Publié le 30 Jun 2015 - 14:03
MODIFICATION DU REGLEMENT INTERIEUR DE L’ASSEMBLEE NATIOANALE

Les députés à couteaux tirés

 

Les députés se sont retrouvés hier à l’hémicycle pour statuer sur la proposition de loi modifiant le règlement intérieur. Une proposition qui a fait l’objet d’un long débat contradictoire au cours duquel chaque élu a prêché pour sa propre chapelle.

 

Le Sénégal s’était-il préparé à un 23 juin bis ? Le décor le présageait : Aux alentours  de l’Assemblée nationale, des pick-up remplis de gendarmes montaient la garde pour parer à d’éventuels troubles. Le renforcement du dispositif sécuritaire n’avait pas l’air d’inquiéter le Sénégalais lambda qui vaquait tranquillement à ses occupations.  Cependant, tout se jouait à l’interne où l’accès était filtré. Les rigueurs du mois de ramadan n’ont pas empêché les parlementaires de se présenter à l’assemblée pour défendre leur position par rapport à ce projet de loi modifiant la loi No 2002 -20 du 15 mai 2002 portant modification du règlement intérieur de l’hémicycle.

 Le projet de loi dont les articles phares restent ceux relatifs au mandat du président de l’Assemblée nationale, lequel est ramené de 01 à 05 ans, et la  revue à la hausse du nombre de députés (de 10 à 15) pour la constitution d’un groupe parlementaire a été voté après d’âpres discussions. Et comme on pouvait s’y attendre, des motions préjudicielles étaient soulevées à l’entame.

 Le député Mamadou Sow a démarré les exceptions en soulignant des problèmes de signatures. ‘’Les personnes nommées à la quinzième et sixième place n’ont pas apposé leur signature sur la forme. Et pour la poursuite des débats, elles vont prendre la parole’’, a-t-il relevé. Il a également soulevé un manque de sérieux dans la rédaction de cette proposition de loi ainsi que le manque de consensus dont la loi fait objet. Pour prendre en compte ses préoccupations, le président de l’Assemblée nationale a donné la parole au président de la commission des lois, à un des coauteurs de la proposition et au rapporteur. Prenant la parole, le président de la commission Me Djibril Warr a estimé que ‘’ces prétendues irrégularités n’ont aucune incidence sur le fond de la procédure‘’. Le rapporteur Maguette Diokh a déclaré que  le délibéré peut avoir lieu car, ‘’par rapport aux signatures, une seule personne pourrait porter le projet de loi’’ ; le coauteur de la loi, Abdoul Mbow, a jugé les arguments de Mamadou Sow légers et insensés.

‘’Juin, un mois maudit’’

 Sur les observations de forme, le député Me El hadji Diouf a évoqué dans sa prise de parole des  omissions.  ‘’Le rapport n’a pas mentionné l’importance du 23 juin. Les interventions ont insisté sur le mois de juin qui serait un mois maudit pour les pouvoirs qui se sont succédé. Du 23 juin 2011, on s’achemine vers le 29 juin 2015… ‘’, tonne-t-il. Malgré les remarques de Moustapha Niasse lui interdisant de faire des commentaires à ce stade, la voix de Diouf résonne de plus belle. ‘’Je ne commente rien du tout, ce sont des omissions. Je voudrais qu’on introduise dans le rapport ce rappel historique qui a été, le 23 juin 2011 et son importance par rapport aux décisions  impopulaires ‘’. A ces préoccupations, le rapporteur rétorquera qu’ ‘’on ne peut pas prendre en compte toutes les propositions des députés en commission’’. 

Après ces échanges, les députés voulant prendre la parole se sont inscrits. Au total 66 orateurs ont demandé la parole, ce nombre important a soulevé des problèmes de minutage. En effet, le député apériste Moustapha Cissé Lo a suggéré une prise de moins de cinq minutes par intervenant. Une proposition qui n’a pas été du goût de certains parlementaires. C’est ainsi que  Me El hadji Diouf et Modou Diagne Fada ont tenu à faire respecter leur droit de parole qui  donne à chaque député 5 minutes pour exposer leur point de vue. Une proposition finalement acceptée par le président de l’Assemblée nationale. Thierno Bocoum a soulevé une question préalable en  demandant le renvoi de l’ensemble des textes devant la commission.

Selon le député de Rewmi : ‘’La proposition de loi est contraire à nos principes et valeurs démocratiques, dans certaines de ses dispositions, à l’esprit de nos lois qui s’inspire dans une logique de sauvegarde des acquis démocratiques et de protections des libertés individuelles et collectives’’. Et de poursuivre : ‘’Le fait que le nombre de 15 députés soit requis maintenant pour la constitution d’un groupe parlementaire s’écarte du jeu démocratique qui implique l’apport de l’opposition dans le débat parlementaire et cette apport passe par la constitution de groupe parlementaire qui octroie au membre une présence dans les instances de décisions ‘’. Reprenant la parole, le président de la commission des lois a souligné que  les éléments soulevés ne sont en aucune manière en relation avec le texte. ‘’L’adhésion ou non à un groupe est une faculté allouée à tout député d’être membre ou non d’un groupe parlementaire donné’’, a justifié Me War.  L’Assemblée finira par rejeter cette motion de préjudice avec 76 voix contre 12 abstentions.

«L’instauration  du mandat présidentiel est une maigre consolation »

Les débats sont alors ouverts. Le député Ndèye Dieynaba Ndiaye  prend la parole et déclare que ’’ cette proposition de loi est une répression affligeante de notre système, elle est tout simplement honteuse et scélérate parce qu’étant aux antipodes des promesses de ruptures faites aux populations’’. Pour la parlementaire, la durée du mandat présidentiel restauré à cinq ans n’est qu’une maigre consolation. ‘’Nous adhérons pour le principe quand une injustice est réparée mais nous doutons de la sincérité du geste. Il a fallu trois ans de mise en examen et de mise à l’épreuve pour enfin accorder la liberté au président de l’Assemblée nationale. Je suis sûre que si l’usage de ces libertés ne vous convient plus, vous allez revenir sur votre décision en vous servant de votre majorité mécanique’’, croit savoir Mme Ndiaye. Sur la nouvelle configuration d’un groupe parlementaire, elle évoque un argument fallacieux et bancal.  Moustapha Cissé Lo de l’Apr pour sa part a rappelé le rôle d’un groupe parlementaire majoritaire.  ‘’L’objectif est de mettre sur pied des majorités pour faire passer des lois et mener à bien sa politique. Nous sommes majoritaires, nous n’accepterons pas d’être trahis par certains qu’on a toujours protégés et qui se sont soustraits de la coalition’’, a recadré Cissé Lo.

Pour Seynabou Wade, la durée du mandat du président de l’Assemblée peut être conforme à celui du président de la République qui est de cinq ans. L’ex-maire de Gueule Tapée Fass Colobane estime toutefois : ‘’Un député est libre de ne plus vouloir continuer à exercer au sein d’une coalition. Un pays doit avoir un contre-pouvoir et des débats contradictoires.’’

 De son côté, Oumar Sarr du Pds se pose une question par rapport au moment choisi pour faire passer cette proposition de loi. ‘’C’est inacceptable de changer les règles du jeu en pleine législature. On interdit à ses anciens alliés de former d’autres groupes ou de rejoindre d’autres groupes existants comme ceux des libéraux et démocrates’’, se désole le maire de Dagana.

‘’C’est un règlement de comptes politique ‘’

Pour le coordonnateur du Pds, il s’agit donc d’un règlement de comptes politique qui esquive les questions essentielles. ‘’On n’oublie l’obligation de déclaration de patrimoine pour certains députés. Notre règlement intérieur aurait dû évoluer. Comment peut-on interdire à un député de voyager sans que la justice ou l’Assemblée ne le décide ? C’est illégal et anticonstitutionnel. L’Assemblée aurait dû mieux défendre le député et le citoyen‘’, a expliqué le député libéral.

 Le député de Bés du niakk, Cheikh Oumar Sy estime pour sa part  que cette proposition de loi engendre une gêne. Aussi dira-t-il que  ‘’cette proposition de loi  n’a aucune incidence majeure sur le travail ou les conditions de  fonctionnements de l’hémicycle’’. Cheikh Omar Sy est toutefois en phase avec le retour à 5 ans de la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale. ‘’A part le mandat qui est revu à cinq ans, je suis contre ce principe de forcer les gens à travers un quart bloquant. Voter le tout ou ne pas voter est un forcing, a-t-il conclu.

HABIBATOU TRAORE (STAGIARE)

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