Publié le 26 Dec 2017 - 23:49
MOINS DE 200 F CFA OU BON DE DÉPÔT

Le Ndoucoumane et Nioro sans campagne 

 

Ces jours derniers, il était possible de vendre de l’arachide dans le Ndoucoumane et à Nioro, moyennant 200 F. Mais, après l’intervention des services de contrôle et en l’absence des points officiels, il n’y a plus de campagne de commercialisation dans ces zones du pays.

 

D’un pas lest, Djiby Fall, la quarantaine,  se dirige vers sa charrette, un petit sourire illuminant son visage qui affichait jusque-là une mine fatiguée. Apparemment très pressé, il prend le mors de son cheval et l’agite énergiquement dans l’intention de démarrer en trombe, afin de se rendre au marché central de Kaffrine au plus vite, avant que le soleil déclinant ne se couche. Après avoir vendu 200 kg de sa production arachidière, ce père d’une grande famille entame une course contre la montre pour acheter deux sacs de riz avant que les magasins ne baissent leurs rideaux. La ration alimentaire ayant été épuisée, il lui fallait trouver une solution pour nourrir ses enfants le lendemain. ‘’Chaque mois, ma famille consomme deux sacs de riz. Or, je n’ai pas d’autres sources de revenus. Je ne peux compter que sur cette récolte’’, se justifie-t-il, la main aussitôt levée pour indiquer au cheval qu’il est temps de partir.

Vivant en brousse et ne disposant d’aucune information, le monsieur a cédé ses graines sans même savoir à combien l’Etat a fixé cette année le prix du kilogramme d’arachide. Ainsi, les 200 F Cfa au kilogramme que le commerçant lui a proposés, lui ont semblé normal.

A l’image de Djiby, tous ceux qui ont vendu de l’arachide dans le département de Kaffrine au début du mois de décembre ont été contraints d’accepter les 200 F/kg, sinon moins. En fait, dans la ville, les opérateurs au marché ‘’syndicat’’ ne veulent pas acheter à plus de 200 F.  Pourtant, au début de la campagne, ils ont accepté de se conformer aux 210 F Cfa prévus par l’Etat. Mais il a fallu moins d’une semaine, lorsque les producteurs ont commencé à venir en masse, pour que les prix connaissent une baisse de 10 F. Bien que  ne respectant pas la mesure étatique, ce montant  était de loin plus intéressant pour les paysans que les 175 F qu’on leur proposait dans leur village et les marchés hebdomadaires.

Ainsi, chaque après-midi, à la suite d’une journée de travaux champêtres, les  cultivateurs des contrées environnantes prennent d’assaut la ville. Les charrettes, tirées par des chevaux ou des ânes, entrent par dizaines des quatre coins de la capitale du Ndoucoumane. A bord, quelques sacs de 100 ou de 50 kg, pas forcément toujours remplis. Parfois même, c’est juste un morceau de tissu (généralement un pagne) ne pouvant pas contenir plus de 10 kg. Face aux besoins pressant, ils sont obligés de brader une partie de leur récolte.  

Ordonnance, facture, cérémonies…

Abdou et Moussa Ndao sont deux frères qui habitent Sangole. Ils sont venus vendre ‘’une petite quantité’’ pour faire face à certaines urgences. Abdou, qui paraît être le cadet, tire un papier de la poche de sa chemise pour mieux se justifier. ‘’J’ai apporté deux sacs, parce que j’ai une ordonnance à payer’’, dit-il. Les frangins ne sont pas, du tout, contents de l’acheteur. Contrairement à Djiby, ils sont conscients du fait que le commerçant ne respecte pas le prix indiqué et s’en désolent. ‘’On aimerait bien vendre à 210 F, mais comment faire ? Nous n’avons pas le choix. Imagine que tu apportes 500 kg et que tu perdes 10 F sur chaque kilo, c’est de l’argent, ce n’est pas rien’’, regrette-t-il. Son grand frère, visiblement indigné par le comportement de l’acheteur, se montre plus amer. ‘’Ils veulent profiter de la situation pour nous prendre tout ce que nous avons. Dans notre village, les gens achètent à 175 F. imaginez un camion rempli à ce prix ! Ils gagnent des millions sur notre dos’’, s’emporte-t-il.

Tout comme les frères Ndao, Modou Touré, un habitant de Passy Mbalboul, invoque, lui aussi, l’urgence. Il lui a fallu encaisser de l’argent pour se rendre compte que sa charrette est aussi poussiéreuse que son corps. Avec son sac vide, il essaie de dépoussiérer sa monture. ‘’La première chose que je vais faire, c’est d’aller payer ma facture d’eau. Vous ne pouvez pas savoir combien cette question me taraude’’, s’exclame-t-il, souriant. Modou sait qu’il a perdu 10 F sur chaque kilo, mais comme les autres, il pense qu’il n’a pas le choix. Il espère tout de même que lorsque viendra la grande campagne, la vérité des prix sera appliquée.

Cet espoir est aussi partagé par Aly Top. Ce natif de Kathiote est un agent de sécurité de proximité qui officie à Nganda. Cultivateur lui aussi (grâce à son frère et aux autres membres de la famille), il regrette surtout la date de démarrage de la campagne qui, selon lui, est éloignée. ‘’Nous avons des besoins qui ne peuvent pas attendre. Il y a la nourriture, les cérémonies et autres. La date a été mal choisie’’, se désole-t-il.

Le retour des bons

Aujourd’hui, après que la campagne a officiellement démarré depuis le début du mois, les opérations de collecte sont loin de se dérouler correctement, en dépit de ce qu’en disent Aliou Dia et Cie. A Kaffrine, par exemple, lorsque les collecteurs (non officiels) ont persisté pour acheter à 200 F, le préfet a menacé d’arrêter quiconque sera pris en flagrant délit. Depuis, les acheteurs qui n’entendent pas payer le prix ont décidé de tout arrêter. Quant aux privés stockeurs agréés par l’Etat, ils sont jusqu’ici introuvables. Ce qui fait que les graines sont actuellement entre les mains des agriculteurs qui ne savent pas quoi en faire. ‘’Depuis que nous avons quitté les champs, nous n’avons vu personne pour acheter nos graines. C’était bien parti avec les bonnes récoltes, mais actuellement c’est la désolation. Nous vivons le mois d’août des temps anciens’’, se plaint Moustapha Ba, un habitant du village de Ngodiba. Selon cet interlocuteur, les paysans, à chaque fois qu’ils n’ont pas le choix, vendent de petites quantités à moins de 200 F (175 ou 180 F).

Certains font le choix de vendre une partie de la récolte de mil qui a été abondante cette année. ‘’Ils vendent le mil tout en gardant l’arachide, dans l’espoir qu’il y aura un prix rémunérateur’’, soulignent nos interlocuteurs. Dans la commune de Kathiote (région de Kaffrine), les paysans sont retournés aux vieilles pratiques. Un nommé Maodo Sarr, réputé riche à Kaffrine, collecte les graines des cultivateurs moyennant un bon. Il avait même commencé à Kaffrine-ville, indique une source, mais il a arrêté. Du fait de sa ‘’générosité’’, les villageois acceptent de déposer leurs graines en toute confiance. ‘’J’ai déposé ma récolte d’arachide depuis deux semaines. J’attends encore. Le gars a beaucoup d’argent. Ici, les gens croient fermement en lui’’, déclare Aly Top.

Si certains acceptent, pour d’autres, c’est inimaginable. ‘’Je préfère garder mes sacs et les compter et recompter chaque matin, plutôt que de les échanger contre un ticket qui ne m’offre aucune garantie. Plutôt vendre à 175, voire 150 F que de jeter ma récolte’’, persifle ce paysan. En dehors de cet opérateur, il n’existe pas un autre point de collecte dans la commune où il est possible de vendre à 210 F.

Ainsi, c’est tout le Ndoucoumane qui se retrouve avec une campagne de commercialisation au point mort. Des interlocuteurs ont indiqué que la situation est exactement la même à Nioro. Au grand désarroi des paysans !

FAIBLE PRODUCTIVITÉ, PRODUCTION INSTABLE

La filière des aléas

La production arachidière au Sénégal est aussi instable qu’une valeur boursière. D’une année à l’autre, celle-ci peut aller du simple au double ou à la moitié. S’y ajoute une faible productivité (800 à 900 kg/ha contre 5 000 kg/ha pour l’Uruguay). En réalité, le problème de fond est la non-maitrise des facteurs de production et une politique agricole peu ambitieuse.

BABACAR WILLANE

L’arachide a un fort potentiel au Sénégal. Mais, depuis les indépendances, elle peine à prendre son envol. Au fond, le problème de l’agriculture sénégalaise, c’est la non maitrise des facteurs de productivité. La production est aussi instable qu’une valeur boursière. D’une année à une autre, les variations sont très importantes. La production peut, en effet, chuter de moitie ou, à l’inverse, augmenter de moitié par rapport à une année donnée. La présente campagne en est un exemple illustratif. La production arachidière était, en 2016, de près d’un million de tonnes, selon le gouvernement (chiffre contesté) et environ 500 000 à 600 000 t, selon les producteurs. Cette année, elle est estimée à 1 400 000 t, avec  une quasi unanimité.

Cette importante différence d’une année à l’autre a été la même entre 2008 et 2012. ‘’D’un niveau de 731 210 t en 2008, la production de l’arachide est passée à 1 286 855 t en 2010, soit une hausse de 43 %, pour retomber à 700 000 t en 2012. On note une diminution de 59 % entre 2010 et 2012’’, souligne le ministère de l’Agriculture dans la revue conjointe du secteur agricole 2015. À cela s’ajoute une faible productivité. Le pays a une moyenne annuelle de 800 000 t.

La production, quant à elle, atteint rarement 1 000 kg/ha. ‘’Sur une période de 10 ans, le rendement moyen de l’arachide au Sénégal n’a pas dépassé les 900 kg à l’hectare, comparé aux 1 600 kg à l’hectare de rendement moyen mondial ou 5 000 kg à l’hectare de l’Uruguay’’, reconnait le ministre à travers le document  ci-devant cité.

Par ailleurs, autant il y a une absence de maitrise des facteurs naturels, autant il y a un manque de visibilité de la politique agricole. Les superficies emblavées restent très instables. D’une année à l’autre, elles peuvent augmenter considérablement ou baisser drastiquement. ‘’En 2012, 708 956 ha ont été cultivés contre 1 195 573 ha en 2010 et 865 770 ha en 2011’’, relève l’Ansd dans son document de 2012 sur la situation économique et sociale du Sénégal.

Même si l’Etat n’est pas producteur, sa responsabilité n’en est pas moins engagée, comme le signale le même rapport de l’Ansd. ‘’La campagne 2011/2012, malgré ses 867 770 ha de superficies emblavées, a enregistré la performance la plus faible avec une production de 527 528 t, soit une baisse de 28 %. Ce résultat est expliqué par la mauvaise saison hivernale, le retard dans la distribution des engrais subventionnés ainsi que la baisse des intrants distribués aux agriculteurs durant cette campagne’’.

Ce retard dans la disponibilité des intrants, leur qualité ainsi que leur insuffisance ne cessent d’être décriées chaque année par les paysans. Mais le problème reste toujours entier. Comme les autres  aspects de la filière.  

BABACAR WILLANE

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