Publié le 26 Jun 2016 - 21:06
MORT DE L’ETUDIANT BASSIROU FAYE

Le policier Boughaleb condamné à 20 ans de travaux forcés

 

20 ans de travaux forcés. C’est la peine que la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar a infligée hier au policier Sidy Mohamed Boughaleb reconnu coupable du meurtre de l’étudiant Bassirou Faye.

 

Avec Bassirou Faye, le monde estudiantin sénégalais obtient justice, pour la première fois de son histoire. Car, 1 an et 10 mois après son décès, le meurtrier de l’étudiant, notamment le policier Sidy Mohamed Boughaleb, a été jugé hier, par la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar. A l’issue d’un procès marathon de 15 tours d’horloge, il a été condamné à 20 ans de travaux pour meurtre... Sinon les autres morts connus jusque-là par la communauté universitaire sont restées impunies. Les cas les plus célèbres sont ceux d’Omar Blondin Diop et Balla Gaye. Le premier est décédé en détention le 11 mai 1973. Le second tué en pleine manifestation, le 31 janvier 2001, au niveau du campus social de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Bassirou Faye a lui reçu une balle à bout portant au niveau du crâne, au cours d’échauffourées entre policiers et étudiants. Il était étudiant en Licence 3 Mathématique à la Faculté des Sciences et Techniques de l’UCAD.

Mais hier, Boughaleb a réitéré ses dénégations faites à l’enquête préliminaire et à l’instruction. Le policier a nié catégoriquement avoir tiré sur l’étudiant, en avançant comme alibi des blessures qui l’avaient contraint à quitter le théâtre des opérations depuis le matin, aux environs de 9h30mn-10h. Boughaleb dit avoir quitté l’université, après avoir reçu un projectile à la tête, alors qu’il se trouvait près du restaurant Argentin. ‘’Je me suis rendu à l’infirmerie de l’Ecole nationale de police. Je saignais abondamment de la tête et on m’a fait des points de suture et un pansement’’, a confié le policier. Mais s’est-il empressé d’ajouter : ‘’Dès que je suis sorti, le pansement a commencé à décoller, alors j’ai pris un taxi pour me rendre au camp Abdou Diassé où j’ai reçu d’autres soins.’’ Selon ses dires, lorsqu’il a quitté l’infirmerie, après la pause, il est rentré directement chez lui à Thiaroye Azur et n’est plus ressorti.

Seulement ses déclarations ne correspondent pas aux résultats de la géolocalisation qui l’ont repéré aux alentours de l’UCAD. Il s’y ajoute que son collègue et camarade de promotion, Mamadou Ndiaye, a minoré les blessures du policier. L’ancien infirmier à ENAP en service actuellement au camp Abdou Diassé a nié formellement avoir fait des points de suture, car Boughaleb avait juste des éraflures à la tête. ‘’ Je lui ai fait un pansement à la tête et un pansement alcoolisé, car il s’était aussi blessé au majeur gauche’’, a confié le témoin. Mais l’accusé a persisté à dire qu’il a subi des sutures, mais n’a subi aucun soin au niveau des doigts. ‘’Edifiez-nous les deux camarades de promo. Dites-nous à propos du pansement alcoolisé’’, a lancé avec ironie le représentant du parquet, mais l’accusé et le témoin ont campé dans leur position chacun.

Le témoignage décisif de Sette Diagne

Il n’y a pas que l’infirmier Mamadou Ndiaye qui a apporté des contradictions. En effet, le célèbre témoin Sette Diagne est venu pour confirmer une fois de plus la présence de Boughaleb à l’UCAD, au moment du crime. L’étudiant qui est le principal témoin oculaire dans cette affaire, a replongé l’assistance sur les derniers instants de son camarade étudiant. ‘’J’avais cours de 8h à 13 heures. Lorsque je suis arrivé au campus, je suis tombé sur les échauffourées. Alors que je me trouvais en bas du pavillon E, j’y avais trouvé Bassirou Faye. Les jets de pierres étaient intenses et un renfort de trois voitures est entré. En ce moment, un groupe de cinq éléments du GMI s’était réfugié en bas du Pavillon D’’, a narré l’étudiant. Poursuivant son récit, il a déclaré avoir vu leur chef passer trois coups de fil. ‘’Après sa troisième communication, il a dégainé une arme et s’est mis en bas du poteau. J’ai dit aux gars qu’il allait tirer sur nous. Dès que je me suis tourné, j’ai vu Bass à terre, je pensais que c’était une balle blanche, mais c’était plutôt une balle réelle’’, a conclu Sette Diagne, tout en précisant que le drame a eu lieu entre 15h et 15h 05.

Lorsque le président Bara Guèye lui a demandé de décrire le tireur, le témoin ne s’est pas fait prier en répondant : ‘’Il est de teint clair avec une forte corpulence. Il mesure entre 1m85 et 1m90 . Il relevait son casque tout le temps et portait la même tenue que les cinq éléments avec qui il était et il ne portait pas bouclier’’. Le président ne n’est pas limité à demander une description, mais il a, tout comme le représentant du parquet et un des conseils de la victime, invité le témoin à identifier le tireur parmi toutes les personnes présentes dans la salle. Sans hésiter, Sette Diagne a désigné Boughaleb. ‘’C’est lui’’, a soutenu le témoin qui, lors de la séance d’identification, a désigné Boughaleb présenté dans deux groupes de policiers distincts. Lorsqu’un troisième groupe sans l’accusé lui avait été présenté, à travers une baie vitrée, il avait dit aux enquêteurs que le tireur n’y était pas.

Cependant un autre témoin a déchargé l’accusé, en soutenant que le tireur est différent de lui. ‘’Il est de teint clair et de taille moyenne et un peu trapu. Il ne portait pas de bouclier’’, a indiqué Doudou Faye. Lorsque l’Agent judiciaire de l’Etat, Cheikhna Anne, a demandé à Boughaleb s’il y avait un autre policier de teint clair comme lui parmi ceux qui intervenaient, l’accusé a cité le Lieutenant Cheikh Diop. Mais au cours de son témoignage, le commissaire Ndiaga Diop a levé l’équivoque, suite à une interpellation de l’AJE qui voulait savoir s’il ressemblait au policier Boughaleb : ‘’Il est plus élancé, mais Boughaleb est plus clair que lui’’. Quoi qu’il en soit, sur la plupart des 18 témoins présentés hier, à la barre, il a été le plus cohérent et constant. Le reste s’est illustré par des contradictions et des variations par rapport à leur déposition antérieure. Certains ont même fait des déclarations en porte-à faux avec les faits.

C’est le cas, en ce qui concerne l’arme de l’accusé. L’auxiliaire de police Leïty Fall a soutenu que Boughaleb a reçu une arme et 5 munitions et les a rendues. Or, à l’instruction, il n’avait pas fait la précision et n’avait parlé que de l’arme. Quant à l’infirmier Famara Badji, il a laissé entendre que l’accusé est arrivé au camp Abdou Diassé à bord d’un véhicule de police, son collègue a affirmé être venu à bord d’un taxi.

Tombong Oualy et Saliou Ndao peu loquaces

Quid de Tombong Oualy et Saliou Ndao ? Les deux policiers qui ont été inculpés avant d’être blanchis, suite à un non-lieu, n’ont ni infirmé ou confirmé la présence de Boughaleb sur les lieux. D’ailleurs, Me Moussa Bocar Thiam a dénoncé l’attitude du parquet qui s’est abstenu de poser des questions aux deux policiers qu’il considère comme des témoins capitaux.

Pour Mes Adama Fall et Assane Dioma Ndiaye, le témoignage de Sette Diagne suffit largement. Au demeurant, ils se sont réjouis de la tenue du procès, malgré ‘’toutes les entraves à l’action de la justice’’. ‘’Aux premiers balbutiements de cette affaire, on a voulu reconduire la jurisprudence Balla Gaye qui avait abouti à un non-lieu, mais il a fallu la ténacité et l’abnégation des conseils de Tombong Oualy pour amener l’opinion à savoir la vérité. On a tout fait pour soustraire le véritable coupable de l’action de la justice, en désignant dans un premier temps un agneau du sacrifice’’, a fulminé Me Fall. Sur sa lancée, il a accusé la hiérarchie de la police d’envoyer en mission les infirmiers du Camp Abdou Diassé pour les empêcher d’être entendus.  Me Ndiaye a abondé dans le même sens, en dénonçant ‘’une rétention d’informations’’. Pour la sanction, il a réclamé 50 millions F CFA pour la famille de Bassirou Faye et 50 millions pour la communauté universitaire.

Le parquet a pour sa part condamné l’attitude des policiers, lors de cette répression. ‘’Ils étaient partis pour installer le chaos et la désolation avec des documents déchirés, des ordinateurs emportés et bousillés…’’, a-t-il martelé. Pour la répression, il a requis cinq ans de travaux forcés arguant que le policier mérite des circonstances atténuantes. Conseil de Boughaled, Me Moussa Bocar Thiam s’est évertué à démonter l’accusation et a soutenu qu’il n’y a aucune preuve attestant que son client est revenu à l’Ucad avec un esprit vindicatif. ‘’C’est scandaleux !’’ a-t-il asséné, tout en demandant que le témoignage de Sette Diagne soit tout simplement écarté. L’Agent judiciaire de l’Etat a également demandé l’acquittement du policier. Il a également tenté d’écarter la responsabilité de l’Etat.

Mais après délibéré, les juges ont déclaré l’Etat du Sénégal civilement responsable. A cet effet, il doit allouer la somme de 50 millions F CFA au titre de dommages et intérêts. La communauté universitaire a été déboutée de sa constitution de partie civile. 

FATOU SY

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