Publié le 14 Feb 2017 - 22:24
MENACES, ATTAQUES, REMONTRANCES…

Macky, un président tireur d’élite 

 

Macky est sorti de son silence, et c’est encore  des menaces. Depuis son accession à la tête de l’Etat, son discours est plus musclé que celui d’un chef de guerre. C’est un vrai snipper, qui généralement de l’extérieur, vide son chargeur sur la classe politique et les différentes couches de la société.

 

"Il faut que certains gens aillent chercher autre chose à faire que de dire des choses qu'ils ne maîtrisent pas. Des gens qui n'ont rien à faire de leur vie à part errer, profitent des situations dont ils ne savent rien, pour dire n'importe quoi et essayer de manipuler les Sénégalais. Ils ne connaissent rien de la situation actuelle, mais il faut qu'ils parlent tous les jours même si c'est pour ne rien dire." Ainsi s’exprimait le président de la République réagissant à la polémique née de la panne de l’appareil de radiothérapie de l’hôpital Arstide Le Dantec. Bien que le débat soit agité depuis plus d’une semaine, Macky Sall a attendu d’aller jusqu’à Dubaï, loin du pays, pour se défouler sur une cible qu’il ne veut pas nommer. Ainsi, à la place de proposition de solutions, le chef de l’Etat a préféré vider son sac.

Sur la toile, beaucoup de ses concitoyens n’apprécient pas cette sortie virulente. Certains l’assimilent même à ‘’une insulte contre les Sénégalais’’. Est-ce désormais une stratégie de communication définitivement adoptée par le Président ? Ou au contraire, s’agit-il là d’un signe d’une prise de parole mal maîtrisée ? En tout cas, le constat est fait, Macky Sall aime les discours musclés, quel que soit par ailleurs le ton. S’il ne tance pas ses collaborateurs ou qu’ils les mettent en garde, il se défoule sur l’opposition ou profère des menaces contre d’autres acteurs de la société. Pour un oui ou pour un non, il peut s’énerver.

Avant cette dernière sortie, le patron de l’APR, inaugurant le pont de l’Emergence, avait demandé à ses adversaires politiques de faire attention à lui. ‘’Ils (les responsables de l’opposition) ont l’habitude de me lancer des piques. Il faut qu’ils arrêtent car je suis un lion qui dort. Un lion qui dort, personne n’a intérêt à le réveiller car, au cas échéant, il va se lever et foncer directement sur vous pour vous blesser’’, lance-t-il au milieu de ses partisans.  Ce n’était pourtant pas la première. Car déjà en février 2013, face à ses militants à New York, le leader de l’Alliance pour la République avait employé les mêmes mots.  ‘’Méfiez-vous du lion qui dort’’, avait-il dit.

Du temps où il était premier ministre, Macky Sall avait le visage toujours fermé de sorte qu’il avait fini par se voir affubler du surnom de ‘’Ñangal’’. C’est d’ailleurs à cette époque qu’il avait voté à Fatick sans sa carte nationale d’identité qu’il avait oublié à la maison. Au président du bureau de vote et à ses hommes, il avait dit : ‘’De toute façon, vous me connaissez.’’ Devenu candidat à la présidentielle, surtout entre les deux tours, il a soigné son image pour donner l’impression d’être moins sévère. Mais comme le dit l’adage : chassez le naturel, il revient au galop. Depuis qu’il est devenu président de la République, il est revenu à ses premières amours. La tonalité de ses interventions trahit la nature de l’homme.

Lutte contre le terrorisme

Macky Sall a profité du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique pour s’exprimer pour la première fois sur l’arrestation des imams. Une sortie qui va surtout dans le sens d’une mise en garde adressée à l’opposition. ‘’Nous venons d’arrêter des imams au Sénégal. J’ai entendu des hommes politiques essayer de faire le lien ; je les invite à faire très attention. La lutte contre le terrorisme ne saura tolérer ce genre d’écarts parce qu’il s’agit de la sécurité nationale, de la sécurité des personnes et des biens. Nous ne saurions, pour des raisons politiciennes, tolérer un certain type de discours et cela, tout le monde doit le comprendre’’, avertit Macky Sall. Même ton pour ce qui est de la burqa qualifiée de ‘’façon excessive d'imposer une manière d’être’’.

En août 2014, lorsque l’étudiant Bassirou Faye a reçu une balle fatale de la police lors d’une manifestation, le Président était hors du pays. Une fois de retour au bercail, il n’avait pas attendu d’être au Palais pour s’exprimer. C’est plutôt au salon d’honneur de l’aéroport de Dakar qu’il va s’adresser à la nation, avec une mention spéciale destinée à l’opposition. ‘’Au moment où il faut appeler à la sérénité, au dépassement et au dialogue, voici que des personnes pensent pouvoir allumer le feu à l’Ucad pour atteindre le pays. Ils pensent pouvoir envoyer les enfants d’autrui au devant des affrontements. Qu’ils soient tués ou blessés pour qu’ils en tirent profit. Ils en porteront la responsabilité. Force restera à la loi’’, a-t-il prévenu.

Pour ne laisser place à aucune ambigüité sur sa détermination, Macky Sall se fera encore plus précis dans la version wolof de la conférence de presse. ‘’Je vous le dis ici, il n’y aura pas de désordre. C’est moi qui vous le dis. Et on verra. Tout est devant nous’’, renchérit-il, tout en précisant  qu’un seul président a été élu le 25 mars 2012 et non deux présidents. Des propos qui s’adressaient de manière à peine voilée à son prédécesseur Abdoulaye Wade.

Et ce n’est pas la dernière fois que le ‘’fils adoptif’’ s’adressait ainsi à son ‘’père politique’’ devenu son plus farouche adversaire. A l’occasion de l’organisation du sommet de la francophonie à Dakar en novembre 2014, la partie de l’opposition réunie autour du Front patriotique pour la défense de la République (FPDR) avait promis de tenir une manifestation avec ou sans autorisation de l’autorité. Laquelle décision, faisant suite à différentes autres initiatives du FPDR, avait fini par irriter le chef de l’exécutif, dans un contexte où Abdoulaye Wade avait décidé de réserver une suite défavorable à l’invitation qui lui avait été faite de participer au sommet en sa qualité d’ancien Président.

‘’Cette personne n’a qu’à essayer si…’’

De Rome où il se trouvait face aux militants de son parti, Macky Sall, sans le nommer, lance un défi à son ex-mentor. "Personne n'est au-dessus de la loi. Celui qui pense qu'il s'agit de paroles en l'air n'a qu'à essayer. Je suis intransigeant sur ce point. Le Sénégal est une démocratie qui respecte les libertés publiques et individuelles mais, il y a certains actes que je ne saurais tolérer. On n’acceptera jamais qu’une personne, quelle qu’elle soit, se place au-dessus des lois. Cette personne n’a qu’à essayer si elle pense qu’il s’agit de paroles en l’air’’. Faisant encore recours au wolof, il termine ainsi : ku yaakaar ne damay waxantu, essayel xool  (qui croit que je fais du baratin n'a qu'à essayer)’’.

Bien que les opposants en prennent pour leur grade, ils sont loin de détenir l’exclusivité. Ces genres de propos sont comme des mises au point qu’un père effarouché distribue à ses enfants indélicats. C’est ainsi qu’à la suite d’une longue grève qui a tenu le pays en haleine, les enseignants en ont eux aussi pris pour leur grade. A l’occasion d’une rencontre qu’il a eue avec les syndicalistes, il leur a montré qu’ils commençaient à l’agacer par leurs revendications. ‘’Vous n’êtes pas les seuls dans ce pays. Il n’y a pas que des salariés. Vous êtes une minorité, secteurs public et privé confondus. Et vous voulez prendre le pays en otage ? Pourquoi et au nom de quoi ? Parce que vous êtes syndiqués et vous êtes intellectuels, je dis non !” peste-t-il, tout en promettant d’employer la méthode forte pour mettre un terme au chaos.  

‘’Sorti  de  la cuisse de Jupiter’’

Si ce type de discours se limitait à ceux qui sont en face du Président, on en déduirait que c’est l’effet de l’adversité. Mais ses partisans aussi en font les frais, peu importe qu’ils restent avec lui ou qu’ils décident de le quitter. Pour le dernier exemple, prenons le cas Moubarack Lo. Cet ex-directeur de cabinet adjoint a démissionné en novembre 2013 au moment où le chef de l’Etat était en déplacement au Koweït. Sans attendre son retour, Macky Sall réagit avec une rare violence dans ses propos. ‘’On ne peut pas travailler pour les Sénégalais en se croyant supérieur, directement issu de la cuisse de Jupiter. C’est inadmissible de voir les gens manquer autant d’humilité, alors qu’ils prétendent servir les Sénégalais’’, peste-t-il.

Visiblement décidé à vider son sac, il continue à se défausser sur l’économiste en des termes qui trahissent l’allergie qu’il a contre les critiques. ‘’Je travaillerai avec ceux qui pensent au Sénégal avant de penser à eux-mêmes. La première règle à s'appliquer quand on veut travailler avec moi, c’est l’humilité. Ceux qui sont prétentieux, hautains, qui regardent les autres avec condescendance, ne pourront pas rester longtemps avec moi. Ceux qui ne peuvent pas se soumettre à cette règle minimale d’ouverture et d’humilité (…) peuvent s'en aller.’’ Voilà qui est dit. Seulement ce ‘’hautain’’ ‘’sorti de la cuisse de Jupiter’’ est à nouveau avec lui, cette fois-ci auprès du Premier ministre.

 ‘’La météo, le brouillard, c'est trop facile’’

Lorsque Macky vous confie une responsabilité publique, préparez-vous à être victime d’un de ses coups de colère. Le week-end du vendredi 29 au samedi 30 mai 2015 a été marqué par une coupure d’électricité exceptionnelle. En l’espace de 48 heures, tout Dakar et une bonne partie de l’intérieur du pays ont été privés de courant. La SENELEC a alors sorti un communiqué pour indexer l’humidité. Un argument pas convaincant aux yeux du chef de l’Etat qui le fait savoir à sa manière.

''La météo, le brouillard, oui mais c'est trop facile ! (…) Ce sont des explications qui ne rentrent pas dans la tête. Il faut que des mesures fermes soient prises pour que cela ne se reproduise plus. (…) On ne peut pas continuer à dépendre du bon vouloir du fonctionnement des centrales et je pense que les contrats de performance doivent mettre l'accent sur la qualité du service public. (…) Je serai extrêmement intransigeant sur cette question parce que je ne crois pas au fatalisme. Si nous voulons atteindre l'émergence il faut que les gens soient rigoureux.''

La SDE et la SONES avait failli dans la fourniture d’eau, parce que dépendant de l’électricité de la Senelec. Macky leur a envoyé une ‘’facture’’, très salée du reste. ‘’Il faut que la SONES et la SDE prennent leurs responsabilités pour avoir une autonomie énergétique parce qu'on ne peut pas assurer l'approvisionnement en eau du pays et dépendre d'une autre société''. Les exemples peuvent être multipliés. La SN-HLM, la SICAP, Ben Laden Group, et d’autres encore ont aussi subi ces coups de sang. Même les partenaires internationaux sont ouvertement critiqués ‘’pour leurs procédures différentes et compliquées qui valent chacune une thèse’’, selon le Président.

Au regard de ce qui précède, Mamadou Diop Decroix a peut-être raison d’affirmer qu’il a constaté que depuis que Macky est au pouvoir, ‘’son discours en direction de l’opposition n’a jamais été autre chose qu’un discours de menace et de mise en garde’’. Mais  il faut toutefois reconnaître que ces genres de propos ne sont pas réservés à une seule catégorie. Il suffit juste de susciter la  colère du Président, pour être servi. 

Mame Talla Diaw  

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