédouanement et autres). C'est le 10, la veille, qu’on m’a informé que la marchandise est arrivée. C’est à Dakar que j’ai été arrêté (Grand-Yoff), mais je n’avais pas pris la fuite’’. Propriétaire d’un dépôt de médicaments depuis 2003, il renseigne que ‘’des pharmaciens viennent lui en acheter’’.

Lors des plaidoiries, le conseil du syndicat des pharmaciens a souligné qu’il s’agit, dans cette affaire, d’une question de santé publique, ‘’parce que, dit-il, nous utilisons des médicaments pour nous soigner et quand ils ne soignent pas, ils empoisonnent. C’est Bara Sylla qui a convoyé les médicaments de la Guinée à Touba. Au début, il reconnaît une partie, aujourd'hui, uniquement ceux de massage. Il n’est pas sorti de l’auberge. Il s’est associé avec d’autres personnes. Les déclarations qui sont contenues dans les Pv les engagent totalement, parce qu’ils les ont signés. Ces médicaments étaient destinés à tous les Sénégalais’’. Me Baba Diop d’ajouter : ‘’Ces prévenus menacent la vie de millions de Sénégalais, depuis 2003. C’est de la contrebande. Le préjudice est inestimable. Nous demandons la symbolique somme d’un milliard de francs Cfa. Ces genres de personnes, il faut les atteindre là où ça fait mal : la poche’’.

Me Abdoulaye Babou : ‘’J’ai été menacé de mort’’

Son confrère, Me Massokhna Kane, conseil de l’autre partie civile - l’ordre des pharmaciens - n’a également pas fait dans la dentelle. ‘’Ce genre de délit, a-t-il martelé, va bientôt relever du crime. C’est un trafic international et ça tue énormément de personnes. Les faux médicaments créent énormément de préjudices, notamment l’insuffisance rénale. Cinq cents à 700 ont eu besoin de subir la dialyse, en une année, entre 2016 et 2017. Si l’enquête avait été approfondie, d’autres personnes auraient été saisies. Il faut les retenir dans les liens de la détention, les condamner à payer la somme d’un milliard, avec la contrainte par corps au maximum’’.

Objet de menaces de mort depuis quelque temps, pour avoir dénoncé cette affaire, Me Abdoulaye Babou a dit toute sa déception : ‘’Le trafic de faux médicaments qui a tant tué au Sénégal. Sept cents dépôts de pharmacie hors contrôles. Ce sont les pauvres qui meurent de ces faux médicaments. Nous attendons une réaction musclée de la part de l’Etat. Mais il a failli, dans sa mission, à travers ses institutions (gendarmerie). Les marabouts n’ont pas été interpellés. Bara Sylla est un puissant. Il vit en prison comme un pacha. Les gens meurent de ces médicaments sans qu’aucune des autorités ne prenne ses responsabilités. J’ai été menacé de mort. Ce qui se passe en Colombie se passe à Touba. Les gros bonnets se mobilisent pour se cotiser avec le même modus operandi. Trois individus ont tenté de m'agresser, après ma plaidoirie. Je les attends à Touba. J’ai avisé le tribunal, mais ils n’ont pas réagi’’, a lancé l’avocat.

A sa suite, le ministère public a, dans son réquisitoire, demandé que ‘’ces personnes soient arrêtées’’. Il a requis 7 ans d’emprisonnement et une amende de 2 millions de francs Cfa.

‘’Ce sont les pharmaciens qui arrosent le marché Ocass de Touba’’

Après l’avocat général, Me Serigne Khassimou Touré de la défense a déclaré : ‘’Nous sommes restés sur notre faim, avec la détermination des peines. Il faut prouver les actes matériels qui ont été posés entre Amadou Oury Diallo et Bara Sylla. La partie civile et le parquet n’ont pas articulé sur les chefs d’inculpation. Les appels téléphoniques sont des éléments froids, ils ne renseignent pas sur l’association de malfaiteurs. La justice est devenue une vraie demande sociale. Nous ne voulons pas d’une justice à la clameur de l’opinion publique’’. La robe noire de poursuivre : ‘’Me Babou a voulu vous amadouer. Serigne Touba ne parle pas à ceux qui fréquentent cet endroit. Touba n’est pas la Colombie. Est-ce que l’enquête est sérieuse ?’’

Lui aussi veut que les véritables commanditaires soient poursuivis. ‘’On fait toutes les opérations sans que les concernés ne soient pas invités. La justice n’a pas bien été distribuée. C’est le conditionnement qui fait défaut, mais pas la qualité. Les parties civiles ne parlent pas le même langage. Quel crédit accorder à cette cacophonie ? Aucune des infractions n’a été consommée. Ce sont les pharmaciens qui arrosent le marché Ocass de Touba.  Bara Sylla n’a pas été pris la main dans le sac’’.

Le conseil a demandé que la partie civile soit déboutée de toutes ses demandes.  Verdict le 7 novembre prochain.

DJIBY YACINE GUEYE (DIOURBEL)

Section: