Publié le 16 Apr 2024 - 23:23

Mettre fin au cumul des mandats, aux mandats sans fin et autres conflits d’intérêt !

 

La problématique du cumul des mandats est actuellement en débat  dans nombre de pays à démocratie avancée,  mais aussi dans la société sénégalaise. Il s’agit là,  en l’espèce, d’une question tellement sérieuse,  qu’elle ne devrait pas faire l’objet d’une instrumentalisation par le   discours politique.

On a pu constater pour s’en désoler, qu’à l’occasion des dernières élections présidentielles et celles précédentes,   l’administration centrale était pratiquement désertée par les grands décideurs ; qui étaient presque tous en campagne électorale au grand dam des contribuables. Cela, dans bien des cas, est un effet collatéral du cumul des mandats. Autre fait plus récent tout aussi navrant,  c’est la décision d’un membre éminent du pouvoir actuel,  de renier telle une girouette, avec  aplomb, la parole donnée par  son parti de mettre un terme au cumul de mandats dans la gestion de l’Etat et de l’espace public. Cette injonction du parti PASTEF reprise à son compte par le gouvernement, vient d’être signifiée à nouveau à tous, qu’on doit mettre fin au cumul de mandats électifs d’avec la fonction de  ministres. Ce serait leur  rendre justice, que  d’apprécier à sa juste valeur la cohérence et la conséquence d’un tel acte.

En espérant que cette volonté politique fasse l’objet d’une loi de la République.   

Nous voilà devant un autre cas, où la rhétorique de la rupture, pourrait quitter le champ de l’incantation, pour un terrain privilégié  d’application.

Du reste, Il n’ya pas qu’au cumul des mandats que sera consacré l’essentiel de notre propos. Nous nous intéresserons aussi,   à  ceux qui sont concernés par les    conflits d’intérêt. Il s’agit en outre,  de tous  ceux  qui sont nommés ministre ou ministre conseiller, alors qu’ils sont patron d’entreprise ou émargent dans des sociétés  soumissionnaires de marchés publics,  faussant ainsi le jeu de la concurrence loyale du fait qu’ils peuvent être soupçonnés de  délit d’initiés. Tous ces bénéficiaires de privilèges   occupent  (avec ou  sans émoluments), indument ces postes,  parce qu’ils contribuent à aggraver la rupture de confiance entre le pouvoir et ses administrés ; créant ainsi un  discrédit sans précédent qui frappe et fragilise  la  gouvernance publique.

Pour nous en tenir au cumul des mandats, cette pratique,  qui est en quelque   sorte une perversion du système   démocratique, a été surtout favorisée par le modèle centralisateur du pouvoir. Il serait réducteur de penser que cela relève d’un simple besoin narcissique de pouvoir,  ou d’une boulimie financière. Les motivations profondes sont de divers ordres. Nous nous contenterons pour notre propos, d’en pointer quelques unes.

Le premier facteur à nos  yeux, est à chercher dans la faiblesse de la décentralisation. En effet, quand un maire, exerce  en même temps les fonctions de parlementaire ou de ministre, il est plus proche des centres de décision et sa localité a plus de chances sinon d’être  privilégiée, du moins d’être plus à même de capter  des opportunités en matière d’allocation des ressources lors des arbitrages budgétaires. En outre, sa position de ministre lui confère le privilège  d’accéder plus facilement à la coopération décentralisée. Considérée sous cet angle, l’attitude du cumulard est un rempart contre le modèle  encore  centralisateur  de notre administration.

Un deuxième fondement est lié aux raisons qui sont à la  base du choix d’un ministre ou d’un parlementaire : ne le doivent-ils pas tous les deux, pour une large part, à leur ancrage local et conséquemment au poids de leurs électeurs ; qui attendent de leur part  un retour sur investissement?

Le troisième facteur renvoie au faible statut de l’élu local qui, pourtant assume de lourdes responsabilités à la tête des collectivités territoriales.

Mettre fin au cumul des mandats, passe donc nécessairement par le renforcement de l’acte 3 de la décentralisation avec,  pour l’élu local, un statut plus stable et plus rémunérateur. En effet, l’acte 3 de la décentralisation ne sera un succès que si les communes  sont dirigées à plein temps par des élus. Il importe, par ailleurs, de combler ce vide juridique dans le code général des collectivités locales  qui devrait stipuler expressément et  de façon  formelle les fonctions qui sont incompatibles avec celles de maire ou de Président de conseil départemental. Le cas de l’honorable députée Aissatou  Mbodj qui a perdu son poste de Présidente du conseil départemental à Bambey, est encore frais dans nos mémoires, alors que  tous ceux qui se trouvaient dans la même situation n’ont pas connu la même infortune.

En effet, l’interprétation de la loi 96-11-du 22-03-96 relative à la limitation du cumul des mandats électifs et de certaines fonctions a été appliquée à Mme Aissatou Mbodj   de manière sélective. Aussi, faut-Il  aller plus loin dans la modification du code électoral, du code des collectivités territoriales, ainsi que  la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

Il s’agit donc de   considérer la situation de façon différenciée :

- Concernant le ministre,  une fois le statut de l’élu local amélioré, il ne devrait plus à mon sens,  exercer que des fonctions honorifiques dans sa localité. Pourquoi pas Maire honoraire de sa localité, pour garder le lien avec ses électeurs ? N’a-t-on pas vu des ministres démis de leurs fonctions pour avoir perdu des élections dans leur localité ?

N’est-ce pas là un signal lancé  à tous  que l’on ne peut accéder à certaines fonctions ou s’y maintenir, si on ne fait pas de la politique ?  Les seules compétences ne suffisent plus ;  il ya de nouveaux critères et normes non écrits, qui surplombent ceux qui ont fait la réputation  et l’excellence de notre administration. Comment expliquer le nombre grandissant de  hauts fonctionnaires, qui  s’investissent en politique ? D’ailleurs, en matière de bureaucratie, on assiste à une banalisation des fonctions. Il est temps de revenir à une certaine orthodoxie qui était en vigueur. C’est quand même curieux  qu’un médecin soit directeur de cabinet ou secrétaire général (fonctions administratives par excellence) au  ministère de  la santé, quand ce ne sont pas des directeurs de l’administration générale et de l’équipement  ( DAGE) nommés dans d’autres ministères sans aucune formation administrative ou de gestion, alors que des administrateurs civils ont été excellemment formés   durant des années,  pour assumer cette fonction. Du coté du ministère des affaires étrangères, depuis quelques temps c’est le règne d’une diplomatie sans diplomates. Bon sang !  la diplomatie ne saurait être réduite à un jeu d’apparences où il suffit d’enfiler un costume agrémenté d’un  nœud papillon avec  pochette   pour faire un bon diplomate, encore faut-il avoir été  dûment formé à bonne école où le recrutement est particulièrement pointilleux et  avoir maitrisé avec rigueur les codes non perceptibles par les non initiés. Mais,    où est donc l’amicale des administrateurs civils ? Faut-il supprimer l’ENA ? Où sont les anciens du fameux bureau organisation et méthodes ( BOM)?

Les nouvelles autorités seraient bien inspirées de recourir à leur expertise pour des ateliers d’imprégnation à la gestion et au leadership  administratif à l’intention des nouveaux ministres.

En Afrique, on  souffre du « syndrome des élites  mal placées ». Il ya lieu à mon sens  de mener une réflexion approfondie sur l’adéquation  profil /poste ministériel à occuper. On assiste parfois à de véritables incongruités. Je ne suis pas convaincu par ceux qui auraient dû observer une cure d’abstinence médiatique mais qui courent les plateaux de télévision  et dans leur délire paranoïaque  soutiennent  que le poste ministériel est essentiellement politique. Le monde a beaucoup changé, le tout politique a ses limites. La sphère d’évolution d’un  ministre englobe aussi le niveau international (rencontres internationales) au cours desquelles, des groupes pays sont présidés à tour de rôle, où les prestations d’un ministre, chef de délégation de tel ou tel pays, sont scrutées à la loupe  et  doivent être à la hauteur du prestige conféré à son pays.

Concernant le  cumul de mandat entre parlementaire et Président de Conseil Départemental, il faut se convaincre qu’on ne peut pas cumuler ces deux fonctions qui exigent pour chacune,  que l’on s’y consacre à plein temps. Il y va de leur crédibilité, Il y va aussi de leur exemplarité devant des citoyens qui, eux exercent un seul métier quand ils en ont !  Et ne perçoivent qu’un seul  traitement. Après tout, c’est là un message contre- productif renvoyé aux millions de  chômeurs et autres demandeurs d’emploi !

L’ex Président du groupe parlementaire APR, se proposait  de soumettre à l’Assemblée nationale, une proposition de loi sur le cumul des mandats.  C’était là  une belle occasion à saisir pour corriger certains dysfonctionnements. En effet, le cumul des mandats serait, semble t’il, une des causes de l’absentéisme marqué au parlement.

 Les mesures suivantes s’imposent tout compte fait :

Le mal récurrent constaté par tous,  et au premier rang desquels, par l’ex Président de l’Assemblée nationale, étant l’absentéisme endémique des   députés, pourquoi  ne transformerait –on  pas les salaires de ces derniers  en  régime  indemnitaire, avec un système de suivi  des présences (obligatoires) aux différentes sessions ? Le Président de l’Assemblée nationale ne serait plus obligé de les supplier d’assister aux cessions, le Parlement légiférerait mieux, tandis que  le prestige et l’éthos de confiance entre le peuple et ses élus seraient  rétablis. Inutile de rappeler ici, que certains comportements de parlementaires ces temps derniers, ont désacralisé la fonction. On se souvient encore avec consternation de  ce spectacle surréaliste où des députés comme à Dakar Arena,  se sont livrés à un combat  épique   sous le regard impavide  d’un Président de l’Assemblée nationale,  se contentant de lieux communs  du genre «  c’est le lot de tous les parlements ». Bref, circulez ya rien à voir !  Comme si le  Sénégal devait faire du copier/coller des travers que l’on observe ailleurs, alors que ces derniers, ne s’inscrivent ni dans nos valeurs de civilisation  encore moins dans nos traditions ; qui ont toujours sacralisé à travers des débats contradictoires « Pencoo » (souvent passionnés, rarement passionnels) la recherche du  consensus.  Devant ce  spectacle sidérant, retransmis en live dans le monde entier (suivi par des  enfants qui le reproduiront dans la rue) ; où Le loufoque  le disputait au tragique, on ne peut s’empêcher d’invoquer Beaumarchais quand il fait dire à un de ses personnages : «  je m’empresse de rire de  peur d’être obligé d’en pleurer »  !

L’Assemblée nationale ne saurait être un lieu où les invectives l’emportent sur les débats d’idées. Nos parlementaires pour mériter le titre d’HONORABLE doivent hisser leur fonction à la hauteur de la dignité qu’elle symbolise. Ce spectacle pour le moins sidérant   qui s’est passé à l’Assemblée nationale,   est d’autant plus navrant qu’on  aurait pu initier les ruptures (dont  la suppression du  cumul de mandat, retenu aussi bien dans le rapport  des Assises nationales , que dans la charte de bonne gouvernance de ces mêmes Assises) ; qui s’imposent ne serait-ce que dans ce secteur législatif,  qui souffre d’une défiance sans précédent de la part des populations.

On attendait de  l’Assemblée nationale qu’elle se dote de nouveaux outils participatifs et délibératifs impliquant les citoyens, au travers  de modes de co-construction des politiques publiques. Diantre !  On ne peut plus légiférer comme autrefois. Si nous prenons l’exemple d’une loi, au risque d’ineffectivité,  (lois sur les cérémonies familiales, sur la sante de la reproductive (excision) sur les violences faites aux femmes etc. . . .) elles ne doivent pas tomber du ciel tel un commandement. Il nous revient en mémoire, que c’est bien William Shakespeare qui écrit dans Mesure pour mesure : « Ne faisons pas de la loi un épouvantail qui, dressé pour faire peur aux oiseaux de proie, finit gardant toujours la même forme, par être leur perchoir et non leur terreur.»

C’est pourquoi, la loi n’est, ou ne devrait-être, que la formalisation ou la systématisation dans l’interdisciplinarité par différents spécialistes (dont au premier chef ceux du droit), de ce que les hommes et les femmes appartenant à une même communauté ou non (dans le respect de leurs us et coutumes) ; considèrent comme juste et en adéquation avec leurs perceptions/représentations et visions du monde. Par ailleurs,  le Président de l’institution parlementaire a l’obligation d’aider les députés  (même ceux de l’opposition)  à renforcer leurs   capacités d’interpellation des pouvoirs publics  quels qu’ils soient, tout en veillant  à chaque fois,  à l’articulation décision/ participation.

 Si le principe de l’assistance parlementaire a été retenu et connait, semble t’il, un début d’application,  il nous revient qu’il est loin d’être satisfaisant. Or, devant la complexité du travail parlementaire, cela est d’une nécessité cruciale  quand on sait que dans d’autres pays,  des parlementaires au cursus plus relevé et mieux formés,  peuvent avoir à leur disposition   jusqu’à cinq assistants parlementaires. Le parlement pour   s’acquitter convenablement des fonctions d’évaluation de l’action publique, devrait s’adjoindre par appel d’offres un cabinet d’experts en évaluation des politiques publiques mais avant d’en arriver à cela , le gouvernement doit revoir sa  méthodologie  de travail et en lieu et place d’une vague feuille de route,  exiger de chaque ministère l’élaboration d’objectifs quantifiés, de résultats attendus, quant aux politiques publiques qu’elle entend mettre en œuvre. En effet,  l’évaluation relève d’une expertise disciplinaire qui  a ses  propres règles et  préalables ?

Il faudrait également, instaurer le principe d’une limitation du mandat parlementaire dans le temps. Certains parlementaires se glorifient d’avoir  traversé toutes les législatures (on n’est pas seulement doyen d’âge, mais aussi  par le nombre de mandats exercés). En effet, pourquoi limiter le mandat du Président de la République à deux si on ne limite pas celui des élus nationaux ? Pourquoi s’en tenir à la seule question du cumul des mandats, quand celle du nombre est tout aussi importante pour la diversité, le renouvellement, la parité.  c’est le lieu de rappeler aux dirigeants actuels, que si pour  la composition de la nouvelle équipe gouvernementale ils ne sont pas en porte à faux avec la loi sur la parité qui ne s’applique qu’aux postes électifs, il n’en reste pas moins qu’il faut tenir compte de la force des symboles, tout aussi importants pour   la respiration démocratique et pour le développement inclusif in fine . Et tout compte fait, il semble qu’il  ya « autant de femmes compétentes que d’hommes incompétents »  

Quelle ne fut notre surprise d’entendre un jour, l’honorable députée Seynabou Wade, ex- maire de Fann Gueule tapée, faire la leçon à toute la classe politique surtout   aux «  hommes »  en disant   qu’elle renonçait non seulement, à se présenter comme maire, mais aussi comme parlementaire. Cela est assez rare pour être souligné. Par là, elle montre la voie à des chefs de partis politiques,   de fédérations sportives, d’ONG, de syndicats (le Sénégal est l’un des rares pays où un bon nombre de syndicats est dirigé par des retraités sans doute l’exception sénégalaise !) (Hé oui) etc. ;  qui eux, ne comprennent pas que cette forme de leadership qui défie le temps, relève de la féodalité. Le renouvellement de la classe politique et des responsables de la société civile  est devenu un impératif.

A tout ce beau monde on serait tenté de leur rappeler l’aphorisme suivant : « Quand vous restez longtemps sous un arbre, que vous refusez de le quitter, vous abritant  sous son ombre en mangeant ses fruits tout en vous délectant du chant de ses oiseaux ; il arrivera un moment où il vous faudra bien protéger votre auguste tête de leurs  fientes  ».

Dr Cheikh Tidiane  Ba ,  

Sociologue

 

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