Publié le 26 Sep 2019 - 03:57
MODERNISATION DE LA PÊCHE ARTISANALE

Les facteurs bloquants

 

En dépit de la rareté des ressources, le nombre de pirogues a sensiblement augmenté, ces dernières années. Pour autant, la pêche artisanale croule sous le poids d’une désorganisation totale et d’une vétusté du matériel utilisé jusque-là.

 

Agé de 56 ans, Youssoupha Samb est membre du Conseil local de pêche artisanale (Clpa) de Dakar-Ouest. Il a complètement la mine désespérée ; lorsqu’on aborde, avec lui, la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la pêche artisanale avec toutes les difficultés auxquelles le secteur est confronté depuis quelques années. Loin des années fastes où la pêche artisanale faisait vivre toute une communauté, elle est en proie à une désorganisation totale qui fait que chacun essaye, tant bien que mal, de voler de ses propres ailes et de mettre en place son propre business. Conséquence, selon lui, la mer en est devenue très saturée. Ce qui, en partie, est à l’origine de la raréfaction des ressources halieutiques.  

Youssoupha Samb met toute la responsabilité de cette situation sur le dos de l’Etat. D’abord, il accuse la classe dirigeante de manquer de volonté politique pour matérialiser la modernisation du secteur de la pêche artisanale. Un secteur jadis organisé et structuré. ‘’Il y avait 7 quartiers à Yoff comme Mbenguène, Layène, Ndeugane, Ngaparou et Tonghor, par exemple. Chaque quartier avait un filet pour aider ses habitants à subvenir à leurs besoins’’, remémore-t-il. A l’en croire, c’est avec l’apparition des subventions allouées par l’Etat que la solidarité qui a toujours prévalu dans le secteur a laissé place à  l’individualisme.

La dislocation, nœud gordien de la pêche artisanale

 ‘’Le malheur est que chacun travaille pour son propre compte. C’est l’Etat qui a favorisé l’individualisme dans la pêche artisanale.  Il voit un groupement d’intérêt économique (Gie) et il le finance sur le fil à tourner (une pirogue plus moderne). Ce qui fait que chacun crée aujourd’hui son propre groupement’’, déclare-t-il.

Rien que dans cette zone, le parc piroguier est bien fourni. Il y a plus de 1 000 pirogues estimées à des milliards de F Cfa. Mais seules 700 et quelques sont reconnues par l’Etat. Mieux, il y a des familles dans lesquelles tous les membres ont une ou plusieurs embarcations. ‘’Nos parents nous avaient légués un esprit de groupe. Cela faisait notre bonheur. Mais cet esprit n’existe plus, de nos jours. Chacun veut aller de son côté. Or, la particularité de Yoff, c’est qu’on n’avait pas de fil à tourner comme à Ndar. C’est pourquoi les pêcheurs de cette région ont un problème avec la Mauritanie’’, souligne M. Samb.

Poursuivant son propos, il laisse entendre : ‘’A Saint Louis, on peut voir dix filets de pêche dans une même famille. Ce qui fait que la mer est devenue complètement saturée. Aujourd’hui, Yoff est en train de vivre cela et c’est à cause de l’Etat qui devait plutôt encourager les dynamiques de groupe. Il met de l’argent, mais ne sait pas comment l’utiliser à bon escient. Il n’aide que le propriétaire du filet, et la plupart d’entre eux sont des cadres ou des fonctionnaires’’. Le pêcheur de donner l’exemple du ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr qui, selon lui, avait un filet et avait essayé d’aider les pêcheurs, mais les gens ne l’ont pas suivi. ‘’C’est lui qui est à l’origine de ces bâtiments (les tentes). Il connaît le milieu. Aujourd’hui, cet esprit de groupe revient petit à petit, mais ils (les pêcheurs) préfèrent plus l’individualité. L’Etat doit revoir sa politique dans ce domaine’’, conseille-t-il.

Le regroupement, vœu pieux des acteurs

Pour Youssoufa Samb, la politique actuelle du gouvernement qui ne consiste qu’à traiter avec les propriétaires de filets, tue à petit feu le secteur de la pêche artisanale. A la différence de la pêche industrielle qui profite plus à l’Etat, la pêche artisanale fait vivre un pan entier de la population active. ‘’Nous n’avons pas besoin de chalutiers pour exercer notre métier. Je ne pense pas que le fait de changer les types d’embarcation soit une solution pérenne. Notre drame, c’est d’avoir sacrifié notre unité. On n’a qu’à en vouloir à nous-mêmes’’, fulmine le vieux pêcheur. Il est adoubé par Issa Faye, un instituteur rencontré sur la plage.

Selon ce dernier qui pousse le bouchon plus loin, il va falloir beaucoup de courage et de volonté politique à l’Etat du Sénégal pour moderniser le secteur de la pêche artisanale. ‘’Les petites embarcations sont tellement chères. Donc, il nous faut impérativement des subventions. Il faut également beaucoup de moyens pour avoir du matériel. Et pour que cela se réalise, il faut qu’il y ait un regroupement des pêcheurs. Ce qui sera très difficile, pour ne pas dire impossible. Dans notre quartier, par exemple, il n’y avait autrefois que 2 grands filets (rouge et vert). Mais les gens ne s’y retrouvent plus. Certains ont jeté les filets et ont complètement abandonné le métier à cause de la crise qu’elle traverse. Ce n’est plus rentable’’, déclare-t-il.

A Soumbédioune, le constat reste le même. Les pêcheurs rencontrés dans le secteur sont aussi dans le même désarroi. Ils sont d’ailleurs unanimes à penser que ce n’est pas demain la sortie de crise. Selon Mamadou Guèye, pêcheur, les moyens financiers et matériels ne sont pas encore réunis pour révolutionner le secteur. ‘’L’Etat, regrette-t-il, est venu ici pour nous expliquer les contours du projet consistant à immatriculer les pirogues. Mais, depuis lors, c’est silence radio. Il n’y a aucune suite. Ils n’ont rien respecté de leurs promesses’’, fulmine-t-il. Estimant que les pêcheurs sont complètement abandonnés à eux-mêmes, il pense que la solution est dans le regroupement, comme ce fut le cas dans le passé. Là aussi, il pense que ce sera très difficile d’y arriver.

Les chalutiers qui divisent

Prenant le contre-pied de ses collègues, Chérif Fall, lui, pense que le salut n’est pas dans le regroupement des pêcheurs, surtout avec la conjoncture actuelle où chacun doit s’assurer des moyens de sa propre subsistance. Ainsi, il estime que pour le moment, avoir un bateau collectif n’est pas la solution. ‘’Si on le faisait aussi, ça allait créer des problèmes, parce que chacun voudra se l’approprier.  Et cela n’arrangera personne’’, affirme-t-il. Avant de signaler : ‘’Avec les pirogues, l’Etat nous appuie, parfois. Par exemple, une machine peut coûter jusqu’à un million de francs Cfa, et il nous le donne à 300 000 F. C’est une belle initiative du président de la République. Mais le seul problème qu’il y a à ce niveau, c’est qu’il y a beaucoup d’injustice et de corruption dans la distribution. J’ai déposé une demande de subvention, mais jusque-là je n'ai encore rien obtenu. Pendant ce temps, j’ai vu des gens qui ont déposé après moi et qui en ont bénéficié. Je pense que c’est injuste’’, rumine-t-il.

Marié et père de famille, Aly Ndoye, lui, ne veut pas parler de chalutiers à Yoff. ‘’A Yarakh, il peut y avoir des bateaux, mais pour l’instant ce sont les pirogues qui nous arrangent ici. Puisqu’il y a beaucoup d’eau et la mer est parfois agitée. Nos grands-parents s’adonnaient à cette activité et cela nous réussit. On y trouve notre compte’’, soutient-il.  Il dénonce simplement la cherté du prix des embarcations traditionnelles. A l’en croire, les petites pirogues peuvent coûter jusqu’à 900 mille F Cfa, tandis que celles de seconde main s’acquièrent entre 400 et 500 mille F Cfa. Les plus grandes pirogues coûtent entre 8 et 9 millions de F Cfa’’, déclare-t-il.

AWA FAYE

Section: